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Tout petit, mais au grand potentiel : à la défense du poisson argenté ougandais

 

En Ouganda, les groupes et les personnes à faibles revenus ne peuvent pas se permettre d’acheter des poissons plus gros et plus populaires, comme la perche du Nil et le tilapia, ce qui signifie qu’ils se privent d’une source cruciale de nutriments. La solution? Adopter une variété méconnue, de petite taille, mais au fort potentiel : le poisson argenté, ou le « mukene ».    

Cette petite espèce de poisson de la taille d’un doigt est l’une des trois principales variétés pélagiques présentes dans les eaux ougandaises. Cependant, elle a été le plus souvent ignorée, et seulement consommée par les familles pauvres ou utilisée par les transformateurs d’aliments pour animaux dans les aliments pour poulets, chiens ou porcs.    

Pendant 20 ans, Charles Kyeswa a pêché sur le lac Victoria au débarcadère de Kiyindi sans apprécier la véritable valeur de ce petit poisson. « Nous avions l’habitude de traiter ce poisson comme un simple déchet », a-t-il dit. « Nous les versions simplement sur le bateau et les piétinions. Lorsque nous arrivions sur le débarcadère, nous les jetions par terre pour que les femmes les achètent et les emportent pour les faire sécher. »  

En raison d’une mauvaise manipulation, le poisson a été mélangé à du sable et à des excréments d’animaux, ou bien il a été piétiné ou mangé par des oiseaux. En outre, en raison de l’insuffisance des installations de stockage, la plupart des poissons d’argent ont été étalés sur du ciment ordinaire dans des pièces non ventilées après leur débarquement. La mauvaise odeur, le mauvais goût et l’apparence qui en résultent ont des répercussions sur le prix retrouvé au marché et dissuadent de nombreuses personnes de le consommer. « Je ne pouvais pas imaginer un mukene dans ma bouche », a expliqué Enyou Peter, un pêcheur du site de débarquement de Kikondo, sur le lac Victoria.    

Surfer sur la prochaine vague   

Les déficiences nutritionnelles sont très répandues dans les collectivités pauvres de l’Ouganda, en particulier chez les femmes en âge de procréation et les enfants de moins de cinq ans. Pour aider à résoudre ce problème, le CRDI et l’Australian Centre for International Agricultural Research, par l’intermédiaire de leur programme Cultiver l’avenir de l’Afrique (CultiAf), ont accordé des fonds à un consortium de chercheurs afin qu’ils puissent travailler avec les acteurs de la chaîne de valeur du poisson et de mettre en œuvre le projet appelé « NutriFish ».    

Le partenariat, qui a commencé en avril 2019, implique le Département de zoologie, d’entomologie et des sciences de la pêche du Collège des sciences naturelles de l’Université Makerere à Kampala, la National Fisheries Resources Research Institute (NaFIRRI), Nutreal Uganda Limited et l’Université McGill au Canada. Les chercheurs ont cherché à déterminer des moyens de réduire les pertes de mukene post-récolte, d’accroître la qualité, la sécurité et l’accessibilité du produit et d’améliorer la valeur nutritionnelle du poisson.     

Le projet a mis à l’essai des technologies améliorées de transformation du poisson post-récolte. « La première technologie que nous avons promue était de simples récipients en plastique pour réduire les pertes pendant la pêche. Au lieu d’empiler les poissons, chaque prise est placée dans un conteneur séparé qui a la capacité d’évacuer l’eau, réduisant ainsi la détérioration qui se produit si tous les poissons sont empilés dans un grand conteneur », explique Jackson Efitre, chercheur principal du projet NutriFish. Le projet a également encouragé les pêcheurs à utiliser du sel pour conserver leurs prises et réduire davantage leur détérioration.     

Pour les transformateurs, le projet a introduit la technologie de séchage par tente solaire afin de réduire les pertes. Ceci est particulièrement important pendant la saison humide, lorsque l’ensoleillement est insuffisant en vue de permettre un séchage complet du poisson à l’air libre. La tente séchante solaire est une structure semblable à une serre construite à partir de poteaux en bois et recouverte de polyéthylène traité contre les rayons ultraviolets. « Cela permet d’éviter les déchets pendant la saison des pluies, et d’améliorer la qualité du poisson, car il n’est plus exposé aux contaminants », a révélé Jackson Efitre. « Surtout, nous avons vu le prix du poisson séché à l’énergie solaire augmenter de façon spectaculaire; les transformateurs gagnent maintenant deux fois plus par kilogramme par rapport au poisson séché à l’air libre. »  

Le projet NutriFish a également formé les acteurs de la chaîne de valeur à titre de « champions » du projet afin de les sensibiliser à l’importance d’améliorer la chaîne de valeur du poisson, y compris le séchage, la pêche, la manipulation et l’hygiène. Le projet a commencé avec 68 champions issus de différentes communautés de pêcheurs, dont 26 femmes et jeunes, et, à ce jour, ces champions ont formé 70 autres champions. « Le projet soutient huit étudiants diplômés, dont quatre sont des étudiants à la maîtrise et quatre au doctorat. Ils ont stratégiquement arrimé leurs domaines de recherche sur les objectifs du projet (tels que l’évaluation des pertes de poissons post-récolte, l’évaluation des stocks de poissons locaux et la mesure de l’efficacité des aliments enrichis en poisson et des technologies de séchage solaire) », a ajouté Jackson Efitre.  

Media
Les « champions » du projet NutriFish, dont des femmes et des jeunes, sensibilisent à l’importance d’améliorer la chaîne de valeur du poisson – et la consommation de poisson nutritif.
Pius Sawa
Les « champions » du projet NutriFish, dont des femmes et des jeunes, sensibilisent à l’importance d’améliorer la chaîne de valeur du poisson – et la consommation de poisson nutritif.

Penser autrement  

C’est grâce à la formation dispensée dans le cadre du projet que Enyou a développé un intérêt pour la consommation du poisson d’argent. « Nous avons réalisé que nous manquions de beaucoup de nutriments en ne mangeant pas de mukenes », a-t-il souligné. Enyou a expliqué qu’avec d’autres pêcheurs formés, il a été sensibilisé à l’importance d’améliorer les pratiques d’hygiène sur son bateau afin de garantir la propreté du poisson. La formation a permis à 127 pêcheurs d’améliorer la qualité et la rentabilité de leurs prises. Ainsi, 500 contenants bien cloisonnés ont été achetés (contrairement aux contenants traditionnels) afin d’être en mesure de traiter une quantité précise de poisson sans qu’il ne soit compacté, ce qui permet aux pêcheurs de conserver un certain degré de qualité. Chaque préposé sur le bateau est tenu de porter un tablier propre et des bottes.    

Busijjo Sophia, une vendeuse de poisson qui a été formée pour devenir une championne du projet, a également bénéficié du projet NutriFish et possède désormais son propre bateau. « Après la formation portant sur le projet NutriFish, nous avons constitué un compte d’épargne collectif dans lequel j’ai été élue trésorière. J’ai pu obtenir un prêt d’un million de shillings ougandais (environ 375 CAD) auprès du groupe pour acheter mon bateau – qui emploie maintenant trois hommes et me rapporte suffisamment d’argent afin de rembourser le prêt. » Son exemple a motivé sept autres femmes de son groupe à acheter leur propre bateau, un processus qui repousse lentement les normes et les stéréotypes liés au genre. Grâce à la sensibilisation du projet NutriFish, davantage d’hommes autorisent leurs femmes à participer au commerce du poisson d’argent en leur donnant un capital pour acheter et vendre le poisson dans leurs villages.    

Nambawa Daisy, une jeune qui a suivi une formation de champion, a indiqué que le projet avait créé des emplois tout au long de la chaîne de valeur. « Le propriétaire du bateau tire de l’argent du bateau, et les pêcheurs tirent un revenu du fait qu’ils apportent le poisson. Les jeunes hommes gagnent de l’argent en transportant le poisson jusqu’à la zone de séchage, les femmes sont payées pour étaler le poisson sur les claies de séchage, et le propriétaire du magasin est payé pour stocker le poisson. »    

« L’avenir est dans ces poissons d’argent. Dans toute l’Afrique, leur importance commence à se faire connaître et de plus en plus d’Ougandais apprennent à les récolter, à les traiter, à les commercialiser et à les consommer », conclut Jackson Efitre. « Les stocks de grandes espèces de poissons sont en déclin, mais l’avenir des petits pélagiques peut être assuré si nous récoltons, préservons et commercialisons de manière durable. » 

Faits saillants

  • En améliorant la qualité, la sécurité, l’accessibilité et la valeur nutritionnelle des aliments, le projet NutriFish vise à remédier aux carences nutritionnelles répandues dans les communautés les plus pauvres d’Ouganda, en particulier chez les femmes en âge de procréation et les enfants de moins de cinq ans. 

  • Le projet NutriFish a encouragé toute une série de technologies innovantes en matière de traitement post-récolte et de transformation afin de réduire les pertes alimentaires, depuis les simples récipients en plastique capables d’évacuer l’excès d’eau jusqu’aux séchoirs à tentes solaires permettant d’éviter les déchets pendant la saison des pluies et de protéger le poisson séché de l’exposition aux contaminants.  

  • Le projet NutriFish a également permis de former les acteurs de la chaîne de valeur à titre de « champions » du projet afin de les sensibiliser à l’importance d’améliorer la chaîne de valeur du poisson, y compris le séchage, la pêche, la manipulation et l’hygiène