Tester des innovations pour faire évoluer et réduire le travail de soins non rémunéré en Afrique de l’Est
En 2023, quelque 708 millions de femmes sans emploi dans le monde ont indiqué que leurs responsabilités familiales les empêchaient d’accéder au marché du travail. Au sein des ménages et des communautés, les normes sociales qui définissent les soins aux enfants, aux malades et aux personnes âgées comme étant le travail des femmes renforcent le partage inégal du travail de soins non rémunéré. Ces attentes privent les femmes d’emplois mieux rémunérés et de possibilités d’apprentissage, ce qui limite leur contribution à la croissance économique et au développement.
De nombreuses recherches antérieures ont montré qu’offrir aux familles des services de garde d’enfants abordables et de qualité est un élément important de la solution. Pour changer les choses en ce qui concerne le travail de soins non rémunéré, il faut également avoir des cadres juridiques et des politiques solides, et faire changer les normes bien ancrées concernant la façon dont le travail de soins est partagé. Sans acceptation sociale généralisée, même des efforts bien conçus pour mieux répartir les responsabilités en matière de soins peuvent avoir un impact limité.
Lancé en 2020, le programme Croissance de l'économie et débouchés économiques des femmes – Afrique de l’Est a soutenu la recherche visant à évaluer les interventions conçues pour faire évoluer et réduire le travail de soins non rémunéré. Deux projets se sont concentrés sur l’évolution des normes et des perceptions concernant le travail de soins non rémunéré, tandis que trois ont exploré la possibilité d’élargir des modèles novateurs de services de garde d’enfants abordables et de qualité pour différents groupes de femmes à faible revenu. Leurs résultats montrent comment l’évolution des normes de soins et la prestation de services de garde de qualité peuvent favoriser l’autonomisation économique des femmes tout en démontrant les avantages et les inconvénients de diverses approches. Ces résultats, étayés par des données probantes, éclairent la prise de décision sur la façon d’élargir l’offre de solutions de rechange en matière de soins de qualité et de faire évoluer les normes et les attitudes qui freinent les femmes.
Faits saillants
Les programmes visant à réduire et à mieux répartir les soins non rémunérés ne sont pas seulement un « problème de femmes », mais un investissement précieux dans la croissance économique.
Apprendre aux hommes et aux garçons à montrer l’exemple est une approche éprouvée qui a accru la participation des hommes au travail de soins.
Les programmes groupés, comme l’association de l’autonomisation économique des femmes à la garde d’enfants ou à des interventions permettant de gagner du temps, sont prometteurs pour réduire et mieux répartir les soins non rémunérés.
Regrouper l’accès aux services de garde d’enfants et d’autres formes de soutien
Dans trois zones urbaines d’Éthiopie, l’Université d’Addis-Abeba a évalué un modèle de soins mis en œuvre par ChildFund qui ciblait les mères sans emploi ou les mères pauvres qui travaillent. Dans 16 centres de soins communautaires, le modèle combinait l’accès aux services de garde d’enfants et les efforts visant à stimuler le potentiel économique des femmes, notamment au moyen de groupes d’entraide, de capital de démarrage, de formation en entrepreneuriat et en leadership et de séances sur le rôle parental qui ont amené les femmes et leurs partenaires à promouvoir le partage des responsabilités ménagères.
L’évaluation de ce modèle a montré des gains économiques importants : l’emploi des femmes a augmenté de 31 % et la propriété d’entreprises de 138 %. L’insécurité alimentaire des ménages a diminué de 17,8 %, tandis que les femmes participantes ont enregistré une réduction de 22,8 % des scores de dépression. Parallèlement, la participation des pères à la garde d’enfants a augmenté de 23 %. Cependant, l’étude a détecté peu de changements dans le pouvoir décisionnel des femmes, les taux de violence entre partenaires intimes et les scores de développement et de nutrition des enfants.
Comparaison des options de garde d’enfants pour les vendeuses des marchés
Dans les marchés informels aux alentours de Kampala, en Ouganda, l’Ace Policy Research Institute a étudié les avantages, pour les vendeuses, des garderies dans les marchés par rapport aux garderies communautaires. Celles qui ont recours aux garderies dans les marchés ont vu une légère augmentation de leurs bénéfices et de leur satisfaction à l’égard de la vie, tout en passant moins de temps – environ une demi-heure par jour – à travailler. Étant donné que ces vendeuses avaient l’habitude de s’occuper des enfants tout en vendant leurs produits, l’accès à des services de garde leur a probablement permis de travailler plus efficacement.
Alors qu’aucun changement significatif n’a été observé dans le développement des enfants bénéficiant de services de garde dans les marchés, les scores de développement des enfants bénéficiant de services de garde communautaires se sont améliorés de 24 %. Leurs mères ont également été moins sujettes à la dépression et à l’anxiété. Cependant, elles ont consacré plus de temps aux activités de soins primaires, probablement parce qu’elles devaient préparer les dîners et amener leurs enfants à la garderie.
Les sondages ont révélé que les mères qui utilisaient l’une ou l’autre des deux options de garde d’enfants étaient plus disposées à payer pour la garde qu’auparavant. Cependant, elles ne paient qu’entre 3 USD et 4,6 USD (soit entre 4,2 CAD et 6,4 CAD), ce qui témoigne des ressources limitées de ces petites vendeuses. Aucune des deux options ne semblait avoir d’incidence sur l’initiative et le pouvoir décisionnel des femmes.
Donner des moyens aux « mamapreneurs » pour améliorer la qualité des services de garde
Dans les immenses bidonvilles du comté de Nakuru au Kenya, l'African Population Health Research Center a évalué le modèle « étoile et satellites » de Kidogo. Ce modèle utilise une approche de franchise sociale pour soutenir les fournisseurs de soins et offrir aux parents des services de garde de qualité. L’intervention a permis de créer un centre d’excellence qui servira de carrefour communautaire et de centre de ressources pour 52 satellites – des centres de soins dirigés par des femmes appelées « mamapreneurs ». Ces femmes ont suivi une formation et un programme de santé et de sécurité, et ont bénéficié d’un encadrement et de mentorat pour créer leur propre entreprise de garde d’enfants. Ce modèle a été comparé à des garderies existantes sans mise à niveau. Les mamapreneurs de Kidogo ont vu leur revenu moyen augmenter considérablement et ont acquis des compétences essentielles en gestion d’entreprise. Des améliorations de la qualité ont également été observées dans leurs garderies. Cependant, l’évaluation n’a révélé aucun changement significatif dans le temps que les mères consacraient à des tâches de soins non rémunérées ou dans leur situation économique.
La recherche a également attiré l’attention sur le fait que les soins sont une question de politique importante aux niveaux étatique et national. Cela a incité le ministère des services sociaux du comté de Nakuru à prendre les rênes des questions de garde d’enfants, en faisant pression pour l’achèvement des lignes directrices pour la prestation de soins et en assurant la collaboration entre plusieurs ministères. L’équipe de recherche a également contribué à l’élaboration d’une nouvelle politique nationale de soins pour le Kenya – en cours d’approbation par le Cabinet – qui vise à reconnaître, à réduire et à mieux répartir le travail de soins tout en améliorant les conditions de travail dans le secteur des soins.
Changer les mentalités des couples concernant le partage des soins
Dans les zones rurales du Rwanda, l’Institute of Policy Analysis and Research a évalué le modèle de changement de comportement des Réseaux des femmes chez les ménages comptant des enfants de moins de 12 ans. Le modèle a amené les hommes et les couples à réfléchir à la planification familiale, à la violence sexiste, à la masculinité positive et au travail de soins non rémunéré, tandis que les femmes ont été formées aux finances et à l’entrepreneuriat et encouragées à entreprendre un travail rémunéré. Les ménages ont également eu accès à des réservoirs d’eau communs afin de réduire le temps consacré à la collecte de l’eau. Pour les femmes, cette combinaison d’interventions a entraîné une augmentation de 92 % du travail rémunéré et une réduction de 10 % de la pauvreté vécue. Les couples ont constaté qu’ils avaient beaucoup plus de temps à consacrer à la ferme familiale, ce qui leur a permis de générer des revenus. Les femmes ont également subi moins de stress et une réduction de la violence entre partenaires intimes. Il est intéressant de noter qu’à mesure que les revenus de leurs épouses augmentaient, les hommes ont signalé une augmentation de 20 % de la pauvreté vécue. Selon les chercheurs, cela témoigne d’un changement chez les hommes qui, après avoir considéré le revenu gagné comme « leur propre argent », le considèrent maintenant comme une ressource du ménage.
Les entrevues et les groupes de discussion montrent un changement et une diminution du travail de soins non rémunéré. Comme l’a signalé une femme du district de Rwamagana : « La formation a changé la mentalité de mon mari concernant les activités domestiques non rémunérées. Il a appris que faire un tel travail ne peut pas lui enlever sa virilité, mais améliore le bien-être général de la famille. » De nombreuses femmes ont reconnu que le réservoir d’eau leur avait permis de gagner du temps, étant donné qu’elles étaient davantage chargées d’aller chercher de l’eau pour la maison.
Ces données probantes ont contribué à faire du travail de soins non rémunéré une question d’investissement économique – et pas seulement une question de genre – et ont accru la reconnaissance par le gouvernement de la contribution de ce travail au PIB. Un projet distinct de recherche sur les soins axé sur les politiques dirigé par Pro-Femmes/Twese Hamwe est parti de cette base. L’équipe a coordonné une coalition de la société civile et a fait participer deux ministères à l’intégration du genre dans la politique nationale d’investissement. La politique révisée met en place des lignes directrices visant à réduire les disparités entre les sexes et à encourager la participation des femmes dans le secteur structuré de l’investissement.
Faire participer les hommes et les garçons
En Ouganda, le modèle POWER a fait participer des hommes et des garçons pour qu’ils montrent l’exemple et a sensibilisé les dirigeants communautaires et les prestataires de services à la question du travail de soins non rémunéré, tout en faisant la promotion des associations villageoises d’épargne et de crédit pour les femmes. Une évaluation a montré que l’intervention complète, ou même les activités de sensibilisation en groupe pour les hommes et les femmes seulement, réduisait le temps consacré par les femmes à des soins non rémunérés, mais n’avait aucune incidence sur leurs activités économiques. Les femmes ont signalé que les hommes s’occupaient davantage de soins non rémunérés, notamment la cuisine, la garde des enfants et la lessive. L’analyse donne à penser que la formation, l’influence des pairs et la sensibilisation ont aidé les hommes à reconnaître la lourde charge à laquelle les femmes sont confrontées en raison du travail de soins non rémunéré.
Les femmes ont parlé de l’amélioration des relations familiales, en utilisant des mots comme « paix » et « harmonie », et de la réduction de la violence entre partenaires intimes, à mesure que les tensions liées au travail de soins non rémunéré diminuaient. Les témoignages indiquent que les normes sociales concernant le travail de soins non rémunéré étaient également en train de changer au niveau communautaire.
Plus d’investissements dans l’élargissement de l’application des innovations en matière de soins
En soutenant des activités rigoureuses de recherche et de défense des droits menées localement, le programme Croissance de l’économie et débouchés économiques pour les femmes – Afrique de l’Est a montré comment l’accès à des services de garde d’enfants abordables et de qualité et les efforts multidimensionnels visant à modifier les normes relatives au travail de soins peuvent améliorer le bien-être et la situation économique des femmes. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour donner aux décideurs une idée plus claire des coûts et des avantages des divers modèles et de la manière dont leurs composants peuvent être combinés et adaptés à des contextes locaux précis. Des efforts continus d’interaction avec la sphère des politiques – en misant sur la sensibilisation fondée sur des données probantes, la collaboration et la formation de coalitions – sont également nécessaires pour faire progresser l’appropriation par le gouvernement de secteurs de soins solides en Afrique de l’Est.
Lancée en 2023 par le CRDI et Affaires mondiales Canada, l’initiative Mettre à l’échelle les innovations en soins en Afrique s’appuie sur l’héritage de cette recherche pour nous aider à mieux comprendre les différentes méthodes d'expansion des innovations en matière de soins et les coûts qui s’y rattachent.
En savoir plus sur la façon dont la recherche déplace le fardeau des soins en Afrique de l’Est :
Réduire et mieux répartir le travail de soins non rémunéré des femmes en Afrique de l’Est : une synthèse des données probantes - Rapport de synthèse CEDEF Afrique de l’Est
Réduire et mieux répartir le travail de soins non rémunéré pour autonomiser les femmes sur le plan économique - Résumé des résultats de CEDEF Afrique de l’Est
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