Solutions pour améliorer l’accès des femmes aux vaccins pour le bétail

Les femmes jouent un rôle essentiel dans les systèmes alimentaires du monde entier et représentent les deux tiers des éleveuses de petite échelle. Pourtant, les besoins, les préférences et les contraintes sexospécifiques des éleveuses de bétail de petite échelle sont souvent négligés dans les efforts d’éradication des maladies dévastatrices du bétail qui menacent la sécurité alimentaire, nuisent aux moyens de subsistance et compromettent les possibilités d’autonomisation économique.
Pour faire face à ces réalités, un ensemble de quatre projets financés par le CRDI étudie les obstacles auxquels les femmes sont confrontées dans les systèmes de vaccination du bétail dans six pays : le Ghana, le Kenya, le Népal, le Rwanda, le Sénégal et l’Ouganda. Ensemble, les projets génèrent de nouvelles données probantes sur la façon dont les femmes peuvent mieux bénéficier et participer aux systèmes de vaccination, et comment les interventions basées sur l’élevage peuvent modifier les normes liées au genre dans les communautés.
La recherche est financée par le Fonds d’innovation en vaccins pour le bétail (FIVB), un partenariat entre Affaires mondiales Canada, la Fondation Bill et Melinda Gates et le CRDI. Le FIVB soutient le développement de vaccins abordables pour le bétail, cible les maladies qui touchent les femmes et les hommes éleveurs et facilite l’accès et l’utilisation des vaccins à grande échelle.
Il ressort des quatre projets que trois types d’interventions, mises en œuvre ensemble, sont essentielles pour avoir une incidence :
- garantir la disponibilité et l’accessibilité financière de vaccins efficaces pour les éleveuses de petite échelle, y compris celles des zones rurales;
- accroître les connaissances des femmes sur les vaccins pour le bétail;
- organiser des activités de sensibilisation de la communauté sur la question du genre.
Cette approche combinée garantit que les femmes sont informées des avantages de la vaccination, ainsi que de la manière, du moment et du lieu d’accès aux vaccins, ce qui augmente la probabilité qu’elles fassent vacciner leur bétail. Ensuite, pour changer les comportements, notamment en augmentant le recours aux vaccins, les femmes doivent être en mesure de prendre des décisions concernant leur bétail et avoir le soutien de leur conjoint et de leur communauté pour passer à l’action.
Pour cela, il faut remettre en question les normes de genre d’une communauté, qui peuvent restreindre le pouvoir de décision d’une femme, son contrôle sur les finances du ménage (y compris la vente de son propre bétail), sa mobilité et les rôles qu’elle est censée jouer au sein du ménage et de l’exploitation agricole.
« En disposant de connaissances sur les vaccins et avec le soutien total de leur communauté, les femmes peuvent donc prendre de meilleures décisions en matière de production, ce qui se traduit par une amélioration de la santé du bétail, une réduction de la mortalité, des revenus plus élevés et, surtout, une amélioration de l’efficacité personnelle », a déclaré Evelyn Baraké, agente de programme au sein du programme Systèmes alimentaires résilients au climat du CRDI.
Faits saillants de la recherche
Ces projets démontrent que trois types d’interventions, mises en œuvre conjointement, sont essentielles pour avoir une incidence :
- la disponibilité et l’accessibilité financière de vaccins efficaces pour les éleveuses à petite échelle;
- des interventions visant à améliorer les connaissances des femmes sur les vaccins pour le bétail;
- des activités de sensibilisation communautaire à la question du genre
SheVax+ : Un modèle commercial de distribution de vaccins axé sur les femmes
L’équipe du projet SheVax+ travaille au Rwanda, au Kenya et en Ouganda pour trouver des moyens d’améliorer l’accès des femmes aux vaccins pour le bétail et d’améliorer leur participation à la distribution, à la livraison et à l’utilisation des vaccins. L’équipe du projet travaille directement avec les propriétaires d’entreprise et les personnes qui administrent les vaccins afin de réduire les obstacles sexospécifiques au moyen de la formation et d’accroître l’accès des femmes à un travail rémunéré officiel en tant que travailleuses de première ligne en santé animale, vétérinaires et conseillères en élevage, de même que dans d’autres rôles au sein de la communauté.
« Nous mettons en œuvre des interventions qui remettent en question et modifient les relations entre les genres afin de renforcer le pouvoir des femmes et leur position en tant qu’utilisatrices et distributrices de vaccins tout en contribuant à augmenter la productivité », a déclaré Hellen Amuguni, chercheuse principale du projet et professeure agrégée à la Cummings School of Veterinary Medicine de l’Université Tufts aux États-Unis.
Jusqu’à présent, le projet a permis de former 24 femmes prestataires de services de santé animale (PSSA) aux processus de vaccination, améliorant ainsi les services qu’elles fournissent à quelque 140 000 ménages et faisant passer le ratio de PSSA de 1 pour 30 000 ménages à 1 pour 6 000 ménages.
Les femmes prestataires de services de santé animale ont également été équipées de réfrigérateurs à énergie solaire. En novembre 2022, au moins 30 réfrigérateurs à énergie solaire avaient été installés au Kenya, au Rwanda et en Ouganda pour améliorer l’accès aux vaccins dans les zones rurales.
SheVax+ permet la mise en place d’un modèle holistique et économiquement autonome qui autonomise les femmes à la fois en tant qu’agricultrices faisant un meilleur usage des vaccins pour soutenir leurs moyens de subsistance et en tant que prestataires de services qui sont formées et équipées pour fournir des services aux agricultrices de petite échelle dans leurs communautés. Ce modèle crée un cycle d’autonomisation qui profite aux femmes et à leurs moyens de subsistance, améliore la santé animale et augmente les taux de vaccination du bétail.

Briser les barrières au Népal, au Sénégal et en Ouganda
Le genre est loin d’être le seul facteur qui limite l’accès et la capacité de bénéficier des vaccins pour le bétail. En utilisant une approche transformatrice intersectionnelle entre les genres, l’équipe du projet « Promouvoir la participation des femmes aux chaînes de valeur des vaccins pour le bétail au Népal, au Sénégal et en Ouganda » a montré que les obstacles liés au genre peuvent varier d’un contexte à l’autre en fonction de facteurs tels que l’origine ethnique ou la caste, l’âge, l’état matrimonial et la situation géographique.
« Au Sénégal, on décourageait les femmes de conduire un vélo ou une moto, ce qui était considéré comme un comportement inapproprié des femmes en public », a déclaré Nargiza Ludgate de l’Université de Floride et chercheuse principale du projet.
« En Ouganda, les normes socioculturelles empêchent les femmes Pokot de s’approcher du bétail », a ajouté Mme Ludgate, citant la croyance culturelle selon laquelle les femmes Pokot qui ont leurs règles sont de mauvais augure pour le bétail.
Clara Chamusungun est originaire de la communauté Pokot et vit dans le district d’Amudat de Karamoja, dans le nord-est de l’Ouganda. Elle a d’abord travaillé dans une exploitation agricole et d’élevage à Amudat, mais a été frustrée par les prix élevés des médicaments pour le bétail et l’impossibilité d’accéder aux éleveuses et éleveurs nomades.
Elle est devenue assistante de recherche dans le cadre du projet dirigé par Mme Ludgate et a ensuite ouvert son propre magasin d’agriculture et d’élevage, tout en travaillant également comme agente de santé animale communautaire et en défendant l’éducation des filles dans des domaines à prédominance masculine, tels que les études vétérinaires, la médecine et l’ingénierie.
« Je suis en contact avec des milliers d’éleveuses et d’éleveurs », a-t-elle déclaré, ajoutant que, pour les femmes, « je ferai tout pour soutenir, encourager et défendre leurs droits à posséder des biens, y compris des terres et du bétail, entre autres ».
Ce projet démontre que la compréhension de la façon dont les normes liées au genre sont affectées par le chevauchement des facteurs identitaires et géographiques dans les communautés d’éleveuses et d’éleveurs de bétail est une étape clé dans l’élaboration d’interventions visant à aider les femmes comme Clara à surmonter les obstacles bien ancrés et de longue date.
Utiliser la technologie pour soutenir les agricultrices
Le projet Women Rear est un partenariat entre CARE Ghana, l’Institut international de recherche sur l’élevage et Cowtribe Technology, qui vise à accroître l’accès des agricultrices aux vaccins pour le bétail et à accroître la participation des femmes à la chaîne de valeur des vaccins au Ghana.
Le projet a révélé qu’au Ghana, les femmes font rarement vacciner leurs animaux, même lorsqu’elles connaissent l’existence des vaccins, en grande partie parce que les hommes ont le pouvoir de vendre ces animaux et de garder l’argent.
Agnes Loriba de CARE Ghana, et co-chercheuse principale du projet Women Rear, a déclaré qu’elle a mobilisé les leaders communautaires, les femmes et les hommes à réfléchir sur l’effet des normes culturelles et à la nécessité de changer, ajoutant qu’elle constatait « quelques progrès dans ce domaine » et que davantage de femmes sont soutenues « pour déclarer la propriété de leur bétail.
Le projet Women Rear a également permis de former des vaccinatrices et d’améliorer l’infrastructure de distribution des vaccins, notamment en améliorant la réfrigération. En 2020, Cowtribe a lancé une application de livraison de vaccins qui permet aux agriculteurs – femmes et hommes – d’accéder aux vaccins. L’application transmet également des messages vocaux dans les langues locales sur les avantages de la vaccination afin d’améliorer l’adoption.
À la fin de 2022, au moins 4 000 femmes s’étaient inscrites sur l’application et plus de 10 000 doses de vaccin avaient été livrées par l’intermédiaire de l’application.
« D’après un sondage après la vaccination réalisée en mars 2023, 82,5 % des agricultrices et des agriculteurs ont déclaré que leur bétail était en meilleure santé grâce à la vaccination », a déclaré Mme Loriba.
La combinaison d’un meilleur accès aux vaccins grâce à la technologie, d’une meilleure connaissance de la gestion du bétail et des vaccins et de dialogues communautaires sur les normes de genre entraîne des changements dans les pratiques et contribue à l’augmentation de l’utilisation des vaccins.
Accroître la participation des femmes à la distribution des vaccins au Kenya
Au Kenya, le projet Gender-Inclusive Vaccine Ecosystems (GIVE) vise à accroître la participation des femmes dans les chaînes de distribution de vaccins pour le bétail en réduisant les obstacles auxquels elles sont confrontées, comme les normes et les pratiques sexospécifiques et socioculturelles.
Le projet, qui se concentre sur la volaille et les petits ruminants, forme les femmes à l’élevage et recrute nombre d’entre elles comme vaccinatrices communautaires contre la maladie de Newcastle chez la volaille.
« La formation sur les techniques améliorées d’élevage de poulets, les vaccins, l’esprit d’entreprise et les avantages de la vaccination a permis aux agricultrices et aux agriculteurs d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour mieux élever leurs poulets et leurs chèvres », a déclaré Salome Bukachi, chercheuse principale et anthropologue à l’Université de Nairobi. « Une évaluation après la formation a montré que les agricultrices et les agriculteurs avaient appliqué certaines de ces connaissances, ce qui s’est traduit par une amélioration de la productivité et des revenus. »
Le projet GIVE a également mis au point un modèle d’approvisionnement en vaccins centré sur les agricultrices et les agriculteurs qui a permis de rapprocher les vaccins et les services de vaccination des agricultrices et des agriculteurs à petite échelle.
« Les agricultrices et les agriculteurs ont été formés en tant que vaccinatrices et vaccinateurs communautaires pour offrir des services de porte-à-porte à d’autres agricultrices et agriculteurs », a déclaré Mme Bukachi. « Grâce à ce service, les femmes ont gagné un revenu supplémentaire et ont gagné en confiance et en respect au sein de la communauté, ce qui a contribué à leur autonomie. »
Le projet démontre l’effet d’une approche holistique visant à modifier les comportements et à accroître l’utilisation des vaccins en améliorant l’accès aux vaccins, en fournissant aux agricultrices des connaissances sur l’élevage et les vaccins et en sensibilisant la communauté à la question du genre. Le succès de ce modèle a incité les responsables du projet à mobiliser les gouvernements locaux à intensifier le travail.
« Nous mobilisons le gouvernement du comté de Makueni dans le modèle d’approvisionnement en vaccins centré sur les agricultrices et les agriculteurs en vue de l’adopter et de le déployer dans le comté pour une incidence plus importante », a expliqué Mme Bukachi.