Aller au contenu principal

S’attaquer au problème de la vulnérabilité dans la réponse aux crises : Les leçons tirées de la pandémie

 

Les leçons tirées de la pandémie dévastatrice de COVID-19 présentent la possibilité de définir et de surmonter les contraintes critiques de la capacité de chaque pays à répondre aux crises tout en parvenant à un développement équitable. Au printemps 2020, le CRDI s’est mobilisé pour créer l’initiative COVID-19 Responses for Equity (CORE) afin de veiller à ce que les populations les plus vulnérables du monde ne soient pas laissées pour compte au milieu des bouleversements mondiaux et de l’évolution des priorités nationales. 

L’initiative CORE a spécifiquement cherché à comprendre et à évaluer comment les personnes les plus marginalisées du monde vivent une crise mondiale. Sur trois ans, elle a soutenu 20 projets de recherche dans 42 pays dans le but de comprendre les impacts socioéconomiques de la pandémie de COVID-19 et de concevoir des options politiques plus efficaces pour favoriser une reprise équitable. 

Cet effort collectif a conduit à un ensemble croissant de connaissances sur les réponses inclusives à la pandémie dans les pays du Sud en produisant plus de 210 publications. Les conclusions de l’initiative CORE s’articulent autour de trois questions clés au cœur d’une préparation équitable aux crises, notamment : 

  • Cerner les secteurs informels et les défis auxquels font face les groupes marginalisés dans la réponse aux crises 
  • Élaborer des politiques économiques à l’épreuve des chocs qui contribuent à l’égalité 
  • Assurer un soutien équitable aux moyens de subsistance et à la sécurité alimentaire 

Atteindre les plus vulnérables de l’économie informelle 

La pandémie a infligé une part disproportionnée de coups durs à la main-d'œuvre migrante et aux personnes travaillant dans le secteur informel, ainsi qu’aux personnes qui habitent des établissements informels. Ces groupes vulnérables ont subi des dommages plus importants dans leurs moyens de subsistance, ce qui a affaibli leur capacité à répondre à leurs besoins fondamentaux et les a obligés à adopter des stratégies d’adaptation, comme la vente de leur capital, ce qui a entravé la reprise. 

Un projet CORE, dirigé par l’International Centre for Research and Women (ICRW), a examiné les impacts socioéconomiques de la pandémie sur les femmes travaillant dans le secteur informel au Kenya, en Ouganda et en Inde. Les membres de l’équipe de recherche ont interrogé 1 500 vendeuses de rue et travailleuses domestiques à Delhi et dans la région de la capitale nationale. L’étude a mis en lumière la signification du travail informel et la manière dont la pandémie a exacerbé les vulnérabilités spécifiques des femmes travaillant dans les secteurs informels de l’économie indienne. 

Ces femmes ont subi des pertes économiques immédiates et à moyen terme sur le plan du revenu, de l’emploi et des épargnes. La pandémie a également nui à la propriété et au contrôle de leurs actifs, à leur autonomie financière, à leur accès aux ressources (nécessaires pour avoir accès à de la nourriture, à une sécurité ou à un logement) et à l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive. L’étude a révélé que, pendant le confinement obligatoire, 62 % des femmes interrogées ont perdu leur emploi, 32 % ont subi une réduction de leurs revenus et 94 % ont utilisé leurs économies personnelles pour gérer leurs dépenses. De plus, l’accès limité aux documents gouvernementaux pertinents a eu une incidence négative sur leur admissibilité aux services et aux droits. 

Les travailleuses du secteur informel de Delhi ont été contraintes d’emprunter massivement, souvent auprès de membres de leur famille, de cercles de pairs et d’organismes prêteurs, pour joindre les deux bouts. L’étude a montré que 87 % des femmes ont emprunté de l’argent au cours de la première phase du confinement, mais seulement 6 % auprès d’institutions financières formelles. Les femmes travaillant dans le secteur informel ont déclaré avoir dû hypothéquer leurs bijoux ou leur maison et beaucoup ont continué à être endettées en 2022. Elles dépendaient également fortement de l’aide gouvernementale pour gérer les conséquences financières de la pandémie. Pour celles qui n’avaient pas de documents d’identité gouvernementaux, soit un nombre important, l’accès à la ration gouvernementale et à d’autres avantages était très difficile, ce qui rendait leur situation plus précaire. 

L’ICRW exhorte les gouvernements à faire en sorte que les personnes qui travaillent dans le secteur informel soient régies par les lois formelles et, comme l’a dit Aditi Vyas, directrice adjointe, Genre, jeunesse et développement, « pour leur fournir les prestations de sécurité sociale auxquelles elles ont droit ». Le gouvernement pourrait améliorer l’accès aux documents gouvernementaux essentiels, tels que les cartes de rationnement et les cartes de santé, grâce à des campagnes de promotion et des visites de porte-parole, et en renforçant les capacités des leaders communautaires. 

Media
Couturière africaine au travail
iStock
La COVID-19 a exacerbé les inégalités existantes et accru la vulnérabilité des femmes travaillant dans l’économie informelle.

Des politiques économiques inclusives à l’épreuve des chocs 

Plusieurs équipes de recherche de l’initiative CORE ont examiné les mesures fiscales qui ont été mises en œuvre dans le monde entier pour atténuer l’impact de la pandémie, en accordant une attention particulière aux questions d’équité. La recherche menée par le South African Institute of International Affairs a cherché à examiner l’impact macroéconomique de la COVID-19 en Afrique. Malgré tous les efforts déployés par les pays pour mettre en œuvre des interventions de politique budgétaire, les structures et les politiques économiques existantes ont entravé les réponses à la pandémie de COVID-19. Les faiblesses comprennent la médiocrité des infrastructures numériques, le manque d’inclusion financière et sociale, et les politiques procycliques consistant à dépenser au lieu d’épargner (ou de rembourser la dette) pendant les booms économiques. 

La recherche a révélé que les périodes de confinement prolongées en Afrique du Sud, en Ouganda et au Nigéria ont eu un impact négatif important sur le bien-être social, comme l’emploi et la sécurité de l’emploi, en particulier dans le secteur informel. La Tanzanie, le Bénin et le Sénégal, qui avaient des économies à croissance plus rapide et moins de mesures de confinement, ont subi des impacts moins graves. Cependant, il convient de noter que la Tanzanie a connu une augmentation substantielle des taux de mortalité par rapport à l’Ouganda, qui avait des mesures de confinement plus strictes.   

L’équipe de recherche a recommandé que les gouvernements nationaux élargissent leur assiette fiscale au moyen d’impôts progressifs qui augmentent en fonction du revenu gagné, des taxes de vente et des taxes sur le carbone plus élevées, tout en utilisant les hausses de revenus pour régler le paiement de la dette. La priorité devrait également être accordée aux dépenses universelles en matière de sécurité sociale, de soins de santé et d’éducation, alignées sur les objectifs de développement durable des Nations Unies. Les économies plus robustes à l’échelle mondiale pourraient également utiliser des instruments financiers internationaux pour soutenir les investissements des banques multilatérales de développement dans le cadre du développement des infrastructures et aider à réduire la dette publique des pays à faible revenu. 

Enfin, les pays devront tirer parti des nouvelles technologies numériques pour veiller à ce que les prestations de sécurité sociale puissent atteindre leurs populations les plus vulnérables au-delà de l’économie formelle, tout en préservant l’infrastructure économique et financière des sociétés. 

Le travail se poursuit au SAIIA. « Notre plan consiste à tirer parti des leçons tirées de la vulnérabilité aux crises et de l’efficacité des mesures de relance afin de créer un indice de résilience macroéconomique à appliquer aux futures situations de crise », a déclaré Conrad van Gass, chercheur principal boursier au SAIIA. 

Soutien équitable aux moyens de subsistance et à l’alimentation 

Le dernier volet de la recherche menée dans le cadre de l’initiative CORE porte sur les effets profonds de la COVID-19 sur les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire, alors que les blocages et les récessions économiques ont plongé des millions de personnes dans la pauvreté et ont perturbé l’accès des ménages à des aliments nutritifs et à d’autres produits de première nécessité. 

Des membres de l’équipe de recherche de l’Arab Reform Initiative (ARI) et ceux de leurs organisations partenaires ont examiné les systèmes de protection sociale dans la région arabe, en mettant l’accent sur le Liban, la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie. La recherche a révélé que le niveau de vulnérabilité des personnes dépendait d’un mélange d’identités sociales et politiques croisées et du contexte économique auquel elles appartenaient. Par exemple, les personnes qui travaillent dans le secteur informel ont fait face à différents impacts de la pandémie, selon la présence ou l’absence d’interventions de l’État. Le genre a également joué un rôle crucial, tout comme les régions géographiques. Par exemple, une petite pêcheuse ou un petit pêcheur de la côte tunisienne a subi beaucoup moins d’impacts des fermetures liées à la COVID-19 qu’une vendeuse ou un vendeur de rue du secteur informel à Tunis. 

Cette recherche souligne l’importance que les données probantes peuvent jouer dans les dialogues politiques, en particulier dans cette région où les espaces politiques sont généralement fermés. « La COVID-19 a rouvert l’imaginaire et le discours public autour de la protection sociale, même si elle n’a pas nécessairement rouvert les espaces politiques », a souligné Nadim Houry, directeur général d’ARI. 

Les recherches de l’ARI ont contribué à la création de l’Arab Region Hub for Social Protection, une plateforme réunissant des groupes de réflexion, des groupes de médias, des universitaires, des activistes et des organisations non gouvernementales locales et régionales afin de faire part de leurs expériences et de repenser les politiques de protection sociale. Une communauté de pratiques et de connaissances sur la protection sociale dans la région, le pôle se veut une source incontournable de données probantes et de recommandations politiques pour défendre le droit à la sécurité sociale universelle. En 2023, la première édition de la campagne annuelle 26 jours d’activisme pour la protection sociale du pôle – qui se déroule entre la Journée mondiale de la santé le 7 avril et la Journée internationale du Travail le 1er mai – abordait principalement l’impact de la COVID-19 sur les groupes sociaux vulnérables, exprimant leur demande d’une protection sociale adéquate. 

Les effets disproportionnés de la pandémie sur les secteurs informels et les populations marginalisées ont poussé de nombreuses populations des pays du Sud dans une situation d’insécurité alimentaire, les ménages dirigés par des femmes étant les plus durement touchés. La recherche menée dans le cadre de l’initiative CORE a cerné des mesures visant à donner la priorité aux besoins alimentaires et financiers immédiats des populations vulnérables, telles que le soutien aux petites exploitations agricoles et aux chaînes d’approvisionnement locales, ainsi que des subventions en espèces à court terme et une aide alimentaire aux groupes marginalisés. Les systèmes de protection sociale doivent devenir plus inclusifs et plus flexibles afin d’étendre la couverture aux personnes des secteurs informels. 

Préparation à une pandémie future 

Les recherches menées dans le cadre de l’initiative CORE ont démontré qu’en temps de crise, les réponses peuvent soit accentuer et exacerber les clivages, soit favoriser l’équité et l’inclusion. La mine de données probantes de l’initiative souligne l’importance de comprendre les défis uniques auxquels font face les collectivités marginalisées en temps de crise et d’élaborer des interventions ciblées pour répondre à leurs besoins. 

Alors que le monde se prépare à de futures crises environnementales et humanitaires, les leçons apprises sur l’équité dans la préparation aux crises et les réponses de gestion devraient rester la priorité des leaders à l’échelle mondiale. 

En savoir plus : 

Collaboratrices : Tanya Bandula-Irwin et Mylène Bordeleau, chargées de programme, CRDI 

Faits saillants

  • La COVID-19 a exacerbé les inégalités existantes et accru la vulnérabilité des groupes marginalisés, en particulier les membres de la population migrante et les personnes travaillant dans l’économie informelle. 
  • Les futures interventions en cas de crise doivent examiner attentivement les schémas d’exclusion afin d’assurer un meilleur accès aux secours en cas de crise. 
  • Des mesures telles que le soutien aux petites exploitations agricoles et aux chaînes d’approvisionnement locales, les subventions en espèces à court terme et l’aide alimentaire aident à répondre aux besoins alimentaires et financiers immédiats des populations vulnérables. 
  • Les programmes visant à fournir un accès aux rations alimentaires et aux cartes de santé, à numériser les paiements, à étendre la sécurité sociale et à augmenter les recettes fiscales peuvent contribuer à protéger les économies des chocs.