Réalités croisées : quatre approches pour rendre l’adaptation locale plus inclusive
Les effets des changements climatiques touchent de manière disproportionnée les personnes les moins préparées et les plus défavorisées. Des caractéristiques croisées telles que le handicap, le sexe, l’âge, la pauvreté et la situation géographique peuvent mener à la création et au renforcement de pouvoirs, de privilèges, de désavantages et de discriminations.
Pourtant, en première ligne de la crise climatique, les communautés locales et les groupes marginalisés mènent souvent le changement, innovent et trouvent des solutions pour accroître leur résilience. Pour être véritablement habilitantes, les initiatives d’adaptation menées localement doivent reconnaître ces déséquilibres de pouvoir intersectionnels.
À quoi ressemble l’adaptation menée localement lorsque l’intersectionnalité est intentionnellement prise en compte dans le cadre d’une intervention? Voici quatre points de vue sur cette question qui ont émergé d’une séance d’apprentissage entre pairs organisée par le CRDI, le Climate and Development Knowledge Network (CDKN), le Centre africain pour le commerce et le développement (ACTADE) et le programme Climate Justice Communities (CJC) en Zambie à la 18e Conférence internationale sur l’adaptation à base communautaire au changement climatique (CBA18), qui s’est tenue à Arusha, en Tanzanie, en mai 2024.
L’adaptation locale est essentielle
Nous devons comprendre la complexité et le contexte locaux pour concevoir des actions appropriées qui reflètent la volonté et les préférences des gens qui peuvent facilement être laissés de côté parce qu’ils sont socialement exclus, et pour assurer une mobilisation adéquate des ressources.
Une compréhension nuancée des différents contextes, réalités et hiérarchies est essentielle pour contribuer à l’égalité. Les constructions sociales sont diverses et dynamiques – nous devons en être conscients, les analyser et les revoir régulièrement.
L’adaptation inclusive menée localement devrait garantir que les communautés locales peuvent parler pour elles-mêmes et cerner les capacités qu’elles souhaitent renforcer, au lieu de laisser des organisations intermédiaires parler en leur nom. Par exemple, ACTADE, dans le cadre du projet Renforcer la résilience des communautés en renforçant les systèmes de connaissances sur l’adaptation de l’agriculture en Ouganda (CRAKS), cherche à améliorer l’adaptation et la résilience des communautés agricoles semi-arides et vulnérables au climat en utilisant les connaissances locales, autochtones et scientifiques sur les changements climatiques. Le CRAKS, qui fait partie de l’initiative Activer le changement – un partenariat entre le CRDI et les Pays-Bas visant à favoriser une adaptation équitable et inclusive menée localement –, a mené une évaluation de l’inclusion sociale et sexospécifique dans les régions ciblées afin de mettre en évidence les identités qui se chevauchent et les désavantages multiples.
Une fois ces défis intersectionnels compris, CRAKS tend la main aux groupes marginalisés, en leur offrant des espaces pour discuter de leurs défis uniques en matière de création, de partage et d’utilisation des connaissances et pour générer des solutions. Étant donné que la coproduction de nouvelles connaissances est importante pour déterminer les réponses pertinentes en matière d’adaptation aux changements climatiques, l’une des solutions consiste à trouver des championnes et champions du climat au sein des groupes marginalisés. Ces personnes transmettent de l’information pertinente en utilisant des canaux de communication accessibles, tels que la radio et les réunions de groupe, et traduisent l’information dans les langues locales.
La législation est un facteur clé
La catégorisation sociale au sein des communautés et des systèmes politiques peut parfois conduire à des systèmes de désavantages et d’inégalités qui se chevauchent et sont interdépendants, en raison des intérêts politiques et des constructions sociales telles que le patriarcat.
La législation peut nous permettre d’adopter une approche plus intersectionnelle. Par exemple, au Kenya, les structures communautaires de gouvernance des changements climatiques connues sous le nom de comités de planification des changements climatiques de quartier (WCCPC) garantissent que le partage des avantages respecte les principes d’inclusion et d’équité. Cet effort est réalisé en tenant compte des expériences, des risques et de la résilience uniques des membres de la communauté dans l’établissement des priorités et la prise de décision touchant les actions climatiques menées localement.
Une récente étude de faisabilité menée par le CDKN dans cinq comtés du Kenya montre comment les gouvernements des comtés ont ancré l’inclusion intersectionnelle dans la législation sur les changements climatiques, afin de garantir que les voix de tous les groupes sociaux d’une communauté sont prises en compte dans la planification et la mise en œuvre d’actions climatiques menées localement.
Les membres des WCCPC représentent chacun des groupes sociaux de la communauté (p. ex. les femmes, les hommes, les jeunes, les personnes en situation de handicap et les organisations confessionnelles), les moyens de subsistance des communautés et la géographie de chaque comté. Les membres sont publiquement approuvés par les groupes sociaux qu’ils et elles représentent, ce qui renforce la confiance entre les membres de la communauté et envers le gouvernement, puisque les communautés planifient et prennent des décisions concernant les problèmes qui les touchent directement, dans le respect du principe de subsidiarité.
Les moyens de subsistance devraient être au centre de toute planification de l’intersectionnalité
L’intersectionnalité ne concerne pas les concepts que vous lisez dans les livres, que vous voyez à la télévision ou même que vous entendez lors de réunions comme celle-ci. Il faut du temps pour s’attaquer à l’intersectionnalité, le temps de s’asseoir et d’écouter les gens, les femmes, les fonctionnaires et leurs réalités.
Les projets ne devraient pas dicter, mais plutôt rassembler, faciliter et renforcer la confiance et l’autonomie des gens, en particulier lorsqu’ils ont un impact direct sur les moyens de subsistance. Les interventions devraient être co-créées pour permettre aux communautés de renforcer leur résilience en utilisant des sources de connaissances appropriées.
Le CRAKS, par exemple, a écouté la population pour comprendre la façon dont les problèmes croisés tels que le handicap, l’âge, la pauvreté et la situation géographique peuvent exacerber les inégalités entre les sexes. Une discussion de groupe a mis en évidence les efforts d’un groupe de jeunes pour former une association villageoise d’épargne et de crédit. Celle-ci a été créée pour aider les jeunes agriculteurs et agricultrices à faire face aux risques liés aux changements climatiques. Cependant, dans le cadre de cette initiative, les jeunes mères célibataires étaient exclues de la catégorie des jeunes, car étant mères, elles étaient considérées comme des adultes. Sachant cela, il est possible de prendre des mesures pertinentes pour soutenir les personnes qui sont laissées pour compte.
L’adaptation innovatrice et dirigée localement doit être inclusive, y compris en matière de handicap
Nous devons être plus intentionnels et tenir compte des diverses formes d’intersectionnalités lorsque nous promouvons l’adaptation communautaire. Cela nécessite de relever les différentes formes de discrimination que connaissent les groupes vulnérables, par exemple les femmes, les jeunes et les personnes âgées, et les différentes formes de discrimination qui entravent leur participation et leur utilisation des connaissances sur l’adaptation au climat.
Il est important de plaider en faveur de la dignité, de l’équité, du respect et de l’égalité, et d’agir délibérément pour fournir un soutien communautaire. Une approche inclusive de l’adaptation au climat nécessite une écoute intentionnelle de tous les groupes sociaux, en particulier ceux qui sont marginalisés. Cela signifie également que les approches inclusives et locales doivent être flexibles.
Le programme CJC en Zambie a élaboré une stratégie en matière d’égalité des sexes, de handicap et d’inclusion sociale. Il comporte des exigences d’inclusion visant les femmes, les jeunes et les personnes en situation de handicap, qui soulignent à quel point ces groupes marginalisés ne sont pas homogènes – les individus au sein des groupes ont des niveaux de vulnérabilité, d’aspirations et d’intérêts différents. Le programme a fait l’objet d’un exercice approfondi de cadrage ayant compris des consultations directes auprès de personnes en situation de handicap et de leur famille. Cela a guidé l’élaboration de la stratégie, qui vise à reconnaître les multiples niveaux de discrimination et les obstacles auxquels sont confrontés différents groupes de personnes.
Collaboratrices : Marie-Eve Landry, agente de programme, CRDI; Fatema Rajabali, responsable Afrique, CDKN; Esperanza Karaho, responsable de l'engagement des pays pour le Kenya, CDKN; Viola Musiimenta, directrice des programmes, ACTADE; Bruce Chooma, conseiller en matière d’invalidité, CJC Zambie
Une version de cet article a été initialement publiée sur le site Web du CDKN.