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Promouvoir une reprise post-COVID-19 équitable dans le secteur informel

 

Près d’un an après que l’Organisation mondiale de la santé a qualifié l’épidémie de COVID-19 de pandémie, les vastes répercussions socio-économiques du virus se font encore sentir. De plus en plus de preuves montrent que la pandémie accroît les inégalités, en particulier entre les hommes et les femmes.

Dès le début, elle a aggravé l’insécurité économique des femmes et augmenté leur risque de subir de la violence sexospécifique en raison des mesures d’isolement social. Alors que les gouvernements ont du mal à faire face aux implications profondes de la COVID-19, il est essentiel de disposer de données probantes qui mettent en lumière l’aggravation des vulnérabilités sexospécifiques, afin d’assurer une reprise post-pandémie plus équitable.

Les premiers résultats de l’initiative du CRDI, Réponses à la COVID-19 pour l’équité, qui est dotée de 25 millions de dollars canadiens sur trois ans, contribuent à constituer un corpus croissant de données probantes concernant les répercussions de la pandémie sur les femmes et apportent des connaissances pertinentes à l’échelle locale et nationale pour des réponses plus inclusives à la pandémie.

Plus de temps consacré aux soins non rémunérés

Les données recueillies dans le cadre de cette initiative de réponse rapide indiquent que la pandémie accroît les disparités entre les hommes et les femmes en ce qui a trait au temps consacré aux tâches non rémunérées, comme la cuisine, le ménage et la garde des enfants. Dans une étude portant sur 12 villes, l’organisme WIEGO (Femmes dans l’emploi informel : globalisation et organisation) a étudié les répercussions de la pandémie sur les travailleurs et travailleuses de l’informel, par exemple les travailleurs et travailleuses domestiques, les vendeurs et vendeuses de rue et de marché, et les récupérateurs et récupératrices de matériaux. L’étude a montré comment la COVID-19 a augmenté les responsabilités des femmes en matière de soins parmi ce segment déjà vulnérable de la population.

Pendant les confinements à Durban, en Afrique du Sud, les femmes du secteur informel ont signalé plus souvent que les hommes des augmentations des responsabilités ménagères non rémunérées. À Lima, au Pérou, les tâches ménagères des femmes ont augmenté, tout comme l’attente qu’elles s’occupent des enfants à la maison. Le travail supplémentaire a eu une incidence sur leur capacité à effectuer un travail rémunéré. À Delhi, en Inde, une tendance similaire se dessine. Alors que tous les travailleurs informels ont déclaré consacrer plus de temps aux responsabilités liées aux soins, les femmes ont fait état d’une augmentation plus importante du temps consacré à la cuisine, aux tâches ménagères, à la garde d’enfants et aux soins prodigués aux personnes âgées dépendantes. À Accra, au Ghana, les données indiquent également une augmentation globale des responsabilités liées aux soins, avec une plus grande augmentation du fardeau du soin des proches non rémunéré chez les femmes, ce qui aggrave une répartition déjà inégale de ces responsabilités.

Avant la pandémie, dans de nombreuses régions du monde, les femmes des ménages à faible revenu étaient déjà responsables de la majeure partie du travail non rémunéré. Les recherches menées dans le cadre du programme Croissance de l’économie et débouchés économiques des femmes (CEDEF) ont démontré que la charge supplémentaire que représente le travail de soins pour les femmes compromet leur santé et leur bien-être, renforce les normes sexistes néfastes et influe à la fois sur la qualité et la quantité du travail rémunéré qu’elles effectuent. Avec les effets cumulés des confinements liés à la COVID-19, ces disparités dans le travail de soins non rémunérés s’accentuent. Si elle ne se reflète pas à la fois dans les réponses à court terme et dans les efforts de redressement à long terme, cette réalité aura des répercussions négatives à long terme sur l’autonomisation économique des femmes et le bien-être de leurs communautés.

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Ndeye Ba, ramasseur de déchets à Dakar, au Sénégal, affirme que les acheteurs réduisent et retardent les paiements pour les matériaux récupérés, en raison de la pandémie de COVID-19. WIEGO
Marta Moreiras
Ndeye Ba, ramasseur de déchets à Dakar, au Sénégal, affirme que les acheteurs réduisent et retardent les paiements pour les matériaux récupérés, en raison de la pandémie de COVID-19. WIEGO

Les répercussions sur les moyens de subsistance et le bien-être

Sur les quatre continents couverts par l’étude de WIEGO, la pandémie a entraîné « une chute soudaine et massive des revenus » pour les travailleurs informels de tous les secteurs. Les revenus moyens ont chuté de plus de la moitié au moment où les restrictions liées à la COVID-19 ont atteint leur point culminant dans 11 des 12 villes étudiées, par rapport aux revenus pré-confinement. Dans certains secteurs, comme celui des récupérateurs et récupératrices de matériaux de Delhi, les femmes qui ont répondu à l’étude ont connu des baisses de revenu plus importantes que les hommes.

Les travailleurs et travailleuses informels ont eu recours à diverses stratégies d’adaptation pour atténuer ces pertes, notamment en puisant dans leurs économies, en empruntant de l’argent ou en mettant en gage des biens pour payer le loyer, les services publics, les factures de téléphone et d’autres dépenses essentielles. Ces stratégies peuvent apporter un certain soulagement à court terme mais auront des effets négatifs importants sur la résilience financière à long terme. Les femmes peuvent avoir une capacité plus limitée que les hommes à tirer parti de ces stratégies d’adaptation. À Delhi, par exemple, les travailleurs à domicile et les travailleurs domestiques sont moins nombreux que les travailleurs d’autres secteurs à déclarer puiser dans leurs économies, probablement parce qu’il s’agit principalement de femmes qui n’ont pas d’économies sur lesquelles se rabattre.

« Tout cela a été une surprise. Nous étions effrayés et inquiets parce que nous n’avions pas d’économies pour survivre tout ce temps [pendant le confinement] et nous ne pouvions pas travailler. Nous sommes restés à la maison pour protéger notre santé, mais maintenant nous nous inquiétons de ce que nous allons vivre », a déclaré un répondant à l’étude WIEGO.

Les recherches de WIEGO continuent d’approfondir l’examen de ces tendances et d’explorer comment les vulnérabilités des travailleurs se croisent. Par exemple, le statut professionnel, le lieu de travail, la race, l’origine ethnique, la caste, le statut migratoire et le genre des travailleurs peuvent accroître ou réduire les répercussions de la pandémie sur leurs moyens de subsistance et sur leur bien-être. L’organisme formulera des recommandations en matière de politiques d’après les résultats de l’étude, afin de prendre en compte les besoins des populations les plus touchées qui ne bénéficient pas d’une protection sociale lors des crises mondiales.

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Au Kenya, les femmes qui travaillent dans le secteur informel ont vu leurs moyens de subsistance touchés d’une manière qui aggrave les disparités existantes entre les sexes.
SAMBRIAN MBAABU / WORLD BANK
Au Kenya, les femmes qui travaillent dans le secteur informel ont vu leurs moyens de subsistance touchés d’une manière qui aggrave les disparités existantes entre les sexes.

Des politiques qui atteignent les plus vulnérables

L’initiative de réponse rapide du CRDI soutient également la recherche menée par l’International Center for Research on Women (ICRW) pour comprendre les répercussions de la pandémie sur les femmes qui travaillent dans l’économie informelle urbaine en Inde, au Kenya et en Ouganda. Dans ces trois pays, l’écrasante majorité des femmes exerçant un travail rémunéré font partie de l’économie informelle et ont vu leurs moyens de subsistance fortement perturbés par la pandémie.

La recherche étudie comment les choix politiques visant à répondre à la crise sanitaire ont de profondes répercussions sociales et économiques sur les populations vulnérables. Si les gouvernements ont mis en place des programmes d’aide économique pour compenser les pertes de moyens de subsistance dues à la pandémie, ces mesures ne répondent pas pleinement aux besoins des travailleurs du secteur informel et des femmes en particulier.

Par exemple, les femmes travaillant dans le secteur informel sont plus susceptibles que les autres membres de la société de ne pas avoir de documents d’identité et elles sont moins susceptibles d’avoir des contacts existants avec les administrations publiques et des institutions financières. Ces facteurs limitent leur capacité à bénéficier de paiements en espèces et d’autres mesures d’aide. Quant aux femmes qui ont accès à une aide, elles peuvent avoir un pouvoir de décision limité au sein de leur ménage concernant la manière d’utiliser ces fonds. Au Kenya, 60 % des établissements commerciaux non titulaires d’une licence appartiennent exclusivement à des femmes, ce qui rend difficile pour celles-ci l’accès à des mesures d’aide.

Les recherches de l’ICRW porteront également sur les effets des confinements et des autres restrictions de mouvement sur la violence sexospécifique ainsi que sur l’accès limité aux services de santé sexuelle et reproductive. L’objectif est de faire en sorte que les politiques contrecarrent ces risques au lieu de les accroître, compte tenu de l’aggravation de la précarité économique des femmes et des normes sexospécifiques néfastes existantes.

À l’instar de WIEGO, l’ICRW cherche à comprendre les stratégies de résilience adoptées par les femmes dans ces contextes – comme l’utilisation de l’épargne, le recours aux emprunts ou l’appel au soutien de groupes de la société civile ou d’autres réseaux communautaires. En analysant ces stratégies et en évaluant l’impact des politiques visant à atténuer les répercussions de la pandémie, l’ICRW cherche à promouvoir des réponses tenant compte de la dimension de genre ainsi que des mesures de reconstruction qui soutiennent véritablement les travailleuses vulnérables de l’économie informelle.

Des données probantes pour une reprise plus inclusive et durable

Quatre autres projets de recherche sont en cours dans le cadre de cette initiative pour étudier les effets de la pandémie sur les travailleurs du secteur informel :

Ces études, ainsi que de nombreux autres projets soutenus par le CRDI, visent à répondre à des questions cruciales pour éclairer des réponses plus équitables à la pandémie de COVID-19 :

  • Quelles sont les politiques nécessaires pour permettre à toutes les identités sexospécifiques de participer à une reprise inclusive et durable?
  • Comment les groupes marginalisés exercent-ils leur résilience?
  • Quel rôle ces groupes peuvent-ils jouer eux-mêmes dans la conception, la mise en oeuvre et le suivi des politiques visant à répondre à la crise?

En documentant les répercussions sexospécifiques de la pandémie, les réponses en matière des politiques et les stratégies de résilience des populations, les partenaires du CRDI fournissent les données probantes nécessaires pour que la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 favorise l’égalité des genres, les droits et l’inclusion.