Lutter contre la violence sexiste en ligne pour assainir la sphère publique numérique
La prolifération du discours haineux sexiste dirigé contre les femmes politiques en ligne, le harcèlement des personnes LGBTQI+, et la violence et la surveillance exercées par des partenaires intimes avec l’aide de la technologie révèlent les contradictions et les défis associés à Internet au XXIe siècle. Bien que les technologies numériques soient des outils puissants qui facilitent le partage d’information, l’expression de soi et l’organisation, elles peuvent également être utilisées pour supprimer ou diminuer les droits de la personne.
Environ 40 % de la population mondiale n’est toujours pas en mesure de se connecter à Internet, mais les personnes qui sont en ligne signalent de plus en plus d’incidents de violence et de harcèlement, en particulier les femmes et les personnes de genre non conforme. Les formes de comportement abusif comprennent le harcèlement, l’usurpation d’identité, le fait de surveiller ou de traquer une personne, le piratage, l’envoi répété de pourriels, le partage non consensuel d’images intimes et les menaces de mort. Cette violence facilitée par la technologie fait taire les voix féminines et queer, enracine un accès inégal au monde numérique, et a des effets effrayants et néfastes sur la vie des gens.
Bien qu’on rapporte des cas individuels, il manque encore de recherches statistiquement significatives sur les expériences en ligne des femmes et des communautés homosexuelles dans les pays du Sud, et sur les niveaux de harcèlement et de violence auxquels elles sont confrontées. L’évolution rapide du paysage technologique et des médias sociaux et les différences entre les plateformes de médias sociaux privilégiées dans divers pays entravent le travail de conception et d’évaluation de réponses qui fonctionnent, quelles que soient la région et la plateforme.
Pour combler cette lacune dans les connaissances, le CRDI a soutenu plusieurs projets de recherche visant à comprendre la nouvelle réalité, y compris la première enquête statistiquement significative menée dans les pays du Sud sur la violence sexiste facilitée par la technologie, ainsi qu’une recherche fondamentale sur la lutte contre le discours haineux sexiste, les possibilités d’un Internet féministe et la cybersécurité pour les communautés LGBTQI+.
Les résultats de ce riche corpus de recherche ont déjà un impact sur la gouvernance de la sphère publique numérique dans les espaces politiques internationaux et nationaux.
Données mondiales sur la violence et le harcèlement sexistes facilités par la technologie
Une enquête menée dans 18 pays a révélé qu’environ six femmes et personnes transgenres, non binaires et non hétérosexuelles sur dix ont été victimes de coercition et de harcèlement en ligne, de préjudices sexuels et d’atteintes à l’identité, à la réputation, à la vie privée ou à la sécurité. Dirigée par le Centre for International Governance Innovation (CIGI), cette recherche financée par le CRDI a atteint des échantillons représentatifs de personnes en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et en Asie, des régions du monde qui sont rarement incluses dans les sondages d’opinion sur les questions d’Internet.
Les résultats de l’enquête illustrent les effets de la violence en ligne. Près de la moitié des personnes qui ont été harcelées ont signalé des répercussions sur leur santé mentale, ayant dû lutter contre le stress, l’anxiété ou la dépression. Près de quatre personnes sur dix ont noté des effets négatifs sur leur capacité à communiquer librement et à exprimer leur point de vue en ligne. Plus du tiers ont déclaré que le harcèlement avait eu des effets négatifs sur leurs relations proches, ou qu’elles ne pouvaient pas se concentrer sur leur vie quotidienne. Parmi les personnes interrogées, 40 % des victimes ont déclaré qu’elles n’avaient jamais demandé d’aide, que ce soit dans leurs cercles personnels ou auprès d’organismes de soutien.
À l’aide de ces données, les acteurs du développement, des secteurs privé et public, peuvent concevoir des réponses plus efficaces à la violence sexiste facilitée par la technologie – éventuellement en réglementant les plateformes de médias sociaux en ligne et en prenant d’autres mesures juridiques, ainsi qu’en améliorant l’éducation sur les médias, la sécurité et d’autres sujets. Grâce au soutien renouvelé du CRDI, le CIGI étend la recherche à 22 autres pays afin d’explorer davantage les expériences en ligne des femmes et des communautés LGBTQI+ dans les pays du Sud.
Réponses juridiques et politiques aux discours haineux et à l’intimidation sexistes en ligne
Des femmes politiques et des personnalités publiques féminines du monde entier rapportent des niveaux inquiétants de violence sur les plateformes de médias sociaux. Des recherches fondamentales financées par le CRDI en Inde et au Brésil ont été menées en vue d’élaborer une stratégie globale de changement sociétal et juridique, et de lutter contre la prolifération du sexisme et des discours haineux misogynes qui prolifèrent dans la sphère publique numérique.
IT for Change a mené une enquête approfondie sur la jurisprudence en Inde afin d’examiner les défis liés à l’accès à la justice. L’équipe de recherche a cerné 90 cas de femmes cherchant à obtenir réparation pour diverses formes de sexisme, de misogynie et de violence sexiste en ligne. Elle a conclu qu’en dépit d’une certaine protection offerte par des lois solides sur le droit à la vie privée en Inde, l’absence de disposition juridique spécifique permettant de relever ces défis, tels que la circulation non consensuelle d’images intimes, nuit grandement à la capacité du système judiciaire de reconnaître le harcèlement sexiste en ligne et d’y réagir. Le projet a réuni un réseau de spécialistes composé d’éminentes praticiennes et juristes féministes afin de catalyser le débat public sur les réformes juridiques spécifiques nécessaires. Le prochain guide de ressources juridiques ciblant les juges et les avocats et avocates, qui devrait être lancé en 2023, offrira une analyse globale de la cyberviolence sexiste et des solutions qui existent dans le cadre de la loi et qui sont fondées sur les droits et axées sur les victimes.
IT for Change a également étudié la prévalence du discours haineux sexiste sur Twitter en Inde, en documentant les lacunes de la législation touchant la gouvernance du contenu et les techniques automatisées de détection des propos haineux sur les plateformes de médias sociaux privilégiées, en ce qui concerne les insultes sexistes et le trollage.
En mettant l’accent sur les femmes politiques et les personnalités publiques, InternetLab, partenaire de recherche du CRDI, a analysé les commentaires sur les réseaux sociaux concernant les candidates et les candidats aux élections municipales de 2020 au Brésil, à un moment où ces personnes privilégiaient les campagnes en ligne en raison de la pandémie de COVID-19. InternetLab a découvert que les candidates étaient plus exposées à la violence politique en ligne, en particulier sur Twitter, les attaques faisant souvent allusion à leur corps, à leur calibre intellectuel et à leur moralité. La violence verbale visait également les femmes en raison d’autres marqueurs sociaux tels que leur race, leur classe sociale, leur âge et leurs expressions de sexualité et de genre.
« Par rapport aux hommes, les femmes étaient plus souvent attaquées pour ce qu’elles sont – femmes, noires, âgées, transgenres – tandis que les hommes étaient attaqués principalement pour leurs performances professionnelles en tant que politiciens et administrateurs publics », a écrit InternetLab, notant toutefois que des candidats masculins étaient également la cible de discours haineux et agressifs en raison de leur âge ou de leur appartenance à la communauté LGBTQI+.
Les conclusions d’InternetLab ont influencé la législation adoptée en août 2021 qui criminalise la diffusion de faussetés concernant des candidates et candidats pendant une campagne électorale. L’organisation continue de mettre au point des outils pour lutter contre la violence sexiste en ligne, comme un lexique du discours haineux en portugais sélectionné à la suite d’un concours organisé par Twitter, et du matériel de formation visant à aider les candidates et candidats et les partis à lutter contre la violence politique fondée sur le genre.
Coalition pour la liberté en ligne
Les conclusions et les solutions issues de la recherche financée par le CRDI sur la violence fondée sur le genre appuient le leadership du Canada au sein de la Freedom Online Coalition, un groupe de 34 gouvernements qui travaillent ensemble pour faire progresser la liberté numérique. Présidée par le Canada en 2022, la coalition a renouvelé son engagement à faire progresser la liberté sur Internet et les droits de la personne en ligne, y compris en luttant contre la violence en ligne dirigée contre les femmes et les personnes LGBTQI+.
Le CRDI collabore avec le groupe d’appui de la coalition dans le but d’accroître la participation de spécialistes des pays du Sud dans l’élaboration des normes et des lois nationales pour lutter contre la désinformation et la violence sexiste en ligne.
Construire une sphère numérique féministe
Plusieurs autres volets de la recherche financée par le CRDI contribuent au savoir afin de promouvoir une sphère numérique équitable et féministe. Situé à la Munk School of Global Affairs & Public Policy de l’Université de Toronto, le Citizen Lab mène des recherches et travaille au renforcement des capacités en ce qui concerne les menaces à la liberté d’expression en ligne qui touchent les communautés LGBTQI+ dans les pays du Sud, et s’intéresse particulièrement à la censure sur Internet.
Le Feminist Internet Research Network a engagé des chercheuses féministes de premier plan du monde entier pour explorer les problèmes critiques de notre écosystème numérique, y compris la violence sexiste en ligne. Le soutien du CRDI à ce réseau de renforcement sur le terrain aide à révéler les lacunes critiques dans la recherche et dans l’élaboration des politiques nécessaires pour favoriser un Internet qui permette l’égalité des genres dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Par exemple, des recherches menées dans cinq villes africaines documentent la prévalence de la violence sexiste en ligne, les expériences des femmes dans ce domaine et les réponses à apporter au problème.
L’enjeu de la lutte contre cette forme de violence et de harcèlement n’est pas seulement la pleine participation des femmes à la sphère publique numérique, mais aussi l’égalité des genres dans le monde physique.
« Bien qu’Internet soit un miroir de la dynamique sociale, il contribue de plus en plus à créer et à cimenter des récits influents qui ont un impact plus large sur les sociétés, à la fois positif et négatif », a déclaré Ruhiya Seward, agente de programme principale au CRDI. « Les menaces qui pèsent sur l’autonomisation des femmes, des filles et des communautés LGBTQI+ et les possibilités dans ce domaine se trouvent dans cette dynamique circulaire entre les mondes numérique et physique. »
Le CRDI continue de soutenir la recherche visant à déterminer la façon dont les gouvernements, le secteur privé et les organisations de la société civile peuvent lutter contre la violence et le harcèlement fondés sur le genre en ligne, et à trouver le juste équilibre entre la transparence en ligne et le droit à la vie privée des internautes.
Contributrice : Ruhiya Kristine Seward, agente principale de programme au CRDI
Faits saillants
- Une enquête mondiale se penche sur les expériences des femmes et des communautés LGBTQI+ en matière de violence sexiste en ligne.
- Des recherches menées au Brésil et en Inde explorent les avenues de réponses juridiques et politiques aux discours haineux et à l’intimidation sexistes en ligne.
- L’appui du CRDI à la recherche sur la violence fondée sur le genre assistée par la technologie vise à bâtir une sphère numérique féministe qui favorise l’égalité des genres.