L’importance des données pour l’égalité des sexes

Fait partie d’une série d’articles sur les solutions favorables à l’égalité des sexes
La loi interdit le féminicide, le meurtre délibéré de filles ou de femmes en raison de leur sexe, dans plus de 18 pays d’Amérique latine. Ailleurs dans le monde en développement, les politiques et les lois visent également à lutter contre l’infanticide des filles, les crimes dits d’honneur et les meurtres de dot.
Mais selon Silvana Fumega, directrice de la recherche et des politiques à l’Initiative de données ouvertes d’Amérique latine (ILDA), la façon dont les gouvernements et les institutions recueillent des données sur ces meurtres peut faire une énorme différence pour ce qui est de comprendre la portée du féminicide, et trouver comment l’arrêter.
« Nous avons besoin de protocoles simples et clairs pour comprendre ce que nous mesurons et quand nous le mesurons », a déclaré Mme Fumega lors d’une table ronde parrainée par le CRDI à Ottawa, en novembre 2018. « Vous avez le système judiciaire, les forces de sécurité et le pouvoir exécutif, et nous devons être clairs sur le titulaire [de ces protocoles], qui en assumera la responsabilité. »
La normalisation assure la validité des données recueillies sur les féminicides. Par exemple, l’utilisation de définitions normalisées d’un pays à l’autre et la collecte de données comparatives sur les auteurs et les lieux des meurtres fournissent des informations précises à ceux qui élaborent des moyens de combattre ces crimes.
Le CRDI appuie les travaux de l’ILDA sur la violence sexospécifique et d’autres recherches qui améliorent la visibilité des femmes, des filles et de leurs besoins dans les données recueillies partout dans le monde. La recherche remet en question les structures de pouvoir qui contribuent à rendre les femmes invisibles, lois, pratiques et normes sociales discriminatoires, afin de produire des données sur l’égalité des sexes. Une fois que les données existent, elles peuvent fournir les preuves nécessaires pour éliminer les obstacles structurels à l’égalité des sexes. L’experte Shaida Badiee, directrice générale d’Open Data Watch, l’a exprimé de façon succincte : « Pour arriver à l’égalité des sexes, nous avons besoin de l’égalité des données. »
Ce qui est mesuré détermine ce qui est visible
« Les données, leur collecte, leur interprétation et leur utilisation ne sont pas neutres », a déclaré Mme Badiee lors du Groupe de réflexion de novembre. Elle a poursuivi en expliquant que ce qu’un pays choisit de mesurer affecte ce qu’il peut apprendre sur une population ou un sujet. « Le formulaire de collecte de données d’un pays permet-il aux femmes d’être inscrites comme chefs de famille ? Recueille-t-il des données sur les taux de cancer de l’ovaire et du col de l’utérus ? Qu’en est-il de la grossesse chez les adolescentes et des naissances qui en résultent ? » demande-t-elle.
« Pour nous, les données sexospécifiques sont en fait des données qui mesurent le statut et la situation des femmes », a dit Mme Badiee. La façon dont les intéressés utilisent les données, dans ce qu’elle décrit comme une chaîne de valeur des données, doit accroître la valeur des données pour qu’elles puissent avoir une incidence sur la politique publique.
Pour arriver à l’égalité des sexes, nous avons besoin de l’égalité des données.
Le Centre d’excellence sur les systèmes d’enregistrement et de statistiques de l’état civil (ESEC), un partenariat avec Open Data Watch du CRDI, décrit une multitude d’obstacles et de lacunes que les gouvernements des pays en développement doivent surmonter pour que les femmes et les filles puissent être considérées comme des êtres humains uniques ayant des besoins spécifiques.
Les systèmes ESEC recueillent des données sur le décès et ses causes, les naissances, les mariages et les divorces. L’un des nombreux avantages de ces données est qu’elles donnent accès à des documents, tels que des certificats de naissance, qui peuvent fournir la preuve nécessaire de l’identité légale des filles et des femmes et leur permettre de bénéficier des services de santé, d’éducation, bancaires et d’inscription électorale. Il peut également donner aux femmes les moyens de revendiquer des droits de propriété et d’héritage.
Mme Badiee a également souligné l’importance de mettre les données à la disposition de celles qui sont à la source. Par exemple, le partage des données sur le travail non rémunéré à domicile et le travail de soins au sein des communautés a permis aux gens de voir combien de temps les filles consacraient à ce type de travail par rapport aux garçons. Ils ont pu ainsi discuter des effets sur les études des filles, la participation aux sports et la vie sociale.
Des données ouvertes pour une action universelle
L’ouverture des données, leur disponibilité pour d’autres organisations, les gouvernements et les citoyens, peut avoir un plus grand effet sur les politiques et les décisions parce que plus de participants peuvent les appliquer dans la réalisation de l’égalité sexospécifique.
Silvana Fumega a expliqué que le besoin de données précises sur le féminicide en Amérique latine existe, mais que le système officiel d’enregistrement n’est pas encore complet. « Les organisations de la société civile, même les individus, interviennent pour combler cette lacune. Au Mexique, il y a une femme célibataire qui possède la base de données la plus à jour sur les féminicides », a dit Mme Fumega. « Elle est connue sous le nom Princesa, qui est princesse en français. »
Les journalistes écrivent des articles en se basant sur ses ensembles de données. Des assemblées législatives qui cherchent à adopter des lois visant à réduire la violence utilisent ses cartes répertoriant les cas rapportés dans les médias. Mais ces mesures palliatives ne seront pas aussi efficaces que les statistiques officielles lorsqu’elles seront disponibles.
Nous nous efforçons d’inclure le genre, et pas seulement le sexe binaire, dans la production et l’enregistrement des données.
Mme Fumega indique que les réseaux officiels devront faire preuve de prudence, car les femmes transgenres peuvent ne pas figurer dans les statistiques sur les féminicides. Cela peut se produire s’ils n’ont pas été en mesure d’obtenir une pièce d’identité en tant que femme ou s’ils n’ont pas pu opter pour un choix de sexe autre que masculin ou féminin. « Nous nous efforçons d’inclure le genre, et pas seulement le sexe binaire, dans la production et l’enregistrement des données. », a dit Mme Fumega.
« Il faut également veiller à la sécurité et à la protection de la vie privée », prévient-elle. « Ouvert n’est pas le contraire de privé. C’est un complément, et il faut des protocoles de sécurité. » Par exemple, si les données ne sont pas soigneusement rendues anonymes, la publication de données sur les refuges pourrait exposer les femmes qui fuient la violence et les mettre en danger.
Des données pour répondre aux besoins des femmes en matière de santé
L’égalité des donnes consiste également à dresser un tableau complet des services dont les femmes et les filles ont besoin.
Le Bangladesh utilise les données d’une manière innovante pour aider à gérer les services de santé disponibles pour le nombre croissant de femmes et de filles marginalisées dans les zones urbaines. Le système national de santé a été conçu pour fournir des services dans les zones rurales, mais comme 35 % des Bangladais vivent maintenant dans des zones urbaines, il est confronté à des difficultés dans la prestation de services équitables dans toutes les régions. La santé de la mère, de l’enfant et de l’adolescente a tendance à se dégrader le plus parce que des millions de femmes et de filles ont émigré vers les villes pour travailler dans des usines textiles et de confection.
« Lorsque les pauvres des zones urbaines reviennent du travail [à la fin de la journée], la plupart des établissements de santé primaires gouvernementaux sont fermés et ils finissent par se tourner vers le secteur non officiel », a déclaré Sohana Shafique, chercheuse principale au International Centre for Diarrhoeal Disease Research, Bangladesh (icddr, b), lors du débat d’experts.
Pour atteindre une couverture santé universelle, nous avons besoin d’une représentation complète de toutes les personnes qui ont besoin de soins.
Les femmes urbaines se tournent vers les centres de santé gérés par des organismes à but non lucratif, des propriétaires privés et des pharmacies. « Ces établissements offrent peu de services, ont une capacité limitée de diriger les patients à des niveaux de soins plus spécialisés et fonctionnent en dehors des systèmes nationaux d’information de gestion de la santé », explique Mme Shafique.
Avec la collaboration du CRDI, l’icddr, b a élaboré le Urban Health Atlas pour fournir des données géoréférencées sur les services offerts aux femmes et aux filles dans les grandes villes du Bangladesh. L’atlas interactif en ligne vise à fournir aux gestionnaires de la santé les données dont ils ont besoin dans la redistribution des services, en particulier dans le domaine vital de la santé des mères et des enfants. Cette étape importante vers la couverture santé universelle permet au pays d’améliorer la planification, le référencement et la supervision des services de santé dans les zones urbaines du Bangladesh.
Des systèmes de données cohérentes
La répartition fragmentée de la propriété des données est un défi majeur dans toute tentative de produire et d’utiliser des données pour l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes. Shaida Badiee se réjouit des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, qui fournissent un cadre pour la collecte de données nationales. Avec 193 pays qui se sont engagés en faveur des OMD, Mme Badiee est convaincue qu’avec un financement adéquat, les lacunes dans les données qui ont longtemps dissimulé les femmes et les filles aux yeux du public pourront être comblées. « Un grand nombre de ces organismes qui ne se sont jamais parlé sont en train de collaborer maintenant », dit-elle.
Silvana Fumega, Shaida Badiee, et Sohana Shafique étaient des expertes invitées dans le cycle de conférences « Solutions pour l’égalité sexospécifique ». Elles ont pris la parole lors du débat d’experts « Qui compte ? » « Faire en sorte que les données et les systèmes de données profitent aux femmes et aux filles » [traduction libre] le 22 novembre 2018, à Ottawa, au Canada. Le cycle de conférences dresse un compte rendu des efforts déployés par le CRDI pour appuyer l’égalité sexospécifique dans le monde en prévision de la conférence internationale Women Deliver 2019, qui se tiendra à Vancouver du 3 au 6 juin 2019.