Les emplois sur les plateformes numériques de travail donnent des résultats mitigés pour les femmes
L’évolution rapide des technologies a bouleversé les modèles d’emploi traditionnels et diversifié la manière dont les gens fournissent et consomment des biens et des services.
Dans le monde entier, des femmes vendent désormais des marchandises sur des plateformes de commerce électronique et sur les médias sociaux, proposent des services en ligne en tant qu’indépendantes ou se connectent à des clients par l’intermédiaire d’applications pour fournir des services en personne. Ces nouvelles formes de travail dans l’économie de plateforme promettent davantage de souplesse, d’autonomie et d’indépendance économique que les marchés du travail traditionnels et hors ligne n’offrent pas nécessairement.
Si la technologie peut créer des occasions pour les femmes et les rendre autonomes, elle peut aussi renforcer les inégalités, créer des préjugés et refléter les obstacles traditionnels qui empêchent les femmes d’entrer sur le marché du travail.
En réponse à ces nouveaux défis, le CRDI a soutenu une recherche portant sur les expériences des femmes dans les emplois de plateforme au Cambodge, en Inde, aux Philippines, au Sri Lanka et en Thaïlande. Cette recherche a permis d’examiner les répercussions de l’économie de plateforme sur l’autonomisation économique des femmes, leur capacité à prendre des décisions et leur rôle au sein des familles et des sociétés. La recherche a également permis d’examiner les répercussions de l’économie de plateforme sur les normes de genre existantes, la sécurité sociale et les avantages sociaux, ainsi que les politiques nécessaires afin de protéger les travailleuses dans le cadre de ces nouvelles modalités de travail médiatisées par le numérique.
Les chercheures et chercheurs ont constaté que si les femmes de tous les pays ont fait état d’effets positifs sur les revenus et de certaines formes d’autonomisation, les inégalités auxquelles elles étaient traditionnellement confrontées se reproduisaient dans les emplois sur plateforme et pouvaient ainsi les exclure du marché du travail médiatisé au moyen des plateformes numériques.
Faits saillants
- Les femmes de cinq pays asiatiques ont indiqué bénéficier d’un travail fourni au moyen de plateformes numériques, tout en étant confrontées aux mêmes inégalités que dans l’emploi traditionnel.
- Attirées par la nature souple du travail sur les plateformes, elles ont constaté que les horaires de travail flous aggravaient leur juste équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
- La capacité des femmes à naviguer sur les plateformes numériques et à y prospérer dépend d’atouts comme l’éducation, la possession d’un appareil numérique et l’accès à un moyen de transport.
- Dans le cadre du travail sur les plateformes, les femmes victimes de harcèlement physique et de violence fondée sur le genre n’ont souvent pas bénéficié de formes de protection adéquates.
Le paradoxe du travail souple
Le travail à court terme basé sur des projets dans l’économie de plateforme, connu sous le nom de « travail à la demande », permet aux femmes de choisir quand et combien elles travaillent. Dans une étude portant sur l’économie de plateforme avancée en Thaïlande réalisée par le réseau JustJobs, les femmes ont cité la souplesse, ainsi que le revenu, l’autonomie et les économies de coûts, comme les principaux avantages du travail sur les plateformes. Toutefois, les femmes ont également indiqué que, malgré la souplesse des conditions de travail, le flou des horaires de travail avait des répercussions négatives sur le juste équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
L’Institut d’études sur le développement des Philippines (PIDS) a mené des enquêtes en 2020 pendant la pandémie de COVID-19 et a constaté que les femmes, en particulier les mères, estimaient la souplesse du travail numérique et les possibilités de formation en ligne. Malgré cette souplesse, les résultats montrent également que le programme de formation en ligne du gouvernement des Philippines, intitulé DigitalJobsPH (DJPH), a connu une baisse annuelle des taux d’achèvement de la formation chez les femmes.
Dans la recherche menée par le réseau JustJobs en Thaïlande et au Cambodge, les femmes ont indiqué effectuer 12,6 heures de travail d’assistance par semaine, contre 7,5 heures par semaine pour les hommes. C’est ce qui motive de nombreuses personnes à chercher un emploi en ligne, comme l’explique une Thaïlandaise de 44 ans : « c’est parce que je voulais m’occuper de ma famille que j’ai commencé à travailler en ligne ». La souplesse de ces nouveaux emplois tend donc à renforcer les normes traditionnelles de genre et la responsabilité disproportionnée de femmes dans le travail non rémunéré en plus du travail rémunéré.
Au Sri Lanka et en Inde, l’étude menée par LirneAsia et le Centre for Policy Research a révélé que les délais de réponse très courts pour le travail indépendant peuvent désavantager les femmes ayant des responsabilités en matière de soins. Elles peuvent être pénalisées pour leur manque de réactivité ou encore leur incapacité à travailler.
À la fois autonomes et isolées
Le travail sur les plateformes offre une stabilité financière, ce qui peut être particulièrement important pour les femmes soumises à des normes patriarcales rigides. Mais lorsque le travail est effectué à la maison, il peut limiter la mobilité des femmes et leur offrir peu de possibilités de se mobiliser dans des réseaux professionnels à l’extérieur du foyer. La nature isolée de ce travail empêche également la négociation collective et la capacité de ces travailleuses à garantir leurs droits et à répondre à leurs griefs.
En Thaïlande et au Cambodge, les chercheures et chercheurs ont constaté que si le revenu personnel des femmes peut augmenter, la nature précaire des emplois, l’absence de progression de carrière, la réglementation inadéquate des plateformes, le manque de protection des travailleuses et la dynamique concurrentielle des prix et des modèles des plateformes limitent l’autonomisation des femmes et peuvent même renforcer les préjugés en fonction du genre.
La nature informelle de ce travail se reflète dans la manière dont les pays classent le travail sur les plateformes dans le cadre de leurs statistiques sur la main-d’œuvre, ce qui a une incidence directe sur les formes de protection ainsi que les filets de sécurité offerts aux travailleuses de l’économie de plateforme.
Une question d’atouts et de niveau de compétences
Les chercheures et chercheurs ont observé une dualité sur le marché du travail des plateformes. D’une part, les travailleuses hautement qualifiées peuvent facilement naviguer sur les plateformes numériques et développer leur carrière. Elles ont tendance à être plus jeunes et davantage mobiles et ont un accès plus facile à la technologie. En revanche, les travailleuses peu qualifiées de l’économie des plateformes sont concentrées dans des emplois peu rémunérés et des professions traditionnellement réservées aux femmes, comme les salons de beauté et les services de bien-être.
Quel que soit le type de travail sur plateforme – en ligne ou dans un lieu particulier – toutes les études ont montré que les atouts dont disposent les femmes sont essentiels pour déterminer leur capacité à prospérer dans l’économie de plateforme. Ces atouts comprennent les compétences et l’éducation, le fait de posséder des appareils numériques et les modes de transport pour le travail se déroulant dans un lieu particulier, comme le transport et le travail domestique, l’accès à Internet et le crédit. Les réseaux sociaux et professionnels ainsi que les connaissances nécessaires pour naviguer dans le cadre des différentes modalités des plateformes ont également des répercussions sur la possibilité pour les femmes de bénéficier des occasions offertes par l’économie de plateforme.
Pressions et biais algorithmiques
La précarité dans l’économie de plateforme peut s’exacerber au fur et à mesure que la technologie progresse. Les systèmes d’évaluation et de récompense, les modèles de tarification et les algorithmes imprévisibles qui influencent la fréquence à laquelle les biens ou les services d’une travailleuse sont mis en avant sur les plateformes ou le nombre de contrats qu’elle obtient confèrent une certaine volatilité au travail sur les plateformes. Cela peut renforcer les obstacles en fonction du genre, comme les contraintes en matière de mobilité, le travail de garde, les restrictions de temps, la violence fondée sur le genre et le harcèlement pour les travailleuses à la demande en ligne.
Les travailleuses à domicile en Thaïlande et au Cambodge ont signalé les répercussions des algorithmes en constante évolution et des règles des plateformes sur leurs revenus et la stabilité de leurs entreprises. Par exemple, une détaillante de produits de soin de la peau âgée de 33 ans a souligné les difficultés relatives à la promotion de son entreprise sur les médias sociaux : « Si nous voulons faire de la publicité pour nos articles, ils nous demandent de plus en plus d’argent tout en réduisant la visibilité de nos articles ».
Dans le cadre du travail sur plateforme, les femmes sont victimes de harcèlement physique et en ligne et de violences fondées sur le genre, souvent sans pour autant bénéficier de formes de protection adéquates ou d’une réparation immédiate de leurs griefs. Selon la recherche menée par l’Institut de l’économie et du travail équitables en Thaïlande, par exemple, 35 % des femmes massothérapeutes dans le cadre de l’économie de plateforme ont indiqué avoir été victimes d’une forme ou d’une autre de harcèlement sexuel dans l’exercice de leur profession. Dans son étude au Cambodge et en Thaïlande, le réseau JustJobs a constaté que, parmi tous les types de plateformes, les médias sociaux présentent un profil de risque plus élevé pour le harcèlement sexuel en ligne, étant donné que les femmes qui font la promotion de produits et de services sur ces canaux préfèrent être visibles pour dialoguer avec les clients.
Bâtir une économie de plateforme davantage inclusive pour les femmes
Chaque équipe de recherche a travaillé directement avec les décisionnaires politiques et les entreprises de plateformes afin de concevoir des actions visant à lever les obstacles.
L’Institut d’études sur le développement des Philippines (PIDS), par exemple, a collaboré avec l’Autorité statistique des Philippines afin de réviser la classification du travail à la demande dans les Professions normalisées des Philippines, une classification statistique des groupes professionnels. Cette étape cruciale est nécessaire pour garantir que le travail à la demande soit valorisé, mesuré et couvert par le droit du travail et la politique de protection sociale.
En Inde, FemLab.co travaille en étroite collaboration avec des parties prenantes du secteur privé comme l’Ola Mobility Institute afin d’élaborer une étude de cas sur la participation des femmes à Ola, une application de covoiturage, compte tenu du manque de femmes conductrices.
En Thaïlande, l’Institut de l’économie et du travail équitables a utilisé la recherche pour aider à exprimer les points de vue des travailleuses. Cela a contribué à développer les capacités de leadership des travailleuses de l’économie de plateforme en les faisant participer à des consultations visant à recommander des mises à jour du système de protection sociale en Thaïlande et à un groupe de travail sur le droit du travail des plateformes sous l’égide du sous-comité du travail de la Chambre des représentants de la Thaïlande. En juin 2021, l’Institut a facilité une campagne des travailleuses, avec le soutien des entreprises de l’économie plateforme, offrant des services de nettoyage, pour exiger des trousses de dépistage de la COVID-19 et des vaccins gratuits et accessibles pour les travailleuses de l’économie de plateforme qui se trouvent en première ligne.
L’initiative de recherche a montré le besoin crucial de recherche et de données en vue de comprendre les répercussions des nouvelles formes d’activité économique, en particulier dans les contextes où l’emploi informel est très répandu et où le registre et la protection sociale sont inexistants.
Le CRDI continue de soutenir la production de telles données et d’aider à déterminer les moyens par lesquels les femmes et les groupes défavorisés peuvent participer de manière égale aux nouvelles occasions économiques et en bénéficier. Par exemple, une nouvelle initiative, FutureWorks, vise à orienter les réponses face aux perturbations causées par la technologie et les changements climatiques vers le développement de compétences résilientes et l’emploi inclusif et décent.
Collaborateurs : Kanika Jha Kingra, conseillère en partage des connaissances, et Arjan de Haan, spécialiste de programme principal, CRDI.
En savoir plus
- Une assistante à Manille | CRDI – Centre de recherches pour le développement international (idrc-crdi.ca)
- Lutter contre la violence sexiste dans l’économie des petits boulots | CRDI – Centre de recherches pour le développement international (idrc-crdi.ca)
- Bias in, bias out: gender and work in the platform economy (dspacedirect.org)