Le point sur les indices du bien-être national
Le PIB était naguère l’étalon des progrès accomplis par un pays. Aujourd’hui, de nouveaux indices perfectionnés tracent un portrait plus fouillé de l’état d’une société — et le CRDI participe à leur mise au point.
Les indices économiques sont des outils statistiques qui résument des données complexes, aident à prévoir les tendances économiques et appuient la prise de décisions. Parmi ces indices, le produit intérieur brut (PIB) par habitant est depuis longtemps la mesure convenue de la santé économique d’un pays.
En quelques mots, le PIB correspond à la valeur totale des biens et services échangés contre de l’argent. On présume que si le PIB d’un pays augmente, son niveau de vie augmente lui aussi. Au cours des dernières décennies, cette corrélation a été contestée, notamment par des économistes du développement, dont certains ont proposé d’autres outils de mesure.
Je doute qu’on puisse supplanter le PIB. Mais je crois qu’on peut et qu’on devrait le retenir uniquement comme mesure de l’économie de marché et non en tant qu’appréciation de l’état général de la société.
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Peu nuancé et unidimensionnel
Les économistes admettent aujourd’hui que, même comme mesure de la production, le PIB affiche plusieurs lacunes. Par exemple, il ne tient pas compte des biens échangés dans l’économie non structurée ou clandestine — un secteur de taille dans les pays en développement — ni de la valeur des services bénévoles, des stages non rémunérés, du travail des aidants à domicile et des travaux de bricolage.
Le PIB n’arrive pas non plus à mesurer avec précision le bien-être général (les conditions de vie à long terme et la cohésion sociale dans son ensemble). Cet indice unidimensionnel peu nuancé ne tient pas compte des différentes activités sociales, culturelles et environnementales qu’on ne peut exprimer facilement en termes financiers, mais qui représentent le véritable état de la société.
Le PIB indique la valeur de la production nationale sans tenir compte des coûts cachés. Il n’établit aucune distinction entre les activités bénéfiques et les activités nuisibles. C’est ce que croit un bénéficiaire de subvention du CRDI, GPIAtlantic. Ce groupe de recherche établi à Halifax estime, par exemple, qu’une usine de pâte à papier contribue certes à créer de l’emploi et des profits, mais que, si sa gestion est mauvaise, cette usine entraîne l’épuisement des forêts et la pollution des cours d’eau. De même, les heures supplémentaires permettent d’accroître la production et les revenus, mais accomplies de manière régulière, elles empiètent sur le temps réservé à la famille et à la vie communautaire.
Un monde interdépendant
Ces dernières années, certains pays pauvres ont réalisé des progrès sur le plan économique, mais beaucoup de citoyens ne profitent pas de l’éventail complet d’avantages sociaux que permet de financer un accroissement de la production. Par conséquent, les décideurs reconnaissent maintenant la nécessité d’étoffer et d’améliorer le PIB en mesurant aussi la durabilité et le bien-être général.
En d’autres mots, les indices du progrès devraient rendre compte avec plus de précision de la nature interdépendante du monde et permettre aux citoyens de soupeser plus facilement l’ensemble des coûts et des avantages de leurs actions.
Des économistes et des spécialistes du développement ont déjà proposé divers autres indices. Ce domaine complexe évolue sans cesse, non seulement en raison de l’amélioration des techniques de mesure, mais aussi en réaction à un monde en perpétuel changement. Par conséquent, les responsables des politiques disposent aujourd’hui d’un copieux menu d’instruments de mesure allant du réjouissant Happy Planet Index, de la New Economics Foundation, au sombre Misery Index, créé par l’économiste Arthur Okun.
Il faut, de toute évidence, approfondir les recherches pour perfectionner ces nouveaux outils. Les économistes doivent trouver des moyens, par exemple, de tenir compte des transferts financiers au sein des familles et de monétiser l’économie non structurée. Le CRDI a appuyé leurs efforts en finançant plusieurs travaux visant à mesurer le progrès de l’humanité. En voici trois exemples.
Populations et écosystèmes : le bien-être des nations
En 2001, après des années de recherches subventionnées par le CRDI, le consultant en développement Robert Prescott-Allen, établi à Victoria, a lancé son analyse novatrice intitulée Le bien-être des nations – Indice par pays de la qualité de vie et de l’environnement.
Dans cette étude détaillée, il a cherché à combler les lacunes du PIB et d’autres indices économiques en appliquant à 180 pays le nouvel indice qu’il avait mis au point. Ce qu’il a appelé l’évaluation du bien-être associait des indicateurs du bien-être humain se rapportant à la santé, à la population et à la prospérité à des indicateurs de la durabilité de l’environnement, tels que la qualité de l’eau, la diversité des espèces et la consommation d’énergie, pour en arriver à une meilleure vue d’ensemble de l’état du monde.
Comme l’a expliqué Robert Prescott-Allen, tout comme le blanc d’un oeuf entoure et soutient le jaune, un écosystème entoure et soutient une population. Toute mesure du bien-être doit donc tenir compte de cette interdépendance.
Certaines des constatations de l’étude se sont révélées surprenantes. Tout en confirmant la croyance répandue selon laquelle les pays qui jouissent des niveaux de vie les plus élevés y sont parvenus aux dépens de l’environnement, d’autres résultats ont montré que l’augmentation du bien-être humain ne cause pas nécessairement de plus grands dommages à l’environnement.
Robert Prescott-Allen a écrit ce livre pour aider les étudiants à mieux connaître la durabilité et pour leur apprendre à mesurer la complexité. De même, il espère qu’il persuadera les décideurs de faire du bien-être des êtres humains et de l’écosystème un objectif national. Concrètement, on pourrait, estime-t-il, procéder périodiquement à des évaluations nationales du bien-être afin de suivre de près les progrès accomplis.
Par ailleurs, le CRDI a appuyé d’autres approches de la « comptabilité environnementale », notamment par l’entremise du Center for Environmental Economics and Policy in Africa.
Agents actifs : le Réseau sur le développement humain et la capacité
Amartya Sen, économiste et lauréat du prix Nobel, a joué un rôle de premier plan dans l’élaboration d’outils de mesure du progrès. Par exemple, on s’est inspiré de ses idées pour concevoir l’indice du développement humain, que le Programme des Nations Unies pour le développement utilise depuis 1990 dans le Rapport sur le développement humain.
Amartya Sen met l’accent sur l’aspect multidimensionnel du bien-être, en soulignant que « ce que l’on mesure a une incidence sur ce que l’on fait ». À son avis, l’analyse du développement et de la pauvreté ne devrait pas s’en tenir uniquement à la question du revenu monétaire; elle devrait élargir ses visées pour inclure le rôle des libertés et des « capacités », comme la santé, l’instruction, la possibilité de travailler et le fait d’être en mesure de se livrer à des activités culturelles. Selon lui, hommes et femmes font plus que simplement participer au développement humain : ils et elles en sont des agents actifs.
Depuis 2004, le CRDI et d’autres bailleurs de fonds appuient des travaux qui permettent d’enrichir la vision d’Amartya Sen. La Human Development and Capability Association, une association internationale établie à Boston, favorise la recherche pluridisciplinaire dans des « champs interreliés », qui comprennent la pauvreté, la justice et l’économie.
En 2010, un membre de premier plan de l’association, l’Oxford Poverty & Human Development Initiative (OPHI), qu’appuie le CRDI, de concert avec l’équipe chargée du Rapport sur le développement humain du PNUD, a mis au point le nouvel indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM). Cet outil vient compléter les mesures du revenu en examinant la « composition de la pauvreté ». S’inspirant largement des objectifs du Millénaire pour le développement de l’ONU, l’IPM tient compte des grandes privations que peut connaître simultanément une personne pauvre dans trois grandes sphères qui influent sur son existence, à savoir la santé, l’éducation et les services publics.
L’IPM a déjà suscité des critiques et des débats, ce qui témoigne de la diffusion et de l’évolution continues de ces indices. Il supplante un indice composite antérieur, l’indice de la pauvreté humaine. L’édition du 20e anniversaire du Rapport sur le développement humain du PNUD, publiée en novembre 2010, présente l’IPM.
Piliers du contentement : le bonheur national brut
Dans le cadre d’une initiative de longue date et largement médiatisée, le minuscule royaume himalayen du Bhoutan poursuit la mise au point de l’indice du bonheur national brut (BNB).
À l’instar des autres indices, celui-ci met l’accent sur la cohésion et le bien-être de la société et sur la croissance durable. Selon le gouvernement du Bhoutan, le BNB veut refléter les valeurs culturelles et écologiques s’harmonisant avec la philosophie bouddhiste qui prévaut dans le pays. Par contre, certains chercheurs soutiennent que le BNB s’inscrit dans un programme de nationalisme ethnique qui a, entre autres, privé de leurs droits et expulsé du pays les minorités de langue hindi et nepali.
Pour obtenir de l’aide technique, le gouvernement du Bhoutan a consulté des experts de nombreux pays, dont ceux de GPIAtlantic, qui avait déjà créé son propre indice de progrès véritable, et de l’OPHI. Ces organismes ont collaboré avec des chercheurs du Bhoutan pour cerner les composantes du « bonheur » dans le contexte bhoutanais. Le nouvel indice, adopté officiellement en 2008, tient compte de leurs conclusions.
Ses quatre piliers sont la protection de l’environnement, le développement durable, la préservation et la promotion des valeurs culturelles bouddhistes et la bonne gouvernance. En 2010, le gouvernement du Bhoutan a commencé à intégrer ces valeurs dans les programmes d’études et les manuels scolaires afin d’ancrer les principes rattachés au BNB chez les jeunes Bhoutanais.
L’idée du BNB a été bien accueillie dans d’autres pays. De hauts responsables du Japon, de la Thaïlande et du Brésil de même que de certaines villes de la côte ouest du Canada et des États-Unis sont en train de se pencher sur ce concept.
Autre exemple des liens étroits entre ces indices, en 2010 le Bhoutan a adopté l’IMP, complémentaire de son indice du bonheur national brut.