Le coût élevé du soin des proches non rémunéré
L’autonomisation économique des femmes exige beaucoup plus que le simple accroissement de leur participation au marché du travail. La recherche qui a été réalisée dans cinq pays et qui portait sur le travail rémunéré et non rémunéré laisse entendre que des services de garde d’enfants abordables, de meilleures infrastructures, un travail décent et l’évolution des normes sexospécifiques sont tous des facteurs qui font partie de la solution.
Dans les pays à faible revenu, les femmes sont moins actives sur le marché du travail que les hommes, mais leurs journées de travail sont interminables. Globalement, seulement 49 % des femmes sont comptées dans la population active, comparativement à 76 % des hommes, selon l’Organisation internationale du Travail. Toutefois, ces chiffres masquent la véritable importance de la contribution économique des femmes. Selon l’Indice mondial de l’écart entre les genres, en moyenne, les femmes consacrent presque cinq heures par jour à fournir des soins à leur famille, comparativement à seulement une heure et demie pour les hommes. Cet écart est encore plus grand dans les régions en développement.
L’objectif de développement durable (ODD) no5, qui fait partie des 17 ODD adoptés par les Nations unies en 2015, vise à autonomiser les femmes et les filles. Ce dernier préconise une plus grande reconnaissance et une meilleure répartition du travail non rémunéré et des tâches domestiques, ainsi qu’une participation entière et égale des femmes à la prise de décisions. Dans une série d’études menées par le programme Croissance de l’économie et débouchés économiques des femmes (CEDEF), qui est financé par le CRDI, les chercheurs ont examiné la façon dont le fardeau des soins affecte le bien-être et l’emploi des femmes; le bien-être de leurs enfants; ainsi que la différence que peuvent faire des services de garde d’enfants abordables.
Examiner des solutions au double fardeau des femmes
De 2015 à 2017, les équipes de recherche appuyées par le programme CEDEF ont mené des études afin d’examiner la façon dont les femmes et les familles à faible revenu parviennent à concilier le travail non rémunéré lié aux soins et le travail rémunéré. Au Kenya et en Inde, les chercheurs ont mené des essais comparatifs randomisés afin d’évaluer le rôle que la prestation de services de garde pourrait jouer dans la libération du plein potentiel économique des femmes. En Inde, au Népal, au Rwanda et en Tanzanie, les chercheurs ont utilisé des sondages, des entrevues et des recherches participatives pour examiner les normes sexospécifiques et la façon dont les membres des familles à faible revenu partagent le travail non rémunéré lié aux soins, en plus de leur travail rémunéré. De plus, ils ont évalué la façon dont les programmes et les politiques peuvent aider les femmes à atteindre un meilleur équilibre entre le travail rémunéré et le travail non rémunéré.
Les responsabilités des femmes en matière de soins limitent leurs options liées au travail rémunéré.
Dans l’ensemble des pays étudiés, les tâches domestiques et les soins non rémunérés - renforcés par les normes sociales - nuisent à la capacité des femmes de gagner un revenu. Dans 16 sites d’étude répartis en Inde, au Népal, au Rwanda et en Tanzanie, la recherche menée par l’Institute of Development Studies (IDS) a révélé que les femmes ont effectué la majorité des travaux non rémunérés dans leur ménage. Les deux tiers de toutes les femmes étaient chargées d’aller chercher de l’eau, du combustible et du bois. En Inde, 88,2 % des femmes interrogées dans des familles élargies étaient responsables de ces tâches. Les femmes se considéraient comme étant meilleures pour accomplir les tâches domestiques et le travail de soin, et considéraient les hommes comme étant des soutiens de famille mieux adaptés pour accomplir les tâches qui nécessitent une certaine force physique.
Ces normes, et le fardeau des soins associé à ces dernières, ont eu une incidence sur la qualité et la quantité de travail rémunéré que les femmes ont entrepris. Lorsque ces dernières exerçaient un métier rémunéré, elles étaient distraites par leurs responsabilités en matière de prestation de soins, surtout leurs tâches domestiques et leurs tâches liées aux soins aux enfants comme le nettoyage et la cuisine. Bon nombre de femmes ont parlé de la façon dont les grossesses et les jeunes enfants ont limité leurs heures de travail ou les ont forcées à quitter leur emploi. De plus, elles croyaient qu’elles étaient sous-payées et incapables de négocier de meilleurs salaires en raison de leurs tâches domestiques. Ce double fardeau de soins et de travail non rémunéré cantonne les femmes ayant de faibles revenus dans des emplois précaires, non productifs et faiblement rémunérés, tout en minant leur pouvoir de négociation dans leur ménage.
Je reviens à la maison et je suis fatiguée, et […] je commence à fournir les soins non rémunérés, et il y a un client qui veut que je répare ses vêtements, et mon bébé veut être allaité; ça devient trop difficile pour moi et je n’arrive plus à […] me reposer.
Le fardeau du travail des femmes nuit à leur santé et à leur bien-être.
Les études soulignent que le stress lié au fait de concilier le travail rémunéré et les soins non rémunérés a affecté le bien-être physique et émotionnel des femmes. Les recherches que l’IDS a réalisées dans quatre pays et qui portaient sur la division du travail au sein des ménages ont révélé que les femmes étaient très fatiguées en raison de la combinaison de leurs emplois ardus et faiblement rémunérés ainsi que la pénibilité de leur travail non rémunéré, et du fait qu’elles n’ont aucun moment de repos.
Les infrastructures déficientes alourdissent le fardeau des femmes pauvres.
Le fardeau des tâches quotidiennes est exacerbé lorsque les familles ne disposent pas des infrastructures essentielles, telles que l’électricité, le transport et l’eau courante. Les femmes ont signalé qu’elles devaient parcourir de longues distances pour s’approvisionner en eau et en bois de chauffage. Au Népal, l’absence d’électricité signifiait que les femmes des régions rurales devaient attendre pendant de longues heures pour utiliser le moulin à farine « en dehors de leurs heures de travail », ce qui amplifiait leurs difficultés liées au travail rémunéré. Par ailleurs, l’accès aux soins de santé était inadéquat. Bon nombre de femmes en Inde se sont plaintes de la piètre qualité des soins et de l’attitude discriminatoire du personnel médical. En Tanzanie, le mauvais état des routes faisait en sorte que les femmes devaient consacrer plus de temps pour se rendre dans les établissements de santé, ou y emmener des membres de leur famille.
Les emplois offrant un salaire et des conditions de travail décents, en plus des services publics de base, sont essentiels pour les femmes dans les pays à faible revenu, afin qu’elles puissent se libérer du fardeau éreintant de leur vie quotidienne.
Le double fardeau des femmes nuit également à leurs enfants.
Les lourdes charges de travail des femmes ont des conséquences sur les études et la santé de leurs enfants. Les jeunes enfants peuvent être victimes de négligence et bon nombre d’enfants plus âgés peuvent devoir assumer des responsabilités d’adulte, c’est-à-dire prendre soin de leurs plus jeunes frères et soeurs, et assumer une partie du fardeau de leur mère. Les filles paient le prix le plus élevé pour le travail rémunéré de leur mère, car elles doivent sacrifier une partie de leurs études. Souvent, les enfants suivent les traces de leur mère qui travaille, et certains d’entre eux finissent par « aider » leur mère à accomplir leur travail rémunéré, en fournissant ainsi un travail non rémunéré. Bon nombre d’entre eux sont également exposés à des outils dangereux et à des conditions de travail toxiques.
Le contraste avec les familles ayant accès à des services de garde de qualité jette un nouvel éclairage sur la façon dont la charge de travail des mères affecte leurs enfants. Les chercheurs ont constaté que, dans le bidonville de Korogocho situé en périphérie de Nairobi, 22 % des enfants qui n’étaient pas inscrits à des services de garde démontraient des signes de retards cognitifs, soit plus du double du pourcentage d’enfants qui étaient inscrits à des services de garde (9 %).
L’accès à des services de garde d’enfants abordables améliore les perspectives économiques pour les femmes.
L’expansion des centres de la petite enfance dans les pays à revenu faible et intermédiaire s’est avérée lente; ces centres sont habituellement gérés par le secteur privé. Cependant, des données probantes provenant du Kenya et de l’Inde démontrent que les services de garde d’enfants sont en demande et permettent aux femmes d’augmenter leur travail rémunéré, mais seulement lorsqu’elles en ont les moyens. À Korogocho, la recherche menée par l’Université McGill et le Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique (CRPSA) a démontré que plus de 80 % des mères qui avaient reçu des bons donnant un accès gratuit à des services de garde d’enfants ont profité de cette occasion, comparativement à 58 % de celles qui n’en avaient pas reçu. Après un an, les femmes qui avaient obtenu un accès gratuit à des services de garde étaient 17 % plus susceptibles d’occuper un emploi rémunéré que celles qui ne bénéficiaient pas de ce même accès. Une étude semblable menée à Udaipur, en Inde, a également démontré une croissance de l’emploi chez les femmes, même si elle était de moindre importance.
Au Kenya, les mères qui avaient reçu des bons de services de garde travaillaient, en moyenne, cinq heures de moins par semaine, sans affecter leurs revenus totaux. Cela suggère que le fait d’accorder une subvention pour les services de garde aux mères qui travaillent pourrait leur permettre de travailler moins sans réduire de manière significative leurs revenus, et de prendre ainsi plus de temps pour elles.
Mesures visant à autonomiser les femmes
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Enfin, les mesures conventionnelles relatives à l’autonomisation économique qui se concentrent uniquement sur le travail rémunéré doivent être réexaminées. Loin d’être une source d’autonomie, la combinaison du travail rémunéré de faible qualité et des tâches domestiques interminables mène la plupart des femmes à l’épuisement. Par ailleurs, les travaux publics bien intentionnés ainsi que les autres programmes d’autonomisation des femmes doivent comprendre des mesures visant à réduire le fardeau du travail des femmes et le fardeau des soins qui leur incombe.
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L’amélioration de l’accès à l’eau, au transport, à l’électricité ainsi qu’à d’autres infrastructures serait très utile pour réduire le manque de temps des femmes et leur fatigue associée à leurs tâches quotidiennes. Les technologies à faible main-d’oeuvre, comme des poêles performants sur le plan énergétique, peuvent également réduire leur fardeau. De tels investissements augmentent la productivité du travail non rémunéré.
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Ainsi, les subventions accordées aux services de garde d’enfants sont cruciales pour améliorer les perspectives économiques des femmes et réduire les inégalités entre les sexes. Il existe une forte demande de services de garde d’enfants chez les femmes à faible revenu, et que les femmes ainsi que leurs enfants peuvent en bénéficier. Le coût, davantage que la qualité des soins, est le principal facteur qui empêche les mères d’utiliser les garderies.
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Un travail décent constitue une première étape vers l’évolution des normes sexospécifiques entourant le travail de soin. En plus de suivre les voies économiques susceptibles de créer des emplois décents pour toute la population, les gouvernements peuvent appuyer une évolution à long terme des normes grâce à des mesures comme les congés payés pour les nouveaux pères, ou à des normes d’emploi qui empêchent la discrimination contre les mères qui travaillent.
Lire le compte rendu (PDF, 329 Ko) complet sur le double fardeau des femmes.
En savoir plus sur les trois projets du CEDEF :
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Conciliation du soin des proches non rémunéré et du travail rémunéré
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Amélioration des services de garde d’enfants afin d’accroître les débouchés pour les femmes dans les bidonvilles de Nairobi
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Incidence des services de garde d’enfants abordables sur l’autonomisation des femmes en Inde