La culture du pavot à opium : quelle politique pour l'Afghanistan ?
27 janvier 2011
La culture illicite du pavot à opium contribue à la subsistance de millions de paysans afghans, mais il se trouve qu’elle constitue également une source de revenus importants pour les bandes criminalisées.
Le CRDI s’est joint récemment à la Fondation Aga Khan Canada pour inviter deux spécialistes de la lutte antidrogue à venir présenter leur point de vue sur les conséquences économiques et politiques de la production d’opium en Afghanistan. ( Écouter un extrait audio de la présentation [uniquement en anglais] )
À première vue, le Papaver somniferum — le pavot somnifère — est une plante à fleurs à l'air bien inoffensif. Ce sont pourtant ses capsules qui produisent l'opium de même que ses dérivés narcotiques puissants que sont l'héroïne, la morphine et la codéine. Les effets anesthésiques du pavot sont connus depuis des millénaires et, si de tout temps certains ont loué l'opium pour ses qualités analgésiques, d'autres ont dénoncé les conséquences sociales qu'entraîne son utilisation récréative. L'opium a été la cause de bien des guerres, et il n'est pas exagéré d'affirmer que cette espèce de pavot a changé le cours de l'histoire.
Aujourd'hui, l'Afghanistan est au cœur du débat mondial sur l'opium. Grâce à l'aide internationale, le pays tente de se reconstruire après des décennies de guerre et d'instabilité. À cet égard, la culture illicite et répandue du pavot à opium compte parmi les nombreux défis que le gouvernement doit relever. Certes, cette culture contribue à la subsistance de millions de paysans afghans, mais il se trouve qu'elle constitue également une source de revenus importants pour les bandes criminalisées et les groupes armés en lutte contre le gouvernement.
Quelle stratégie le gouvernement de l'Afghanistan devrait-il adopter à l'égard de la culture du pavot à opium ? Trois solutions ont fait l'objet d'un examen : l'éradication des plants au moyen de la pulvérisation de produits chimiques, la légalisation de la pratique et la vente de la récolte en vue d'une production licite de morphine et, enfin, la recherche d'autres moyens d'existence pour les cultivateurs de pavot.
Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) n'a pas pour rôle de décider de la politique à adopter, mais plutôt d'appuyer la recherche visant à fournir les éléments probants nécessaires afin d'éclairer les décideurs des pays en développement. C'est dans cet esprit que le CRDI s'est joint récemment à la Fondation Aga Khan Canada pour inviter deux spécialistes de la lutte antidrogue à venir présenter leur point de vue sur les conséquences économiques et politiques de la production d'opium en Afghanistan.
Des caractéristiques différentes David Mansfield est spécialiste en matière de drogue et de développement. Il estime que, pour être efficace, une stratégie de lutte antidrogue doit s'élaborer à partir de la base, la première étape consistant à comprendre ce qui motive les agriculteurs. Avec l'appui de divers organismes, dont l'Aga Khan Development Network et l'Afghan Research and Evaluation Unit, David Mansfield a ainsi passé dix ans dans les campagnes de l'Afghanistan à examiner les raisons qui poussent les gens à cultiver le pavot.
Il insiste sur la complexité de l'économie de l'opium. En effet, les cultivateurs de pavot ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques, et la dépendance envers cette culture est généralement liée à l'accessibilité de ressources clés. Ainsi, au haut de l'échelle, les grands propriétaires fonciers bénéficiant de systèmes d'irrigation fiables, de la proximité des transports et des marchés, de conditions de sécurité et d'une bonne gouvernance dépendent très peu de cette culture. Ils se tournent plutôt vers d'autres sources de revenu ou de crédit pour assurer leur subsistance quotidienne, et les revenus qu'ils tirent du pavot servent à l'achat ponctuel de biens immobiliers, tels qu'une maison, ou de véhicules.
Puis, il y a les exploitants qui possèdent une petite parcelle de terre dont plusieurs personnes tirent leur subsistance. Ils sont éloignés des bonnes routes, des marchés et des systèmes d'irrigation. Ces agriculteurs sont davantage tributaires de la culture du pavot, qui peut représenter jusqu'à 90 % du revenu des ménages. Pendant les périodes difficiles, il arrive qu'on leur consente des prêts en argent sur leurs récoltes d'opium à venir.
Enfin, au bas de l'échelle se trouvent les ouvriers agricoles, les sarcleurs et les cueilleurs itinérants, ainsi que les métayers sans terre. Dans ces ménages, tout repose sur la culture du pavot : accès à la terre et à l'eau, engrais et autres intrants, nourriture, produits de base et crédit (souvent accordé en nature plutôt qu'en espèces).
Des enseignements à tirer
En 2005, la province de Nangarhar, dans le nord-est de l'Afghanistan, a interdit la culture du pavot et détruit les plants. Selon David Mansfield, la perte soudaine de cette production a eu un effet multiplicateur sur l'ensemble de l'économie, en réduisant brusquement à la fois les revenus du secteur agricole et ceux du secteur commercial non apparenté à cette culture. L'accès à la terre et au crédit s'en est trouvé réduit et, comme la culture du pavot est une activité à forte intensité de main-d'oeuvre, le chômage a augmenté, et les salaires ont diminué. Les pauvres ont souffert de cette situation.
Les agriculteurs ont réagi de manières diverses à l'interdit. Ceux qui avaient accès aux ressources ont diversifié leurs cultures. Ils ont cultivé des légumes d'un rapport élevé, tels l'oignon et le haricot vert, qu'il leur était facile de vendre dans les marchés avoisinants. Leurs fils, ne travaillant plus dans les champs de pavot, étaient désormais libres d'aller chercher un emploi rémunéré à la ville. Malgré l'interdiction lancée contre la culture du pavot, cette classe d'agriculteurs s'en est bien tirée.
Par contre, les résultats ont été moins positifs pour les exploitants agricoles ne disposant pas des mêmes ressources. En effet, les ménages trop nombreux compte tenu de la taille de la ferme, ou n'ayant aucun accès aux transports, aux systèmes d'irrigation, aux marchés, ou encore vivant dans des zones où sécurité et bonne gouvernance font défaut, se sont retrouvés en état de crise. En désespoir de cause, bon nombre de ces ménages ont défié l'interdiction et repris la culture du pavot.
Il ressort des enseignements clairs de cette situation. Les agriculteurs bien nantis et déjà peu tributaires de l'opium ont tendance à diversifier davantage leurs sources de revenus lorsque la culture du pavot est interdite. Une telle stratégie peut donc effectivement servir de catalyseur en forçant les gens à utiliser leurs ressources à d'autres fins.
Il est également évident qu'on ne peut examiner l'économie de l'opium isolément. Ainsi, la réduction durable de la culture du pavot est possible lorsqu'on a instauré des mesures visant à assurer la croissance économique, la sécurité et la bonne gouvernance. Par ailleurs, l'éradication doit se faire de manière graduelle et réfléchie.
Selon David Mansfield,
La " mobilité " de l'économie de l'opium, entre autres, est un fait notoire. L'opium étant une culture annuelle, les agriculteurs peuvent rapidement aller s'installer ailleurs si les récoltes sont détruites dans leur voisinage.
Dans certaines régions de l'Afghanistan, beaucoup de familles pauvres sont tributaires de prêts garantis par leurs récoltes. Les politiques d'éradication peuvent ainsi aggraver leur endettement de sorte que la culture accrue du pavot demeure leur seul recours. Si ce cycle se poursuit, la dépendance économique envers l'opium augmente de même que s'aggrave la pauvreté rurale.
L'application inégale des programmes d'éradication, en raison notamment de la corruption ou des relations politiques, mine la crédibilité du gouvernement et menace même la légitimité de l'État. Ce manque d'uniformité risque d'être mis à profit par des groupes antigouvernementaux et peut accroître l'appui politique en faveur de l'opposition armée.
Conséquences non voulues Selon William Byrd, la destruction des récoltes de pavot au moyen de la pulvérisation de produits chimiques n'est tout simplement pas viable et entraîne des conséquences non voulues.
La " mobilité " de l'économie de l'opium, entre autres, est un fait notoire. L'opium étant une culture annuelle, les agriculteurs peuvent rapidement aller s'installer ailleurs si les récoltes sont détruites dans leur voisinage.
Dans certaines régions de l'Afghanistan, beaucoup de familles pauvres sont tributaires de prêts garantis par leurs récoltes. Les politiques d'éradication peuvent ainsi aggraver leur endettement de sorte que la culture accrue du pavot demeure leur seul recours. Si ce cycle se poursuit, la dépendance économique envers l'opium augmente de même que s'aggrave la pauvreté rurale.
L'application inégale des programmes d'éradication, en raison notamment de la corruption ou des relations politiques, mine la crédibilité du gouvernement et menace même la légitimité de l'État. Ce manque d'uniformité risque d'être mis à profit par des groupes antigouvernementaux et peut accroître l'appui politique en faveur de l'opposition armée.
Production licite contre production illicite ? Une deuxième solution consiste à autoriser la production d'opium en vue de sa vente sur le marché international licite des médicaments analgésiques. Toutefois, William Byrd ne croit pas que cette solution soit viable dans les circonstances actuelles.
En effet, l'état actuel de la gouvernance et de la sécurité en Afghanistan ainsi que les contrôles relâchés rendent inévitables des " fuites " importantes de la production autorisée vers la sphère illicite. De plus, l'abondance des terres arables disponibles, conjuguée au prix de l'opium illicite, sans nul doute plus élevé que celui obtenu sur le marché licite, ne ferait rien pour empêcher la production simultanée de récoltes licites et illicites de pavot.
En outre, l'Afghanistan produit environ 90 % de la production mondiale d'opium illicite. On peut dès lors douter que les pays qui produisent actuellement de l'opium à des fins médicinales, notamment l'Australie, la France, l'Inde et la Turquie, acceptent de réduire leur propre production afin d'accorder à l'Afghanistan une part de marché suffisamment importante pour lui permettre d'écouler un fort volume d'opium autorisé. Enfin, la production licite d'opium procure des marges de profit modestes, et l'augmentation de l'offre ferait chuter encore davantage les prix.
Troisième solution
De fait, le gouvernement afghan a déjà rejeté l'éradication chimique tout comme la production autorisée. Une troisième solution incite plutôt à substituer d'autres moyens de subsistance à la culture du pavot. Toutefois, William Byrd n'est pas convaincu que cette approche puisse entraîner des résultats rapides et durables.
Il peut en coûter beaucoup de trop s'empresser de remplacer les moyens de subsistance. En général, ces projets sont mis au point à la hâte; on peut donc douter de leur viabilité, sans compter qu'ils présentent souvent un risque élevé de corruption et de pertes. De plus, ces modèles suscitent des attentes irréalistes quant aux résultats à court terme chez les agriculteurs afghans, et la déception qui en résulte envenime l'atmosphère politique.
En outre, les projets ayant pour seul objectif la production de revenus ou les transferts de fonds visant à " indemniser " les cultivateurs de pavot ne règlent pas l'ensemble des problèmes liés à la dépendance envers l'opium, notamment les rapports qui existent entre les agriculteurs et le marché du crédit, les titres fonciers, l'accès à l'eau et à l'infrastructure. Comme l'explique William Byrd,
Par exemple, le " pipeline " international de l'opium ayant la forme d'un sablier - c'est-à-dire qu'il y a beaucoup d'agriculteurs, quelques trafiquants et beaucoup d'utilisateurs -, le spécialiste insiste sur la nécessité de cibler les trafiquants les plus importants de même que leurs commanditaires. Ces acteurs représentent une très grande menace pour le pays, car ils sont en mesure d'influencer le gouvernement et ont tout intérêt à ce que soit maintenue la fragilité de l'État.
Il recommande également d'appliquer une stratégie d'endiguement afin de contrer la " mobilité ". Ainsi, il importe de ne pas s'attaquer qu'aux grandes régions productrices; il faut également instaurer des programmes de développement et veiller à l'application de la loi dans les provinces non productrices, ainsi que dans les nouvelles régions productrices ou marginales, afin de les préserver de l'économie de l'opium.
Il souligne avec insistance la nécessité d'appuyer le développement rural à long terme, notamment l'accès au marché et aux systèmes d'irrigation, ainsi qu'une meilleure sécurité et une saine gouvernance; tous ces éléments favoriseront davantage la pratique d'une agriculture licite. En même temps toutefois, la prestation de l'aide au développement ne doit pas faire relâcher la vigilance quant à la lutte contre les stupéfiants. Face à un nouveau projet d'irrigation, par exemple, il convient de se demander s'il ne risque pas de servir à soutenir la culture du pavot.
Patrick Kavanagh est rédacteur principal à la Division des communications du CRDI, à Ottawa. Le CRDI aide les Afghans dans la reconstruction de leur pays
Entre autres, le CRDI
Le CRDI s’est joint récemment à la Fondation Aga Khan Canada pour inviter deux spécialistes de la lutte antidrogue à venir présenter leur point de vue sur les conséquences économiques et politiques de la production d’opium en Afghanistan. ( Écouter un extrait audio de la présentation [uniquement en anglais] )
À première vue, le Papaver somniferum — le pavot somnifère — est une plante à fleurs à l'air bien inoffensif. Ce sont pourtant ses capsules qui produisent l'opium de même que ses dérivés narcotiques puissants que sont l'héroïne, la morphine et la codéine. Les effets anesthésiques du pavot sont connus depuis des millénaires et, si de tout temps certains ont loué l'opium pour ses qualités analgésiques, d'autres ont dénoncé les conséquences sociales qu'entraîne son utilisation récréative. L'opium a été la cause de bien des guerres, et il n'est pas exagéré d'affirmer que cette espèce de pavot a changé le cours de l'histoire.
Aujourd'hui, l'Afghanistan est au cœur du débat mondial sur l'opium. Grâce à l'aide internationale, le pays tente de se reconstruire après des décennies de guerre et d'instabilité. À cet égard, la culture illicite et répandue du pavot à opium compte parmi les nombreux défis que le gouvernement doit relever. Certes, cette culture contribue à la subsistance de millions de paysans afghans, mais il se trouve qu'elle constitue également une source de revenus importants pour les bandes criminalisées et les groupes armés en lutte contre le gouvernement.
Quelle stratégie le gouvernement de l'Afghanistan devrait-il adopter à l'égard de la culture du pavot à opium ? Trois solutions ont fait l'objet d'un examen : l'éradication des plants au moyen de la pulvérisation de produits chimiques, la légalisation de la pratique et la vente de la récolte en vue d'une production licite de morphine et, enfin, la recherche d'autres moyens d'existence pour les cultivateurs de pavot.
Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) n'a pas pour rôle de décider de la politique à adopter, mais plutôt d'appuyer la recherche visant à fournir les éléments probants nécessaires afin d'éclairer les décideurs des pays en développement. C'est dans cet esprit que le CRDI s'est joint récemment à la Fondation Aga Khan Canada pour inviter deux spécialistes de la lutte antidrogue à venir présenter leur point de vue sur les conséquences économiques et politiques de la production d'opium en Afghanistan.
Des caractéristiques différentes David Mansfield est spécialiste en matière de drogue et de développement. Il estime que, pour être efficace, une stratégie de lutte antidrogue doit s'élaborer à partir de la base, la première étape consistant à comprendre ce qui motive les agriculteurs. Avec l'appui de divers organismes, dont l'Aga Khan Development Network et l'Afghan Research and Evaluation Unit, David Mansfield a ainsi passé dix ans dans les campagnes de l'Afghanistan à examiner les raisons qui poussent les gens à cultiver le pavot.
Il insiste sur la complexité de l'économie de l'opium. En effet, les cultivateurs de pavot ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques, et la dépendance envers cette culture est généralement liée à l'accessibilité de ressources clés. Ainsi, au haut de l'échelle, les grands propriétaires fonciers bénéficiant de systèmes d'irrigation fiables, de la proximité des transports et des marchés, de conditions de sécurité et d'une bonne gouvernance dépendent très peu de cette culture. Ils se tournent plutôt vers d'autres sources de revenu ou de crédit pour assurer leur subsistance quotidienne, et les revenus qu'ils tirent du pavot servent à l'achat ponctuel de biens immobiliers, tels qu'une maison, ou de véhicules.
Puis, il y a les exploitants qui possèdent une petite parcelle de terre dont plusieurs personnes tirent leur subsistance. Ils sont éloignés des bonnes routes, des marchés et des systèmes d'irrigation. Ces agriculteurs sont davantage tributaires de la culture du pavot, qui peut représenter jusqu'à 90 % du revenu des ménages. Pendant les périodes difficiles, il arrive qu'on leur consente des prêts en argent sur leurs récoltes d'opium à venir.
Enfin, au bas de l'échelle se trouvent les ouvriers agricoles, les sarcleurs et les cueilleurs itinérants, ainsi que les métayers sans terre. Dans ces ménages, tout repose sur la culture du pavot : accès à la terre et à l'eau, engrais et autres intrants, nourriture, produits de base et crédit (souvent accordé en nature plutôt qu'en espèces).
Des enseignements à tirer
En 2005, la province de Nangarhar, dans le nord-est de l'Afghanistan, a interdit la culture du pavot et détruit les plants. Selon David Mansfield, la perte soudaine de cette production a eu un effet multiplicateur sur l'ensemble de l'économie, en réduisant brusquement à la fois les revenus du secteur agricole et ceux du secteur commercial non apparenté à cette culture. L'accès à la terre et au crédit s'en est trouvé réduit et, comme la culture du pavot est une activité à forte intensité de main-d'oeuvre, le chômage a augmenté, et les salaires ont diminué. Les pauvres ont souffert de cette situation.
Les agriculteurs ont réagi de manières diverses à l'interdit. Ceux qui avaient accès aux ressources ont diversifié leurs cultures. Ils ont cultivé des légumes d'un rapport élevé, tels l'oignon et le haricot vert, qu'il leur était facile de vendre dans les marchés avoisinants. Leurs fils, ne travaillant plus dans les champs de pavot, étaient désormais libres d'aller chercher un emploi rémunéré à la ville. Malgré l'interdiction lancée contre la culture du pavot, cette classe d'agriculteurs s'en est bien tirée.
Par contre, les résultats ont été moins positifs pour les exploitants agricoles ne disposant pas des mêmes ressources. En effet, les ménages trop nombreux compte tenu de la taille de la ferme, ou n'ayant aucun accès aux transports, aux systèmes d'irrigation, aux marchés, ou encore vivant dans des zones où sécurité et bonne gouvernance font défaut, se sont retrouvés en état de crise. En désespoir de cause, bon nombre de ces ménages ont défié l'interdiction et repris la culture du pavot.
Il ressort des enseignements clairs de cette situation. Les agriculteurs bien nantis et déjà peu tributaires de l'opium ont tendance à diversifier davantage leurs sources de revenus lorsque la culture du pavot est interdite. Une telle stratégie peut donc effectivement servir de catalyseur en forçant les gens à utiliser leurs ressources à d'autres fins.
Il est également évident qu'on ne peut examiner l'économie de l'opium isolément. Ainsi, la réduction durable de la culture du pavot est possible lorsqu'on a instauré des mesures visant à assurer la croissance économique, la sécurité et la bonne gouvernance. Par ailleurs, l'éradication doit se faire de manière graduelle et réfléchie.
Selon David Mansfield,
- l'éradication, soit la suppression physique des plants, a un rôle à jouer, mais le but ultime demeure l'amélioration des conditions de vie et des moyens de subsistance des paysans afghans. Au-delà de l'arrêt de la culture du pavot, il y a tout un processus de développement qui vise à améliorer la gouvernance, la sécurité et la croissance économique.
La " mobilité " de l'économie de l'opium, entre autres, est un fait notoire. L'opium étant une culture annuelle, les agriculteurs peuvent rapidement aller s'installer ailleurs si les récoltes sont détruites dans leur voisinage.
Dans certaines régions de l'Afghanistan, beaucoup de familles pauvres sont tributaires de prêts garantis par leurs récoltes. Les politiques d'éradication peuvent ainsi aggraver leur endettement de sorte que la culture accrue du pavot demeure leur seul recours. Si ce cycle se poursuit, la dépendance économique envers l'opium augmente de même que s'aggrave la pauvreté rurale.
L'application inégale des programmes d'éradication, en raison notamment de la corruption ou des relations politiques, mine la crédibilité du gouvernement et menace même la légitimité de l'État. Ce manque d'uniformité risque d'être mis à profit par des groupes antigouvernementaux et peut accroître l'appui politique en faveur de l'opposition armée.
Conséquences non voulues Selon William Byrd, la destruction des récoltes de pavot au moyen de la pulvérisation de produits chimiques n'est tout simplement pas viable et entraîne des conséquences non voulues.
La " mobilité " de l'économie de l'opium, entre autres, est un fait notoire. L'opium étant une culture annuelle, les agriculteurs peuvent rapidement aller s'installer ailleurs si les récoltes sont détruites dans leur voisinage.
Dans certaines régions de l'Afghanistan, beaucoup de familles pauvres sont tributaires de prêts garantis par leurs récoltes. Les politiques d'éradication peuvent ainsi aggraver leur endettement de sorte que la culture accrue du pavot demeure leur seul recours. Si ce cycle se poursuit, la dépendance économique envers l'opium augmente de même que s'aggrave la pauvreté rurale.
L'application inégale des programmes d'éradication, en raison notamment de la corruption ou des relations politiques, mine la crédibilité du gouvernement et menace même la légitimité de l'État. Ce manque d'uniformité risque d'être mis à profit par des groupes antigouvernementaux et peut accroître l'appui politique en faveur de l'opposition armée.
Production licite contre production illicite ? Une deuxième solution consiste à autoriser la production d'opium en vue de sa vente sur le marché international licite des médicaments analgésiques. Toutefois, William Byrd ne croit pas que cette solution soit viable dans les circonstances actuelles.
En effet, l'état actuel de la gouvernance et de la sécurité en Afghanistan ainsi que les contrôles relâchés rendent inévitables des " fuites " importantes de la production autorisée vers la sphère illicite. De plus, l'abondance des terres arables disponibles, conjuguée au prix de l'opium illicite, sans nul doute plus élevé que celui obtenu sur le marché licite, ne ferait rien pour empêcher la production simultanée de récoltes licites et illicites de pavot.
En outre, l'Afghanistan produit environ 90 % de la production mondiale d'opium illicite. On peut dès lors douter que les pays qui produisent actuellement de l'opium à des fins médicinales, notamment l'Australie, la France, l'Inde et la Turquie, acceptent de réduire leur propre production afin d'accorder à l'Afghanistan une part de marché suffisamment importante pour lui permettre d'écouler un fort volume d'opium autorisé. Enfin, la production licite d'opium procure des marges de profit modestes, et l'augmentation de l'offre ferait chuter encore davantage les prix.
Troisième solution
De fait, le gouvernement afghan a déjà rejeté l'éradication chimique tout comme la production autorisée. Une troisième solution incite plutôt à substituer d'autres moyens de subsistance à la culture du pavot. Toutefois, William Byrd n'est pas convaincu que cette approche puisse entraîner des résultats rapides et durables.
Il peut en coûter beaucoup de trop s'empresser de remplacer les moyens de subsistance. En général, ces projets sont mis au point à la hâte; on peut donc douter de leur viabilité, sans compter qu'ils présentent souvent un risque élevé de corruption et de pertes. De plus, ces modèles suscitent des attentes irréalistes quant aux résultats à court terme chez les agriculteurs afghans, et la déception qui en résulte envenime l'atmosphère politique.
En outre, les projets ayant pour seul objectif la production de revenus ou les transferts de fonds visant à " indemniser " les cultivateurs de pavot ne règlent pas l'ensemble des problèmes liés à la dépendance envers l'opium, notamment les rapports qui existent entre les agriculteurs et le marché du crédit, les titres fonciers, l'accès à l'eau et à l'infrastructure. Comme l'explique William Byrd,
il est déjà difficile de remplacer les moyens de subsistance quand les ressources et les marchés font défaut. C'est là le défi fondamental que pose le développement rural; ce dernier exige beaucoup de temps, peu importe le pays, et l'Afghanistan ne fera certainement pas exception.Une démarche plus sensée Bien qu'il demeure pessimiste, William Byrd fait remarquer que des Afghans ont été heureux d'abandonner la culture du pavot lorsque des conditions favorables se sont présentées. Il cite l'exemple de la Thaïlande, où il a fallu une vingtaine d'années pour résoudre le problème de l'opium, qui était pourtant beaucoup moins grave dans ce pays, et il conseille d'adopter des mesures fondées sur un engagement soutenu et sur des attentes à court terme modestes. Enfin, il propose des éléments en vue d'une politique " plus sensée " de lutte contre les stupéfiants.
Par exemple, le " pipeline " international de l'opium ayant la forme d'un sablier - c'est-à-dire qu'il y a beaucoup d'agriculteurs, quelques trafiquants et beaucoup d'utilisateurs -, le spécialiste insiste sur la nécessité de cibler les trafiquants les plus importants de même que leurs commanditaires. Ces acteurs représentent une très grande menace pour le pays, car ils sont en mesure d'influencer le gouvernement et ont tout intérêt à ce que soit maintenue la fragilité de l'État.
Il recommande également d'appliquer une stratégie d'endiguement afin de contrer la " mobilité ". Ainsi, il importe de ne pas s'attaquer qu'aux grandes régions productrices; il faut également instaurer des programmes de développement et veiller à l'application de la loi dans les provinces non productrices, ainsi que dans les nouvelles régions productrices ou marginales, afin de les préserver de l'économie de l'opium.
Il souligne avec insistance la nécessité d'appuyer le développement rural à long terme, notamment l'accès au marché et aux systèmes d'irrigation, ainsi qu'une meilleure sécurité et une saine gouvernance; tous ces éléments favoriseront davantage la pratique d'une agriculture licite. En même temps toutefois, la prestation de l'aide au développement ne doit pas faire relâcher la vigilance quant à la lutte contre les stupéfiants. Face à un nouveau projet d'irrigation, par exemple, il convient de se demander s'il ne risque pas de servir à soutenir la culture du pavot.
Patrick Kavanagh est rédacteur principal à la Division des communications du CRDI, à Ottawa. Le CRDI aide les Afghans dans la reconstruction de leur pays
Entre autres, le CRDI
- travaille de concert avec des organismes partenaires à accroître les compétences des chercheurs qui tentent de trouver des moyens de subsistance susceptibles de remplacer la culture du pavot à opium;
- appuie le Centre international pour la mise en valeur intégrée des montagnes (ICIMOD) dans ses efforts de reconstruction de l’Université de Kaboul;
- finance le Killid Group, une société multimédia vouée à la défense du droit à l’information, afin de l’aider à intensifier les pressions publiques visant à faire adopter des mesures reliées aux droits de la personne, en particulier aux droits des femmes.