La communauté d’abord : les projets One Health collaborent avec les communautés pour faire face aux épidémies
À l’échelle mondiale, il existe plus de 200 maladies infectieuses qui peuvent se transmettre des animaux aux humains. Certaines d’entre elles, comme la maladie à virus Ebola, sont mortelles. Alors que les humains exercent une pression croissante sur l’environnement en coupant les forêts, en élevant davantage de bétail et en chassant la faune pour le commerce et la consommation, le risque de propagation de ces maladies augmente. Les changements climatiques ajoutent au problème : le réchauffement des températures et les changements climatiques entraînent la migration des humains et des animaux, ce qui augmente les interactions entre humains et animaux et les possibilités de transmission de maladies entre espèces. Cette intersection entre la santé humaine, animale et environnementale est connue sous le nom de One Health (Une seule santé).
La pandémie de COVID-19 a montré à quelle vitesse les virus peuvent se propager dans un monde globalisé, sans tenir compte des frontières internationales. Plus récemment, l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que l’épidémie de mpox – une maladie causée par un virus trouvé chez les rats, les singes et les humains – était une urgence sanitaire mondiale, un rappel supplémentaire de la nécessité d’une réponse coordonnée face aux épidémies.
Les chercheurs et chercheuses examinent les relations complexes entre la santé des humains, des animaux et de l’environnement à l’aide de l’approche « Une seule santé ». De nombreux foyers de maladies qui se transmettent des animaux aux humains, appelés maladies zoonotiques, se trouvent dans des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Dans ces foyers de zoonoses, il est essentiel d’engager la participation des communautés locales dans la surveillance et la déclaration des maladies afin de prévenir et de détecter les épidémies. Cette philosophie est au cœur de l’Initiative de recherche collaborative One Health sur les épidémies (COHRIE) du CRDI.
Lancée en 2021, l’initiative COHRIE finance quatre projets de recherche dans neuf pays d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine. Conformément aux principes One Health, les projets sont structurés autour des liens entre la santé humaine, animale et environnementale. L’initiative COHRIE favorise la collaboration entre les secteurs, et la mise en œuvre de politiques et de systèmes permettant la détection précoce des maladies et une réponse coordonnée face aux épidémies.
En septembre 2024, les équipes de recherche de l’initiative COHRIE se sont réunies au Cap, en Afrique du Sud, dans le cadre d’un atelier visant à mettre en commun les idées et les leçons tirées de leur travail sur le terrain avant le Congrès mondial « Une seule santé ». L’atelier comprenait trois séances clés :
- un échange de connaissances thématiques sur les principales leçons tirées des réussites et des défis des projets
- une séance sur la façon de communiquer les résultats afin de susciter des changements dans les politiques, les pratiques et la recherche suivant l’approche « Une seule santé »
- une exploration des priorités pour la recherche future
Collaborer avec les communautés dès le départ
Parmi les principaux thèmes qui sont ressortis des discussions, notons l’impératif de travailler avec et pour les communautés dans la mise en œuvre de l’approche « Une seule santé ». Les équipes de recherche ont souligné l’importance de s’appuyer sur les connaissances communautaires et les systèmes existants, ainsi que sur les initiatives en cours, tout en offrant une formation et un soutien aux communautés afin de leur permettre d’identifier les symptômes des maladies infectieuses. Les chercheurs et chercheuses ont également discuté de l’utilisation d’approches novatrices, telles que la technologie de la téléphonie mobile, aux fins de déclaration des maladies.
Les chercheurs et chercheuses du projet Actions « One Health » en Afrique de l’Ouest se concentrent sur les impacts de la COVID-19, d’Ebola et de la fièvre de Lassa en Guinée, au Libéria, au Nigeria et en Sierra Leone. L’équipe a formé un groupe diversifié de bénévoles communautaires One Health, qui font partie d’un réseau d’action communautaire (RAC). Le groupe est chargé d’identifier et de signaler les zoonoses et les menaces environnementales à l’aide de la plateforme de messagerie mobile WhatsApp, intégrée à une application d’intelligence artificielle appelée InfraNodus. Ce système analyse les messages texte, les images, et les enregistrements audio et vidéo signalant des flambées de maladies afin de découvrir les modèles et les tendances pouvant éclairer la planification d’interventions rapides de santé publique.
Avant la formation du RAC, de nombreuses communautés ayant accueilli des projets ne disposaient pas de systèmes structurés pour assurer la surveillance des maladies en temps réel, la sensibilisation aux maladies zoonotiques et l’hygiène de l’environnement. Grâce à la formation, les communautés changent leurs pratiques. Par exemple, l’hygiène s’est améliorée lors de l’abattage des animaux. Les bénévoles signalent les symptômes de maladie plus tôt, ce qui permet une intervention coordonnée face aux nouveaux cas. Cela démontre une évolution vers des pratiques de santé et d’hygiène axées sur la communauté. La récente épidémie de mpox au Libéria en est un exemple concret : les communautés membres du RAC ont signalé la flambée dès ses premiers stades à l’aide de la plateforme WhatsApp du projet, ce qui a contribué à susciter une intervention rapide du gouvernement.
Pour assurer un changement durable, il est important de travailler en permanence avec les bénévoles de la communauté tout en tirant parti des structures existantes. En Ouganda, le projet a formé 127 bénévoles communautaires de One Health chargés de recueillir des données et de signaler les maladies dans le corridor du bétail du pays, qui abrite environ 60 % du bétail de l’Ouganda. Les bénévoles ont été sélectionnés en fonction de leurs rôles actuels en tant qu’agents de santé communautaire, agents de santé animale et agents de la faune. Des réunions hebdomadaires au cours desquelles les bénévoles partagent leurs expériences et apprennent les uns des autres sont essentielles au succès des groupes de bénévoles.
La collaboration avec les communautés permet de s’assurer que les connaissances traditionnelles sont valorisées et incluses dans les approches « Une seule santé ». Par exemple, le projet Une Amazonie travaille avec les communautés autochtones à l’élaboration conjointe de programmes communautaires de surveillance de la santé. En Équateur, les anciens d’une communauté ont formé des jeunes à l’utilisation de la médecine traditionnelle, et l’équipe de recherche a formé des chercheuses et chercheurs autochtones locaux à l’utilisation d’un système d’alerte précoce en cas de maladie. Chacune des équipes du projet Une Amazonie utilise une approche de rémunération équitable, en rémunérant le travail des aînés, des moniteurs ou des chercheurs autochtones au même taux que les professeurs des universités publiques.
L’équipe du projet mené en Guinée et en République démocratique du Congo a également fait participer les communautés à l’élaboration de stratégies intégrées de lutte contre les maladies propres au contexte et fondées sur l’approche « Une seule santé ». L’équipe de recherche s’est appuyée sur les données concernant les causes des maladies émergentes et réémergentes, tout en concentrant la recherche sur les conséquences ressenties dans les communautés, les perceptions communautaires des mesures de contrôle, ainsi que les perceptions des décideurs et décideuses, afin d’améliorer la mise en œuvre globale de la surveillance et de la lutte contre les maladies.
L’expérience des équipes de l’initiative COHRIE montre qu’il est essentiel de mobiliser les communautés dès le départ et de les faire participer à la conception et à la mise en œuvre des projets, tout en valorisant les connaissances locales et traditionnelles, pour instaurer la confiance et assurer l’appropriation des initiatives « Une seule santé ». Les équipes ont souligné que les chercheurs et chercheuses et les bailleurs de fonds devraient donner la priorité à cette approche axée sur la communauté dans les futures initiatives « Une seule santé ».
Des politiques nationales « Une seule santé » sont nécessaires pour assurer une coordination et une intervention efficaces
Des observations et des recommandations importantes ont émergé des discussions des équipes de recherche.
- Les systèmes communautaires, tels qu’ils ont été élaborés avec le soutien de l’initiative COHRIE, jouent un rôle essentiel dans la surveillance et la déclaration des maladies à l’échelle nationale. Cependant, les communautés peuvent se décourager si le gouvernement n’offre pas une réponse coordonnée lorsqu’ils déclenchent une alerte ou lorsqu’il y a une flambée.
- Il faut des politiques nationales « Une seule santé » pour renforcer la coopération et la coordination entre les secteurs et les ministères gouvernementaux. Les plateformes One Health existantes sont généralement hébergées au sein d’un seul secteur, comme le ministère de la Santé, plutôt qu’à un niveau transversal supérieur. Cela limite la collaboration, laquelle est requise pour mener des interventions coordonnées selon l’approche « Une seule santé ».
- Les gouvernements devraient prévoir un budget dédié aux activités « Une seule santé » une fois qu’ils ont mis en place une politique ou une plateforme nationale « Une seule santé », au lieu d’affecter des fonds aux différents secteurs engagés dans l’approche « Une seule santé ». De plus, une vision commune de cette approche et des objectifs clairs au sein de tous les secteurs sont essentiels pour soutenir la collaboration et déterminer les priorités de financement.
De la recherche à l’action : les solutions One Health au travail
Les résultats des travaux de recherche de l’initiative COHRIE sont déjà utilisés pour façonner les politiques. Par exemple, en Guinée, l’équipe de recherche a été invitée à contribuer à l’élaboration de la politique nationale « Une seule santé ». En 2023, l’équipe ouest-africaine a organisé une conférence multipartite à laquelle ont participé des ministres et des hauts fonctionnaires de chaque pays participant au projet, ainsi que des organisations non gouvernementales et de la société civile. Les discussions ont fourni de l’information précieuse à tous les pays participants, notamment à la Sierra Leone, qui est en train de réviser son manuel de gouvernance et son plan stratégique « Une seule santé ».
En Amérique latine, le projet Une Amazonie a fait des progrès importants vers la reconnaissance des pratiques autochtones pour prévenir et traiter les maladies. En collaboration avec des représentants et représentantes des ministères de la Santé, le projet a créé des forums permettant d’accueillir des propositions liées à l’autonomie des Autochtones et d’engager un dialogue interculturel.
Tandis que les répercussions de la pandémie de COVID-19 se font encore sentir, de nouvelles flambées de maladies, telles que la mpox et la maladie de Marburg, continuent de surgir et de se répandre, particulièrement en Afrique. En cette période charnière, les expériences des chercheurs et chercheuses de l’initiative COHRIE sont cruciales pour l’élaboration de politiques et de pratiques qui placent les communautés à l’avant-garde de la lutte contre les maladies infectieuses existantes et émergentes.
Recommandations
- Définir les priorités et les objectifs « Une seule santé » dans tous les secteurs pertinents, tels que la santé, l’agriculture et l’environnement, ainsi qu’une vision et une compréhension communes des objectifs afin d’harmoniser les efforts et le financement.
- Élaborer et mettre en œuvre des politiques nationales « Une seule santé ». Celles-ci doivent être appuyées par une loi du Parlement ou un engagement politique de haut niveau afin de garantir que les ressources sont affectées aux activités « Une seule santé », que les organismes gouvernementaux sont incités à collaborer et que les approches « Une seule santé » sont intégrées dans les processus décisionnels et budgétaires.
- Travailler avec les communautés dès le début des projets de recherche « Une seule santé » et les faire participer au processus de conception et de mise en œuvre, en intégrant les connaissances locales et traditionnelles. Cela aide à renforcer la confiance et l’appropriation des initiatives « Une seule santé » au niveau local et contribue à la durabilité du projet.
- Collaborer avec les membres de la communauté, tels que les agents de santé communautaire, les agents de santé animale et les responsables de la gérance environnementale, afin d’établir des systèmes de surveillance et d’intervention efficaces. Pour que ces systèmes soient efficaces, il doit y avoir une communication bidirectionnelle et une responsabilisation de la part des organismes gouvernementaux chargés d’intervenir en cas d’épidémie.
En savoir plus sur les projets de l’initiative COHRIE
- Surveillance, contrôle et prévention des zoonoses négligées en Ouganda
- Actions One Health en Afrique de l’Ouest pour comprendre, prévenir et endiguer les flambées épidémiques
- Décentraliser et opérationnaliser les plateformes One Health en Guinée et en République démocratique du Congo
- Une Amazonie : Évaluation One Health des menaces d'épidémies émergentes et de la résilience des peuples autochtones de l’Amazonie