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ÉTUDE DE CAS — Vietnam : Les communes du Vietnam progressent grâce à l’information

 
16 décembre 2010

Les communes du Vietnam progressent grâce à l’information

Au Vietnam, un système de suivi communautaire de la pauvreté s’appuie sur des enquêtes officielles afin de mieux cibler les pauvres. Les données supplémentaires permettent d’améliorer la vie des collectivités, celle des femmes en particulier.

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Une dizaine de jeunes femmes, concentrées, font glisser la soie sous l’aiguille de leurs machines à coudre modernes installées dans une salle de classe, au siège de l’Union des femmes de la province de Ninh Binh (UFNB). Elles sont en formation : elles apprennent le métier de couturière et, du coup, à améliorer leurs conditions de vie.

C’est l’un des nombreux programmes qu’offre l’UFNB afin de préparer les femmes à l’emploi. L’organisme est des plus dynamiques. Regroupant plus de 2 000 sections locales réparties dans les 147 communes de la province, l’UFNB s’emploie à faire avancer l’égalité des femmes et à protéger leurs droits. Ses champs d’action : éducation en matière de sexospécificités, formation professionnelle et création d’emplois, microcrédit et essor des entreprises, recherches sur la santé maternelle et infantile.

L’UFNB est la filiale provinciale de l’Union des femmes vietnamiennes, organisation non gouvernementale (ONG) créée au Vietnam en 1930 afin de permettre aux femmes de participer au développement du pays et d’améliorer leur situation sociale. Dans la province de Ninh Binh, elle compte plus de 200 000 membres. L’adhésion est volontaire, et la cotisation annuelle est de 6 000 VND (ou dongs, soit 0,34 USD), somme non négligeable dans un pays où le seuil de pauvreté se situe à 0,50 USD par jour.

Le CBMS

Le système de suivi communautaire de la pauvreté (CBMS) est un moyen méthodique de recueillir sur le terrain, d’analyser et de vérifier l’information dont se serviront les administrations locales, les organismes gouvernementaux nationaux, les ONG et les organismes de la société civile pour planifier les programmes de développement local, en établir le budget et les exécuter, ainsi que pour suivre de près et évaluer leur rendement. Mis à l’essai aux Philippines en 1994, il est maintenant appliqué dans 14 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.



Cerner la pauvreté

Comme l’explique Vu Thi Tan, présidente de l’UFNB, l’organisme a besoin d’information détaillée afin d’accomplir sa tâche. Les données sur la vie des collectivités, les ménages, les personnes, les femmes en particulier, sont insuffisantes. Pour pallier cette lacune, l’UFNB a mis en oeuvre, en 2007, un système de suivi communautaire de la pauvreté (CBMS) dans le district de Nho Quan, le plus pauvre de la province. Le CBMS a été conçu dans le cadre d’un projet de recherche financé par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), organisme canadien, afin de mesurer les impacts micros des politiques macroéconomiques et d’ajustement.

Gia Son est l’une des 27 communes participantes du district. Le Thanh Trinh, président du comité populaire de la commune, explique que les données recueillies servent à l’application de politiques relatives notamment à l’exemption fiscale pour les pauvres, à la gratuité scolaire et à l’établissement de taux de crédit préférentiels. La commune estime que le CBMS permet l’exécution d’une enquête socioéconomique très importante. L’information recueillie au sujet des ménages et des collectivités est élémentaire mais néanmoins complète, car les communes connaissent leur processus de développement.

Ainsi, ils ont constaté que 20 % des ménages étaient pauvres, soit 179 d’entre eux. Selon Le Thanh Trinh, l’information doit contribuer à réduire la pauvreté dans les communes. Il était prévu de la réduire de 3 % en 2008 et de poursuivre ainsi chaque année jusqu’à son éradication. La collecte de données visant à cerner la pauvreté n’est pas nouvelle au Vietnam. Elle se pratique depuis 1995, explique Le Thanh Trinh, moment où ont débuté les prestations.

Mais, selon Vu Tuan Anh, directeur adjoint du Centre de développement socioéconomique (SEDEC) à Hanoï et chargé du projet du CBMS, les enquêtes couvraient des échantillons limités et n’étaient pas utiles aux besoins locaux. Chaque année, les administrations locales devaient déterminer les ménages pauvres afin de cibler les services, mais comme cet exercice portait essentiellement sur le revenu, il ne permettait pas d’analyser la pauvreté et de planifier le développement.

Les aspects sexospécifiques de la pauvreté

En 1997, grâce au soutien du CRDI, Vu Tuan Anh s’est intéressé aux problèmes concernant la disponibilité des données, aux besoins des collectivités en matière de données socioéconomiques et à leurs capacités d’en produire et de les utiliser. Un projet pilote a démontré la faisabilité et l’utilité du système de suivi communautaire de la pauvreté est utilisé à tous les échelons : par le bureau central qui administre le programme national de réduction de la pauvreté, par les districts de cinq provinces sises dans quatre régions différentes et par le projet de réduction de la pauvreté exécuté dans deux districts de la province de Thanh Hoa.

Dans la province de Ninh Binh, explique Vu Thi Thanh, vice-présidente de l’UFNB, le président de la commune a lancé le CBMS en réunissant les agents communaux afin de discuter des objectifs de l’enquête et d’obtenir leur appui. Il a demandé aux militantes de l’UFNB d’effectuer l’enquête et aux employés administratifs du district d’agir comme personnes ressources.

Le questionnaire était simple et précis. Il a produit de bons résultats, utiles à leur travail. Seules des enquêtes sur échantillon ont été menées jusqu’ici, mais la commune est désormais en mesure de déterminer les ménages pauvres dans chaque village et les causes de la pauvreté : chômage, manque de connaissances des technologies ou autres raisons.

Selon l’UFNB, les autorités peuvent maintenant dénombrer les ménages dirigés par des femmes (2 000 dans le district de Nho Quan) et les ménages pauvres. Elles connaissent les niveaux d’instruction, une information inaccessible auparavant, et le nombre de ménages sans accès à l’eau potable et sans installations sanitaires. Ces données aident la commune à élaborer des plans visant à résoudre les problèmes.

À cette fin, explique Le Thanh Trinh, on a incité les ménages à cultiver de nouvelles variétés, à se servir de nouvelles technologies et à entreprendre des activités non agricoles. Des programmes de formation sont prévus pour parfaire leur éducation. Les administrations locales doivent aussi s’associer à des ONG, comme l’Union des femmes, afin d’aider les ménages pauvres.

Il sait toutefois que bon nombre de ménages s’approchent du seuil de pauvreté et sont à risque. Les progrès accomplis sont fragiles. Si le pays subit de nouvelles inondations cette année, la pauvreté touchera davantage de personnes. Il importe donc de cibler les groupes vulnérables : les ménages dirigés par des femmes ou constitués de veuves ou d’invalides. À Gia Son, on dénombre 41 de ces ménages.

Les mêmes données, de nombreuses utilisations

L’Union des femmes utilise les données à ses propres fins. Elle élabore notamment des programmes axés sur les soins de santé et l’éducation à l’intention des femmes, explique Mme Thanh.

Le milieu politique aussi utilise l’information. Ainsi, dit-elle, le secrétaire du parti a annoncé des mesures visant à améliorer les conditions de vie des femmes.

L’UFNB lui a recommandé, entre autres, de cibler d’abord les ménages dirigés par des femmes, ce que la province a approuvé, puis les femmes pauvres sans terre ou maison. À cet égard, la province a accepté que la commune accorde des terres ou une aide à la construction. Une troisième recommandation visait des transferts d’argent du gouvernement aux ménages afin qu’ils puissent acheter des outils agricoles, ou des poulets, et entreprendre des activités rémunératrices.

Quand les ménages reçoivent cette aide, l’UFNB les aide à construire poulaillers et porcheries et à vacciner les animaux, et elle leur apprend le maniement des outils.

Les données sont également utiles lors de catastrophes. Le district de Nho Quan est le plus pauvre de la province, précise Mme Thanh. Le gouvernement lui a prêté assistance après les inondations de 2007. Les données issues du CBMS ont alors permis de déterminer les communes et les personnes les plus nécessiteuses.

Les défis

Si les autorités communales et l’Union des femmes sont convaincues de l’utilité du CBMS, elles soulignent également les difficultés qui se sont présentées durant l’enquête. Par exemple, dans le district de Nho Quan, très montagneux, aller interviewer chaque ménage nécessitait trop de temps et d’argent. De plus, la population étant peu scolarisée, il était difficile de trouver des recenseurs : comme les titulaires de postes administratifs ne voulaient pas effectuer l’enquête, on s’est tourné vers les militantes de l’Union des femmes. Mais il est vite apparu que les 700 recenseuses n’avaient pas la formation adéquate.

Le questionnaire aussi posait problème. On l’avait adapté aux besoins locaux, mais les unités de mesure utilisées par les agriculteurs différaient des mesures internationales, et leur conversion était difficile. L’obtention de certains chiffres s’avérait impossible, entre autres en ce qui concernait le manioc, consommé par les ménages et que les agriculteurs ne calculent jamais, et certains animaux élevés par les villageois.

Le codage a causé un goulot d’étranglement. Dans la province de Ninh Binh, les agentes de l’UFNB et des étudiants s’en occupaient lorsqu’ils en avaient le temps. C’est le SEDEC qui a traité les données, car les communes n’en avaient pas la capacité.

Des changements positifs dans la province de Ha Tay

Ha Tay, ancienne province du delta du fleuve Rouge près de Hanoï, désormais rattachée à cette ville depuis août 2008, affronte les mêmes difficultés : le manque de ressources humaines et financières.

Le CBMS y a été mis en oeuvre par le service provincial du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales (DOLISA), principal organisme de la province voué au bien-être social et à la réduction de la pauvreté.

Deux enquêtes ont permis aux partenaires locaux d’analyser les données sur la pauvreté et ses différentes dimensions. Les objectifs : évaluer les mesures de réduction de la pauvreté et adapter les politiques en la matière. D’après Le Van Hoang, du DOLISA, l’éradication de la pauvreté pose un énorme défi au gouvernement. Même si Ha Tay affiche une croissance économique plus marquée que les autres provinces du delta du fleuve Rouge, son revenu par habitant est de moitié inférieur à celui de Hanoï dont elle fait maintenant partie.

Les deux enquêtes ont été menées à l’aide du CBMS dans 10 communes de la province de Ha Tay en 2006 et 2007, auprès de 8 000 ménages. Elles visaient à évaluer les résultats des enquêtes fondées sur le revenu que les communes effectuent d’habitude pour déterminer les ménages pauvres et à recueillir des données supplémentaires (ménage dirigé par une femme, ancien combattant, occupation, âge, etc.).

Ici également, on a adapté le questionnaire aux besoins locaux. Le logement, par exemple, est différent, et les agriculteurs n’élèvent pas les mêmes animaux. Le Van Hoang précise qu’on recueille aussi des données sur l’utilisation des terres et sur les raisons qui sous-tendent la pauvreté : manque de formation, de travail ou de terre. Cette information permet de cerner les besoins et d’accorder l’aide à bon escient.

Dans la province de Ha Tay, le questionnaire le plus long a été réduit afin de cibler seulement les champs de compétence de la commune. On a ainsi écarté la question portant sur la propriété de biens, car cette dernière n’est pas toujours associée directement à la pauvreté, et c’est une donnée qui ne change pas tous les ans. L’enquête s’est également limitée aux ménages à faible revenu, car le DOLISA n’avait pas les ressources pour interviewer tous les ménages.

Les résultats ont débouché sur des changements positifs dans la province de Ha Tay. Les autorités provinciales ont approuvé les recommandations qui leur ont été faites, déclare Le Van Hoang, notamment celle ayant trait à l’affectation de sommes au logement. Le gouvernement national a, lui, approuvé la recommandation concernant la formation des pauvres, en l’occurrence la formation technique à l’intention des agriculteurs qui ont perdu leurs terres.

Les données ont également donné lieu à des programmes visant à appuyer l’artisanat traditionnel pratiqué dans les villages et à accroître la participation des gens aux activités. Le gouvernement provincial a consacré 5 millions VND (282 USD) à la formation professionnelle des pauvres et un milliard VND (56 400 USD) à des projets d’élevage.

Aux dires de Le Van Hoang, les données du CBMS témoignent des besoins de la population et de la possibilité d’étendre les activités.

Cette étude de cas a été rédigée par Michelle Hibler, rédactrice principale au CRDI.

Les opinions exprimées dans cette étude de cas sont celles des chercheurs subventionnés par le CRDI et des experts dans le domaine.

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