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ÉTUDE DE CAS — Quito, Équateur : Les fermes de Quito, sources d’aliments, d’emplois et d’espoir

 

Les fermes de Quito, sources d’aliments, d’emplois et d’espoir

Le programme d’agriculture urbaine d’abord mis de l’avant par la municipalité de Quito pour garantir la sécurité alimentaire aide maintenant les résidants à s’organiser, à produire et à vendre.

Plus de 460 jardins parsèment l’étroite vallée qui abrite le district métropolitain de Quito, en Équateur. Les agriculteurs cultivent les terres aux limites de l’ancienne ville coloniale, sur les versants est et ouest des montagnes encerclant le centre de la ville et dans les quartiers s’étalant sans cesse vers le nord et le sud.

Un grand jardin s’étend en surplomb d’une longue enfilade d’immeubles d’habitation, à mi-flanc de la colline d’Itchimbía. Les 24 personnes qui le cultivent s’occupaient auparavant de jardins situés plus en hauteur, où ils vivaient dans des habitations de fortune. Après une longue lutte, ces migrants des régions rurales ont réussi à négocier avec la municipalité non seulement la construction de leurs habitations — qu’ils paient en versements raisonnables — mais également l’obtention de nouvelles terres pour y installer des potagers.

« J’adore jardiner », dit Martha Rodríguez, une représentante de l’association qu’ont récemment formée ces jardiniers.« Cela fait partie de ma vie. Et c’est un grand soutien pour ma famille. Je n’achète plus de légumes au marché; j’économise autour de 10 à 15 USD par mois ». Cet apport est d’une grande importance pour le revenu familial, puisque Martha Rodríguez ne gagne même pas le salaire mensuel minimum établi à 300 USD.

Les jardiniers d’Itchimbía ont su accroître le rendement de leur parcelle de terre grâce aux conseils d’experts et à la formation qu’ils reçoivent. Un conseiller technique vient régulièrement les rencontrer pour leur enseigner des méthodes d’agriculture biologique et des techniques pour rendre leurs parcelles de terre plus productives. Ce service est offert par AGRUPAR (Agricultura Urbana Participativa — Agriculture urbaine participative) dans le cadre d’un programme municipal, qui est en fait le prolongement d’un projet pilote réalisé à l’échelle de la ville et financé en partie par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Ce projet pilote s’inscrivait dans une recherche à laquelle avaient participé 10 villes vers la fin des années 1990 afin d’explorer comment les gouvernements municipaux pourraient soutenir l’agriculture urbaine.

Les recommandations d’AGRUPAR sont affichées dans une section commune du jardin qui sert aux démonstrations. Le jardin modèle est soigneusement subdivisé en planches de culture d’un mètre de largeur. Cette disposition permet à la terre de mieux absorber l’eau qui jaillit à intervalles réguliers d’un tuyau percé de trous ou d’une installation d’irrigation au goutte-à-goutte. Afin de garantir un rendement constant, les cultures à cycle court telle la laitue, les concombres et les radis ont remplacé les pommes de terre, les oignons et le maïs, qui peuvent prendre jusqu’à six mois pour pousser. Il y a également une petite serre de tomates, qui sont difficiles à cultiver à Quito, ville située à 2 800 mètres d’altitude.

La Ville doit encadrer les projets

Quito compte une centaine de ces jardins de démonstration, et 3 700 personnes ont reçu d’AGRUPAR de la formation en techniques agricoles, en organisation et en commercialisation des produits. Les services offerts par l’entremise d’AGRUPAR montrent que la municipalité a compris que l’agriculture urbaine — qui a toujours fait partie du paysage de la ville — doit être reconnue et encadrée pour devenir un outil de développement efficace. En avril 2000, les représentants de 33 villes d’Amérique latine et des Caraïbes, dont Quito, se sont réunis dans la capitale équatorienne pour analyser les résultats de l’initiative de recherche visant 10 villes de la région et en discuter; à cette occasion, ils ont engagé leurs gouvernements municipaux envers la promotion de l’agriculture urbaine. La Déclaration de Quito a par la suite été signée par 19 autres municipalités de la région.

Quito a été choisie pour la réalisation d’un projet pilote visant une première mise en application des leçons tirées des mesures mises de l’avant par les gouvernements locaux pour soutenir l’agriculture urbaine. Grâce au soutien financier du Programme de gestion urbaine d’ONU-HABITAT et du CRDI, la municipalité de Quito a élaboré un programme d’agriculture urbaine et mis à l’essai des initiatives de transformation et de commercialisation de produits agricoles dans le quartier central d’El Panecillo. Les travaux ont été interrompus à la suite d’un changement d’administration municipale, mais en mai 2002, AGRUPAR était créée au sein de la Dirección de Desarrollo Humano Sustentable (Division du développement humain durable). Alexandra RodríguezDueñas, coordonnatrice d’AGRUPAR, explique qu’AGRUPARavait été créée dans l’objectif d’améliorer la sécurité alimentairedes populations pauvres des quartiers centraux et périphériques, au moyen du jardinage et de l’élevage de petits animaux. L’agriculture urbaine garantit non seulement la sécurité alimentaire des familles qui s’y adonnent, mais également celle de leurs voisins, puisque ceux-ci peuvent désormais acheter des aliments exempts de produits chimiques et de parasites dans des quartiers de la ville où les produits frais sont rarement disponibles.

Lorsque les membres d’un groupe intéressé à aménager unj ardin communiquent avec AGRUPAR, ils sont invités à trouver un endroit où installer leurs propres jardins de même qu’un jardin de démonstration. Si le groupe ne réussit pas à trouver les terrains voulus, le gouvernement municipal tente de trouver des terrains municipaux vacants dont le groupe pourra ensuite négocier l’exploitation pour une période de deux ans. Les jardiniers aménagent la parcelle commune et leurs propres jardins sur un même terrain, si celui-ci est suffisamment grand; autrement, ils doivent aménager leurs jardins individuels proche de leur maison.

Pendant une période de huit à neuf mois, AGRUPAR approvisionne les groupes de jardiniers en semences et en compost organique, et leur fournit de la formation, une assistance technique et des documents éducatifs. Elle réduit son soutien en matériel au fur et à mesure que les agriculteurs apprennent à préparer eux-mêmes leur compost, leurs fongicides et leurs insecticides organiques, et qu’ils savent où se procurer des semences. Toutefois, des conseillers continuent d’initier les jardiniers aux nouvelles techniques d’agriculture biologique. Ils négocient aussi des prix avantageux avec les fournisseurs et trouvent des points de vente pour les produits.

Le virage commercial

Au début de 2005, la municipalité a transféré AGRUPAR à la Corporación de Promoción Económica (CONQUITO — Société de développement économique), créée en 2003 pour stimuler le développement économique. Le conseil d’administration de CONQUITO souhaite bâtir une ville viable, innovatrice et dotée d’un esprit d’entreprise. AGRUPAR est de loin la plus importante initiative de CONQUITO. Ce programme s’inscrit dans deux projets de la société : préparation à l’emploi et développement de la petite entreprise. Le second projet s’adresse aux agriculteurs qui ont acquis la sécurité alimentaire et ont la capacité de s’engager plus avant. AGRUPAR les encourage à créer des microentreprises et leur offre de la formation en planification d’entreprise, en commercialisation et en comptabilité.

Encouragés par la vente de leur première récolte de tomates, les jardiniers d’Itchimbía recherchent activement des formules permettant de produire des revenus. Ils ont démarré une pépinière qui approvisionne la municipalité. Ils examinent également la possibilité de fournir les produits qui entrent dans la composition des paniers d’épicerie préparés par la coopérative de leurs immeubles d’habitation. Dans les quartiers à faible revenu, les résidants mettent souvent leur argent en commun eté lisent des administrateurs chargés d’acheter pour eux des produits aux prix de gros. Ces marchés de gros pourraient être des débouchés pour nombreux groupes de jardiniers.

Certains agriculteurs urbains de Quito se sont aventurés encore plus loin. Depuis un an environ, une association de femmes du nom de Semillitas y Ensueños (Semences et Rêves) vend des cochons d’Inde et des légumes, y compris des tomates de serre, dans le quartier de La Lucha de los Pobres. Les 18 femmes qui ont formé cette association il ya huit ans disposaient chacune d’un carré potager sur un terrain que la municipalité avait cédé à l’association, et consommaient les produits de leurs cultures. Sur les conseils d’AGRUPAR, les femmes ont établi un calendrier de plantation collectif, opté pour des légumes à cycle court et commencé à acheter des semis afin d’obtenir des produits à maturité plus rapidement. Maintenant, lorsque les membres cueillent des légumes pour leur consommation personnelle, elles doivent verser un certain montant — moindre que le prix courant — dans une cagnotte commune, qui sert à assumer les coûts de fonctionnement et les investissements futurs. En juin 2004, l’association a commencé à élever des cochons d’Inde nourris en partie avec de la luzerne cultivée dans ce potager. Les femmes veulent réinvestir leurs bénéfices pendant quelques mois encore, puis commencer à se verser un certain salaire, explique Marlene Córdoba, présidente de l’association.

Depuis novembre 2005, un groupe de 10 résidants du quartier de Hinga Huayco, près de la limite nord de Quito, vend des produits au marché Ofelia, l’un des huit marchés en plein air tentaculaires administrés par la ville. AGRUPAR est actuellement en négociation afin d’y obtenir des places pour ses agriculteurs urbains les plus productifs.

Le groupe de Hinga Huayco a communiqué avec AGRUPAR il y a à peine un an. Peu de temps après, il amorçait son virage commercial. « Notre premier objectif est de produire des revenus », explique Rosa Mena, un membre du groupe. Celui-ci sera bientôt constitué en société sous le nom d’Association Makichuray (« Avec nos mains », en quechua).

Moins d’un mois après s’être installés au marché Ofelia, et avant même d’avoir obtenu l’autorisation de vendre leurs produits dans l’enceinte du marché, le groupe s’était déjà fait des clients réguliers prêts à payer 0,05 $ ou 0,10 $ de plus pour des aliments sans produits chimiques. Mais leur camion à demi rempli est souvent vide au milieu de la matinée. D’autres vendeurs se rendent au marché avec trois fois plus de produits. Le groupe doit donc prendre de l’expansion. C’est pourquoi il continuera de réinvestir les revenus de ses ventes dans l’achat de nouveaux réservoirs à eau et de systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte. Il a aussi décidé de se lancer dans des activités de compostage. Avec l’aide d’AGRUPAR, les membres de Makichuray ont convaincu l’administrateur du marché de leur acheminer deux tonnes de déchets biodégradables chaque semaine. En y introduisant des vers, ils transforment ces déchets en compost, qu’ils utilisent pour leurs cultures et vendent à d’autres agriculteurs urbains.

AGRUPAR estime qu’environ le quart des 460 jardins ont pris, à divers degrés, le virage commercial. Entre autres efforts pour trouver des débouchés commerciaux aux produits de ses agriculteurs urbains, AGRUPAR envisage d’organiser une foire écologique hebdomadaire dans un endroit central où seraient également offerts des produits biologiques d’agriculteurs d’autres régions du pays.

Un programme à vocation sociale, d’abord et avant tout

Cet intérêt pour la production de revenus n’a pas détourné le programme de sa vocation sociale, qui est, après tout, sa vocation première. Au moins 33 jardins, certains rattachés à des écoles et des hôpitaux, ne deviendront sans doute jamais des entreprises commerciales. Par exemple, les produits d’un jardin qui bénéficie de l’aide d’AGRUPAR servent à la préparation des repas d’un centre de réadaptation pour hommes alcooliques et toxicomanes, situé en haute montagne et qui a du mal à boucler son budget. Un autre jardin, exploité par une association de personnes âgées, permet de compléter le régime alimentaire de ses membres tout en leur fournissant un passe-temps très apprécié. Les 35 membres du groupe Vida Sana (Vie saine) concilient ambitions commerciales et travail communautaire. Ils acheminent 40 % de leur production à une soupe populaire pour personnes âgées. « Sans notre apport, la soupe populaire fermerait, et certaines personnes âgées sont pratiquement sans aucune ressource », affirme Bertha Sarango, membre de Vida Sana.

Il est clair que l’agriculture urbaine constitue dorénavant pour la municipalité un précieux outil d’intervention stratégique pour favoriser le développement de Quito à maints égards. Il s’agit encore d’une activité à petite échelle, touchant quelque 48 000 bénéficiaires et consommateurs sur une population de plus de 1,2 million d’habitants. Mais elle continue de prendre de l’ampleur et, tous les mois, de trois à quatre nouveaux groupes font une première prise de contact avec AGRUPAR.

« L’agriculture urbaine aide les gens à s’épanouir, des gens qui n’ont pas d’autres possibilités dans la vie, parce qu’ils n’ont ni instruction ni argent », explique Mme Rodríguez Dueñas. César Jaramillo, coordonnateur technique de CONQUITO, caresse de grands espoirs. L’agriculture urbaine, croit-il, avec les possibilités qu’elle offre de se créer un emploi et de produire des revenus, pourrait même aider à endiguer l’exode des Équatoriens qui vont chercher du travail à l’étranger parce qu’ils n’entrevoient aucun avenir dans leur pays.

Marché en vue dans un créneau traditionnel : L’élevage des cochons d’Inde en milieu urbain, une voie prometteuse

À Quito, l’élevage de petits animaux est un volet important de l’agriculture urbaine, et le cochon d’Inde en est l’animal de prédilection. Ces petits rongeurs font partie de la tradition culinaire des Équatoriens depuis plus d’un millénaire et ses éleveurs n’ont pas à concurrencer avec de grands producteurs industriels, comme ce serait le cas s’ils élevaient des poulets.

Le programme d’agriculture urbaine, AGRUPAR, offre de la formation à plus de 90 exploitants de petites fermes d’élevage de cochons d’Inde situées dans les limites de la ville. La formation porte sur l’entretien et l’élevage de ces animaux, ainsi que sur la transformation des produits qui en sont tirés.

Une association de femmes du nom de Semillitas y Ensueños (Semences et Rêves) élève des cochons d’Inde depuis plus d’un an. Elle en vend maintenant une dizaine par mois dans le quartier, mais Marlene Córdova, présidente de l’association, rêve d’en faire un jour l’exportation.

L’idée peut sembler saugrenue, mais César Jaramillo, coordonnateur technique de la société de développement économique municipale, croit que les quelque 800 000 Équatoriens qui travaillent en Espagne ou aux États-Unis pourraient représenter un bon marché pour des produits surgelés ou préparés de cochon d’Inde, et qu’il y a là un créneau d’exportation. Pour l’instant, Semillitas y Ensueños espère se gagner la clientèle des restaurants spécialisés dans la cuisine équatorienne traditionnelle.

« C’est un début », affirme Marlene Córdova. Cette étude de cas a été rédigée par Louise Guénette, de la Division des communications du CRDI.

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