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ÉTUDE DE CAS — Népal : La découverte de la diversité

 
5 janvier 2011

Agriculteurs et chercheurs travaillent à l'amélioration du riz et du maïs

Les variétés locales de céréales cultivées dans les hautes terres du Népal pourraient faire beaucoup pour accroître les disponibilités alimentaires, mais elles ont été longtemps ignorées par le système officiel de la recherche.

La biodiversité se développe parfois dans des endroits insoupçonnés. Le Népal, à l'ombre des plus hautes montagnes du monde, en est un bon exemple. Dans ce lointain pays d'Asie aux confins de l'Inde, poussent, malgré la topographie tourmentée, plus de 2 % des plantes à fleurs du monde. C'est là aussi que se trouvent plusieurs variétés uniques de maïs et de riz, les deux principales cultures vivrières de la population rurale qui vit de l'agriculture dans les contreforts de l'Himalaya.

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La conservation des variétés menacées mises au point par les agriculteurs et la sélection et la reproduction de nouveaux cultivars sont souvent considérées comme des activités distinctes qui intéressent des organisations différentes. Au cours de l'atelier " Using Diversity ", les participants ont étudié les points communs entre les deux démarches.



L'agriculture, ici, est difficile. Le terrain est accidenté -- certaines régions sont si éloignées qu'elles ne sont accessibles par la route qu'à des périodes bien précises de l'année. Le climat y est imprévisible; la pluviosité, incertaine. Dans cette région de montagnes, les terres arables sont rares et les quelques terres cultivables sont divisées en parcelles de plus en plus petites pour répondre aux demandes d'une population qui ne cesse de croître. En règle générale, les sols sont pauvres; la fertilité et la productivité régressent. Dans les montagnes, les terres sont marginales dans les conditions les plus favorables, et les agriculteurs doivent y cultiver une vaste gamme d'espèces végétales simplement pour survivre.

Voilà certes un sombre tableau. Mais il y a de l'espoir, et des progrès. De l'espoir en raison de la très grande richesse de la biodiversité et des progrès grâce à un groupe de sélectionneurs qui n'ont pas craint d'explorer des voies nouvelles et de travailler en collaboration avec les agriculteurs, montrant ainsi comment tirer profit de cette richesse pour cultiver un plus grand nombre de végétaux de meilleure qualité pour nourrir les paysans et leur famille.

Améliorer les modes de subsistance en milieu rural

Une ONG sans but lucratif, appelée LI-BIRD (Local Initiatives for Biodiversity, Research and Development), œuvre pour favoriser la gestion durable des ressources naturelles renouvelables et améliorer le gagne-pain des Népalais. Créée en 1995, LI-BIRD contribue à la conservation et à l'utilisation durable de la biodiversité grâce à ses projets de recherche participative et à ses initiatives de développement.

Le personnel de LI-BIRD se compose en grande partie de précurseurs de la phytosélection ou sélection végétale participative, comme on désigne cette nouvelle approche de la recherche agricole qui permet aux agriculteurs de jouer un rôle actif dans la mise au point et la dissémination de nouvelles variétés de cultures vivrières. Lorsque la sélection végétale repose sur l'approche participative, la recherche se fait surtout à la ferme plutôt que dans une station de recherche et les chercheurs travaillent en collaboration avec les agriculteurs à la sélection de variétés qui répondent à leurs besoins.

« Il y a quelques années, au Système national de recherche, on prétendait que LI-BIRD faisait de la propagande pour la recherche participative au pays », blague Sanjaya Gyawali, chercheur à LI-BIRD. « Mais nous avons réussi à démontrer que la phytosélection participative est importante parce que cette approche permet d'améliorer les variétés préférées des agriculteurs et qu'elle est rentable tant sur le plan des coûts que du temps investi. »

Le Népal possède, outre une riche diversité de riz cultivé et d'espèces sauvages apparentées au riz, jusqu'à 2 000 cultivars traditionnels. Différentes variétés de riz sont cultivées à diverses fins : pour la consommation domestique, bien sûr, mais aussi pour les festivals, la vente, comme produit d'accueil et même comme médicament. Bon nombre de projets entrepris par LI-BIRD en vue d'améliorer la riziculture en faisant appel à la phytosélection participative sont financés par des gouvernement et organismes internationaux, entre autres, par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada. En outre, LI-BIRD a formé des partenariats avec d'autres ONG et le Conseil national de recherche agricole du Népal a reconnu à leur juste valeur ses travaux mettant à contribution la phytosélection participative.

Des chercheurs novateurs

Dès 1985, le personnel de LI-BIRD (alors embauché par le Centre de recherche agricole de Lumle) innovait en adoptant la phytosélection participative lors d'essais décentralisés de variétés de riz résistant au froid dans le village de Chhomrong, en très haute altitude. Un grand nombre de projets de sélection participative du riz et du maïs ont été menés par la suite, tant dans des régions favorables où le rendement est meilleur que dans des régions où les conditions défavorables ne permettent qu'un rendement moindre. Ces projets visaient l'accroissement de la productivité, la mise en valeur de la biodiversité, le renforcement des capacités de sélection des agriculteurs et la modification des politiques.

Les chercheurs ont constaté que même en l'absence d'un système officiel, les variétés végétales peuvent être disséminées sur de longues distances grâce à des relations personnelles et aux réseaux. Cependant, le système de dissémination informel est lent; en règle générale, les agriculteurs n'échangent ou ne vendent de nouvelles semences à l'extérieur de leur village qu'au bout de quatre ans. Le projet a mis en lumière la nécessité d'accélérer la dissémination des variétés végétales dans l'intérêt de la collectivité tout entière.

Un autre projet a porté sur le riz pluvial, connu localement sous le nom de riz ghaiya, qui se cultive sur les plateaux, les terrasses ou les versants récemment déboisés et qui est alimenté en eau par les pluies. Ce sont surtout les paysans pauvres qui s'adonnent à cette culture sur d'anciens cônes alluviaux non irrigués, appelés tars. Le ghaiya occupe une place très importante dans le système de culture, et les agriculteurs le préfèrent au maïs pour sa valeur nutritive et la provende fournie par les pailles de riz.

L'étude a révélé que les cultivateurs de ghaiya connaissent bien la gestion des sols qui leur permet de maximiser le rendement des cultures. Les agriculteurs ont aussi démontré que la culture mixte du ghaiya et du maïs donne des rendements supérieurs. Certains paysans, toutefois, préfèrent planter le maïs après le ghaiya, estimant que le sol y gagne en fertilité. La diversité règne toujours parmi les variétés indigènes de ghaiya, quoique le nombre de variétés cultivées varie selon les dimensions des terrains : plus les parcelles sont grandes, plus les variétés sont nombreuses. Dans la majorité des régions à l'étude, les agriculteurs cultivent au moins deux variétés dont la vitesse de maturation diffère.

Des comités éclairants

Le succès de la phytosélection participative au Népal tient, entre autres facteurs, à la création de comités de recherche agricole (CRA), affirme Gyawali. Les membres des comités, formés des agriculteurs locaux, visitent des stations de recherche gouvernementales pour apprendre les techniques de création de variétés. Ensuite, ils transmettent ces connaissances aux autres agriculteurs.

« Avant de prendre part à ce projet, ils ne savaient rien des croisements, de la ségrégation des caractères et des longs processus d'évaluation inhérents à la création de variétés », explique le chercheur. « Aujourd'hui, ils comprennent mieux, mais les agriculteurs conservent le sentiment que leurs besoins sont au bas de l'échelle des priorités des chercheurs ».

Ainsi, ces agriculteurs soutiennent que la question de la résistance à la verse et à la sécheresse des cultivars traditionnels de maïs local n'avait jamais eu la priorité dans le programme de recherche national avant que les chercheurs ne prennent part aux initiatives participatives d'amélioration du maïs dirigées par les agriculteurs.

« En cinq ans à peine, nous avons pu améliorer les cultivars préférés des agriculteurs », ajoute Gyawali. « Quant au riz, il en existe déjà plusieurs souches prometteuses et nous avons l'intention de mettre en circulation, d'ici cinq ans, certains des meilleurs matériels génétiques. S'agissant de maïs, Resunga composite est un des excellents génotypes mis au point par les agriculteurs au cours des dernières années. La phytosélection participative est une façon peu coûteuse de créer de bons cultivars en relativement peu de temps. »

La variété de maïs Resunga composite a été mise au point et nommée par les agriculteurs qui ont participé à un projet d'amélioration du maïs mené par LI-BIRD dans les montagnes éloignées de l'ouest du Népal. L'environnement géophysique de cette région est différent des autres milieux de culture du maïs du pays, et les agriculteurs n'ont guère eu de succès dans leurs tentatives d'amélioration du matériel phytogénétique et de l'information à cet égard. Aussi, LI-BIRD, cette fois en collaboration avec le système national de la recherche a-t-il entrepris d'améliorer la productivité du maïs en montrant aux agriculteurs comment se servir de leurs connaissances et de leurs ressources pour accroître les récoltes de maïs en améliorant le rendement des cultivars locaux.

Le programme a été dirigé par les agriculteurs. Le projet visait à renforcer les capacités des agriculteurs en sélection des plantes et des semences et, ici encore, les CRA ont joué un rôle déterminant dans l'heureuse issue du projet, financé grâce à la subvention accordée par le CRDI au programme Recherche participative et analyse du genre (RPAG) du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI).

Le rôle essentiel des femmes

« Les CRA ont réussi à mener à bien, de façon indépendante, toutes les activités du projet et ils ont établi des liens de travail et de coordination avec d'autres organisations locales », souligne Gyawali. « Ces organisations comprennent notamment des groupes de semenciers, un comité de gestion et de commercialisation des semences et un sous-comité de femmes. »

Ce sous-comité de femmes revêt une importance particulière. LI-BIRD a toujours accordé une attention spéciale au rôle des femmes dans ses programmes. Par exemple, les femmes forment près de 40 % de l'effectif des CRA pour le projet d'amélioration du maïs. « Pour les projets de sélection végétale participative, les connaissances des femmes, en particulier sur les caractères post-culturaux, nous sont apparues très importantes », poursuit Gyawali. Les femmes jouent aussi un rôle de premier plan dans la sélection des semences, la dissémination des variétés préférées et dans l'évaluation des qualités gustatives de différentes variétés de riz et de maïs.

« La participation des femmes aux activités de projet fait partie intégrante de nos critères de programmation », ajoute Gyawali. « Elles prennent part à la production de technologies participatives dès l'étape de l'évaluation des besoins jusqu'à l'évaluation et à la dissémination du produit final. Les agriculteurs voient d'un bon œil la participation des femmes et ils les encouragent à s'engager dans les projets. »

Résultats

La participation directe des agriculteurs et des agricultrices dans le programmme LI-BIRD a souvent permis de définir de nouveaux objectifs de sélection qui répondent mieux aux besoins et aux intérêts des usagers.

Les foires des semences, les trousses d'information sur la biodiversité et les registres des collectivités sont des moyens utiles pour solliciter la participation des agriculteurs. « Nous avons mis au point des outils d'intervention directe pour la phytosélection participative et la gestion de l'agrobiodiversité utilisables pour diverses cultures », explique Gyawali. « Bon nombre de systèmes de recherche du secteur officiel ont reconnu l'utilité de ces outils et les ont adoptés. Pas seulement au Népal; leur popularité gagne également plusieurs pays d'Afrique. »

« Les agriculteurs et la collectivité agricole dans son ensemble possèdent des connaissances étendues sur la gestion de la biodiversité », déclare Gyawali. « Nous devons, d'une part, nous efforcer de mieux comprendre et de mettre à profit ce savoir indigène et, d'autre part, le consolider au sein du système officiel de la recherche. » Ainsi, au Népal, le Conseil national de recherche agricole et le Programme national de recherche sur le riz ont tous deux adopté les techniques de la phytosélection participative. En outre, LI-BIRD participe à un programme de phytosélection participative pour le blé mis en œuvre par le bureau régional de l'Asie du Centre international d'amélioration du maïs et du blé (CIMMYT).

Les défis de l'avenir

En dépit de tous ses succès, LI-BIRD devra faire face à des défis de taille à l'avenir. Il lui faudra notamment trouver des moyens de protéger les droits de propriété des agriculteurs pour les variétés qu'ils ont créées. Au Népal, le système est lent; il faut deux ans pour détecter les maladies dans les pépinières et deux autres années pour les essais sur les milieux d'acclimatation possibles. Si le criblage et les essais étaient faits simultanément, l'exercice prendrait deux fois moins de temps. Et le temps est une denrée rare, de dire Gyawali.

« Pour une ONG, le suivi nécessaire à la mise au point de nouvelles variétés est problématique parce qu'il suppose des engagements financiers à long terme. Par exemple, la mise au point de Resunga composite a pris quatre ans. Le projet a été un succès, mais comme le financement de RPAG a pris fin, LI-BIRD et les CRA manquent de fonds. De même, pour l'application de la phytosélection participative à la riziculture, nous devrons, d'ici à 2005, explorer de nouvelles sources de financement. Les engagements financiers à long terme posent de sérieuses limites aux projets de création de variétés végétales. »

Cette étude de cas fait partie d'une série de six articles sur la phytosélection participative rédigés par Ronnie Vernooy, spécialiste de programme principal au CRDI, et Bob Stanley, rédacteur scientifique.

Ouvrages de références 

Pour de plus amples renseignements sur l'agrobiodiversité en général, voir le site de l'Institut international des ressources phytogénétiques, www.bioversityinternational.org, ou la publication de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, The state of the world's plant genetic resources for food and agriculture (FAO, 1998).

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