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ÉTUDE DE CAS — Mexique (Paludisme) : Lutter contre le paludisme sans DDT

 

Une meilleure gestion de l'environnement pour vaincre la maladie

En vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain, le Mexique s'est engagé à cesser toute utilisation du DDT dès 2002. Toutefois, pour lutter efficacement contre le paludisme, le pays devait avoir recours à ce produit chimique. Des chercheurs, décidés à trouver des solutions de rechange, se sont penchés sur les facteurs de la dissémination de cette maladie : les humains, les moustiques et l'environnement dans lequel les parasites subsistent. Grâce à cette approche intégrée, le Mexique a réussi à abandonner l'usage du DDT avant la date prévue.

La séquence filmée en noir et blanc dans les années 1950 illustre l'assaut. Un groupe d'hommes munis de masques et de vêtements protecteurs investissent un village, atomiseur en bombe à l'épaule. L'ennemi à abattre : les moustiques, vecteurs du paludisme. L'arme de choix : le DDT.

Accéléré avant sur l'État de Oaxaca (Mexique) quelques décennies plus tard. Un groupe de femmes, les pieds dans l'eau d'un étang, rejettent sur le rivage de grandes nattes vertes que forment les algues. À chaque coup de fourche, des milliers de larves de moustiques perdent leur habitat.

Ces femmes prennent part à une initiative mexicaine visant à lutter contre le paludisme sur plusieurs fronts. L'expérience est concluante. La participation de la collectivité aux stratégies de contrôle, une surveillance accrue et un traitement plus pointu ainsi que l'utilisation de nouvelles techniques de pulvérisation d'insecticides dans les maisons ont permis au Mexique de réduire considérablement la transmission du paludisme. Il ne comptait, en 2001, que 4 996 cas contre 15 121 en 1998. En soi, cette diminution est remarquable; mais elle l'est davantage quand on songe qu'elle s'est produitesans une seule goutte de DDT.

La contribution des chercheurs parrainés par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada a été déterminante dans ce succès. Le Dr Mario Henry Rodriguez, Juan Eugenio Hernández et leur équipe se sont intéressés de près à la lutte contre le paludisme dans l'État de Oaxaca, région du Mexique où cette maladie est particulièrement tenace. Grâce à l'appui de divers donateurs et institutions, ils ont fait appel à une approche écosystémique pour mieux saisir la complexité de la maladie et l'environnement dans lequel elle sévit. Leur projet a aidé le Mexique à éliminer complètement l'utilisation de DDT en trois ans à peine. Le Mexique est ainsi devenu un modèle pour d'autres programmes antipaludiques de la région.

Le paludisme au Mexique

Le paludisme est depuis longtemps un important problème de santé publique au Mexique, où les conditions qui prévalent dans 60 % du pays sont propices à la transmission de cette maladie. Dans les années 1940 et 1950, environ 24 000 personnes par année y ont succombé et près de 2,4 millions de Mexicains en ont souffert. Le gouvernement a mis sur pied un programme d'éradication du palu-disme, reposant sur un traitement antipaludique et la pulvérisation intensive de DDT dans les maisons. Les cas se firent moins nombreux, mais il a été impossible d'éradiquer complètement la maladie du pays. C'est dans les régions côtières que le problème a persisté le plus longtemps, les mesures antipaludiques n'ayant réussi qu'à interrompre la propagation du paludisme. La preuve en a été cruellement faite, en 1997, lorsque l'ouragan Paulina s'est abattu sur le Mexique, laissant dans son sillage des lieux de reproduction fertiles où les moustiques ont rapidement proliféré : 12 000 des 16 000 cas de paludisme dénombrés par la suite ont été enregistrés dans l'État côtier de Oaxaca.

Cette flambée a incité l'Instituto Nacional de Salud Pública (INSP -- Institut national de santé publique) du Mexique à entreprendre une étude des nouvelles approches de lutte contre le paludisme, centrées sur les « îlots de persistance ». Le Mexique devait encore relever un second défi : en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain, il s'était engagé à réduire de 80 % l'utilisation du DDT en 2000 et à l'éliminer complètement dès 2002 (voir l'encadré Le DDT : l'objet de prix bien différents). Toute nouvelle stratégie de lutte contre le paludisme devait être exempte des produits chimiques sur lesquels se fondaient les anciens programmes antipaludiques.

Le DDT : l'objet de prix bien différents

En 1948, Paul Hermann Müller se voyait décerner le Prix Nobel pour la découverte du DDT, un insecticide puissant. Lors de son utilisation pour lutter contre les maladies transmises par les insectes, l'Organisation mondiale de la santé a estimé qu'il avait sauvé la vie de 25 millions de personnes. Aujourd'hui, ce produit chimique est considéré comme un véritable fléau à cause de ses effets néfastes sur l'environnement et la santé humaine.

Le Canada et les États-Unis ont proscrit l'usage du DDT, mais il était toujours utilisé au Mexique pour lutter contre le paludisme. En 1997, le Canada, le Mexique et les États-Unis ont élaboré un Plan d'action régional nord-américain sur le DDT pour favoriser la collaboration et le partage d'expériences durant l'élimination progressive de ce produit toxique. Le programme de lutte contre le paludisme qui en est résulté a connu un tel succès que le Mexique a pu abandonner l'usage du DDT deux ans avant la date prévue.

Le modèle mexicain est une stratégie intégrée fondée sur la participation de la collectivité, la prévention et l'amélioration des diagnostics et des traitements. Juan Eugenio Hernández et le Dr Mario Henry Rodriguez ont reçu, en octobre 2002, le prix Jorge Rosenkranz pour leur contribution à l'élaboration de cette approche. Ce prix est offert pour encourager la recherche scientifique et reconnaître l'excellence académique.

La collaboration institutionnelle

Cet objectif ambitieux requérait la participation de plusieurs institutions, dont l'INSP, le Centre national de salubrité de l'environnement, le Programme de lutte contre le paludisme et le CECIPROC (Centre de formation intégrale des promoteurs communautaires). Le Dr Mario Henry Rodriguez, directeur du Centre de recherches sur les maladies infectieuses de l'INSP et Juan Eugenio Hernández, directeur du service informatique de l'Institut, ont alors lancé un vaste programme de recherches très poussées. Le CRDI, le ministère de la Santé du Mexique, la Commission nord-américaine de coopération environnementale et le Conseil national de recherche et de technologie du Mexique (CONACyT) ont financé divers éléments du programme.

Les chercheurs ont adopté une approche écosystémique afin de mieux comprendre les facteurs déterminant l'incidence et la dissémination du paludisme à Oaxaca. « Nous considérons le paludisme de différents points de vue, y compris sous l'angle de la biologie moléculaire du vecteur et du parasite, de la perception du paludisme dans la collectivité, des analyses statistiques et en fonction d'un système de surveillance fondé sur l'information géographique », affirme M. Hernández.

L'équipe était formée de spécialistes de divers domaines : épidémiologie, informatique, entomologie et sciences sociales. Avant ce projet, les chercheurs travaillaient dans des domaines distincts. L'approche « écosanté » leur a permis de collaborer et d'accroître la cohérence des résultats de la recherche. « L'approche écosystémique de la santé humaine, ou écosanté, est un processus dynamique qui réunit les points de vue de différentes disciplines et de divers intervenants », explique le Dr Rodriguez. « C'est une façon de systématiser la recherche. »

L'importance du SIG

Pour rassembler tous les éléments de ce problème complexe qu'est le paludisme, le projet a fait appel à un système d'information géographique (GIS) -- un outil de cartographie informatique qui traite et synthétise des données provenant de sources diverses. Le SIG a été mis en application dans plus de 2 000 villages; il contenait des données sur l'élévation, le climat, la pluviosité moyenne, la pulvérisation d'insecticides, la distance entre le village, les cours d'eau et les routes, et les mouvements humains locaux.

Analysant les cartes produites par le SIG, les chercheurs ont déterminé les régions les plus à risque d'infection palustre. Ainsi, ils ont constaté que plus un village est situé près de la route principale, plus les villageois sont susceptibles de contracter le paludisme. La recherche sur l'écologie des moustiques a permis d'en découvrir les raisons. « Les moustiques ne se déplacent pas beaucoup », souligne le Dr Rodriguez. « Les femelles ont toute la place voulue pour pondre leurs œufs et il y a assez de nourriture pour tous les moustiques. Pourquoi iraient-ils ailleurs ? »

Autrement dit, bien que ce soit les moustiques qui transmettent le paludisme, la propagation de la maladie se fait par les personnes qui en sont atteintes. Lorsqu'une route est facile d'accès, le paludisme suit ce chemin. « Nous estimons que les humains sont les véritables vecteurs de la maladie, les moustiques étant considérés comme des agents propagateurs dans l'environnement local. Mais ce sont les humains qui transportent la maladie plus loin », fait valoir Hernández.

La dissémination du paludisme

Avec l'aide de la collectivité, les chercheurs ont étudié de plus près comment les gens contractaient et répandaient le paludisme. Ils ont recueilli des données démographiques de base et examiné des facteurs comme les moustiquaires, le genre d'habitation et la présence d'animaux et de végétation près des maisons. La recherche a également porté sur les facteurs sexospécifiques associés à la transmission du paludisme. Habituellement, les femmes vont chercher de l'eau tôt le matin, à l'heure où piquent les moustiques porteurs de paludisme. Quant aux hommes, ils sont aussi susceptibles de contracter la maladie lorsqu'ils passent la nuit dans les plantations de café où rien ne les protègent des moustiques.

Les données révèlent qu'environ la moitié des cas de paludisme dénombrés sont des cas de récidive. « Il est faux de croire qu'après avoir traité une collectivité, tous les parasites ont disparu », déclare le Dr Rodriguez. « Ceux-ci restent en dormance dans le foie des patients et lorsque les moustiques reviennent, ils se réveillent et le paludisme réapparaît. » Les cartes du SIG vont dans le même sens puisqu'elles illustrent les cas de récidive dans certains ménages. À San Rafael Toltepec, par exemple, 78 % des cas de paludisme étaient concentrés dans 28 % des maisons.

Le contrôle ciblé

Voilà pourquoi les autorités sanitaires ont opté pour le contrôle ciblé du paludisme. Un traitement préventif est administré aux gens qui ont souffert de la maladie au cours des deux années précédant la saison de transmission en cours et leur maison est pulvérisée avec des insecticides à base de pyréthrines de synthèse qui, contrairement au DDT, ne restent pas dans l'environnement. « Nous pensons pouvoir ainsi arrêter le cycle de transmission et de rechute », poursuit le Dr Rodriguez. « Il est important de ne pas donner de traitement prophylactique à tout le monde, surtout en raison de son coût, mais aussi parce que le parasite du paludisme devient de plus en plus résistant au médicament. »

Le Dr Rodriguez et ses collègues chargés du programme de lutte contre le paludisme préconisent une nouvelle méthode de pulvérisation des insecticides. À l'aide d'une pompe mécanique récemment mise au point, deux personnes peuvent pulvériser les murs d'environ 40 maisons par jour contre huit maisons avec une pompe manuelle.

« Les gens sont donc protégés plus rapidement et pour le même prix qu'avec la technique qu'ils utilisaient auparavant », indique le Dr Rodriguez.

L'action communautaire

Conscients de l'importance fondamentale de la participation de la collectivité, les villageois n'hésitent pas à se mouiller, littéralement, pour lutter contre le paludisme. Toutes les deux semaines, des groupes formés principalement de femmes pataugent dans l'eau d'étangs situés à proximité de leur village pour en retirer les algues. En faisant disparaître ces plantes nuisibles, les villageois privent les larves de moustiques de leur habitat, entraînant ainsi la diminution des populations de ces insectes parasites.

Les membres de la collectivité collaborent également à l'essai de nouvelles méthodes de surveillance. L'approche classique du diagnostic du paludisme fait appel aux essais en laboratoire. Les frottis sanguins des personnes présentant les symptômes du paludisme sont envoyés au laboratoire d'un hôpital pour y être analysés; il faut souvent jusqu'à 28 jours avant d'en connaître les résultats. S'il ceux-ci sont positifs, les malades sont traités. Mais parce qu'il s'écoule un assez long laps de temps entre le test et le traitement, la propagation du paludisme se poursuit.

Le projet évalue un nouveau test de diagnostic rapide. « Nous considérons que ce test constitue lui aussi une forme d'intervention », précise le Dr Rodriguez. « Le plus important est d'intervenir assez tôt pour empêcher l'éclosion de nouveaux cas. C'est pourquoi il faut disposer d'un mécanisme de surveillance efficace et opportun. » Le test consiste à placer une goutte de sang sur une bandelette réactive, laquelle est plongée dans un mélange de réactifs pendant 15 à 30 minutes. Si le test est positif, le traitement complet commence sur-le-champ et on peut ainsi mettre fin au cycle de transmission de la maladie.

Des travailleurs de la santé ont commencé à évaluer, bénévolement, ce test de diagnostic rapide dans plus de 60 collectivités. S'il se révèle partout exact, « nous donnerons aux gens les moyens de se traiter eux-mêmes », explique Hernández. Une vidéo éducative montre aussi aux collectivités comment limiter leur exposition à la maladie. En entourant leur lit d'une moustiquaire, en abattant les arbustes et en enlevant les algues des plans d'eau, les gens peuvent eux-mêmes prendre en charge la lutte contre le paludisme.

Des interventions réussies

Les statistiques révèlent que ces interventions sont un succès. En 2002, on n'a dénombré que 237 cas de paludisme dans l'État de Oaxaca. Des chercheurs ont entrepris l'étude des perceptions du paludisme et de la lutte contre cette maladie au sein des collectivités afin de saisir tous les facteurs de cette réussite. « Nous prenons du recul », explique le Dr Rodriguez. « La transmission et le contrôle de la maladie peuvent être compris différemment par les chercheurs et par les collectivités », poursuit-il. Ainsi, des gens qui ont été atteint de paludisme cinq ans auparavant peuvent prétendre qu'ils n'ont pas contracté la maladie. « Pour eux, c'est l'année en cours qui compte », affirme le chercheur. Qui plus est, bon nombre de villageois consultent un guérisseur traditionnel, ou saurin, lorsqu'ils souffrent de paludisme. Pour eux, c'est parce qu'on leur a jeté un sort qu'ils en souffrent, non à cause d'un parasite.Même l'enlèvement des algues a forcé les chercheurs à remettre en question leurs hypothèses. D'après le Dr Rodriguez, les femmes enlèvent les algues des étangs parce que cette tâche est vue comme une entreprise communautaire, non parce que c'est un moyen d'éradiquer le paludisme.

Voilà pourquoi le Dr Rodriguez accorde autant d'importance aux recherches complémentaires. « Nos expériences nous ont permis de mieux comprendre pourquoi il fallait effectuer de nouvelles recherches sociales si nous voulons pouvoir intervenir dans d'autres régions du pays tout en continuant notre travail à Oaxaca », dit-il.

« Je suis convaincu que nous avons opté pour une méthode efficace. Reste maintenant à tirer de cette expérience des enseignements dont l'application peut être généralisée pour modifier réellement le cours des choses. »

Cette étude de cas a été rédigée par Jennifer Pepall de la Division des communications au CRDI.

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