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ÉTUDE DE CAS — Chili : Santé, environnement et culture autochtone

 
7 janvier 2011

Un regain de vie pour les collectivités Mapuche

Les populations autochtones sont parmi les plus pauvres et les plus marginalisées de la planète. Ce sont elles aussi qui sont les plus tributaires, pour leur bien-être, de milieux sains et durables. Au Chili, des chercheurs et des organisations mapuches, parrainés par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), travaillent en collaboration afin de mieux gérer l'environnement local et d'améliorer la santé de la collectivité. Ce faisant, ils ont conçu une approche novatrice du développement communautaire.

Le potager, ou huerto, de Carmen Marín est un véritable fouillis d'herbes et de plantes vertes, mais la vieille Autochtone sourit lorsqu'on laisse entendre que son jardin aurait besoin d'un bonsarclage. « Nous cultivons les bonnes plantes et les mauvaises herbes tout ensemble », dit-elle. « C'est dans l'ordre naturel des choses, et il faut assurer l'harmonie si l'on veut des plantes fortes et en santé. »

Carmen Marín est une aînée respectée de ses compatriotes, les Mapuches du sud du Chili. Les connaissances qu'elle et les guérisseurs traditionnels (appelés machi) ont des plantes médicinales, sauvages et cultivées, constituent depuis des générations la première ligne de défense des stratégies de santé communautaire. Pourtant, les interventions en santé publique « moderne » en tiennent rarement compte.

Le conflit entre les croyances traditionnelles en matière de santéet les approches modernes du traitement et de la prévention des maladies s'incarne dans la lutte des Mapuches pour trouver leur place dans le Chili d'aujourd'hui. Les Mapuches sont fiers de leurculture et de leurs traditions. Mais l'influence persistante de la colonisation et les tentatives d'assimilation répétées ont fait naîtrela méfiance au sein de la société chilienne dans son ensemble. Les programmes hiérarchisés, planifiés à l'échelon national et axés surles besoins perçus des « Autochtones » n'ont guère réussi à apaiser les tensions. En réalité, ils ont souvent empiré les choses. Les écosystèmes qui jadis assuraient la subsistance des Mapuches ont pâti de la lutte que durent mener les familles et les collectivités pour jauger et contrer les effets des projets de développement importés. Dans les faits, il s'ensuit que cette population autochtone est l'une des plus pauvres et des plus marginalisées du pays.

La recherche de solutions

Trouver le moyen de favoriser un développement plus équitable et durable par une collaboration plus étroite entre les Mapuches, l'État et la société chilienne est au cœur même des travaux de Teresa Durán. Vers le milieu des années 1990, Durán, alors directrice du Centre d'études socioculturelles (CES) de l'Université catholique de Temuco (UCT), a procédé à l'évaluation d'un projet, financé par le CRDI, sur la qualité de l'eau dans des collectivités isolées du Sud. Les tests ont révélé des niveaux élevés de contamination fécale dans les puits, les ruisseaux et les rivières qui alimentent en eau potable les résidants de deux secteurs ou unités administratives mapuches, Makewe et Rüpükura.

Afin de remédier à la situation, une organisation locale de Makewe a fait appel au CRDI pour obtenir son appui soutenu et un ensemble de techniques sanitaires et d'assainissement de l'eau. Bon nombrede ces techniques ont été adoptées par plusieurs collectivités de Makewe, mais les habitants de Rüpükura ont fait bien peu pour améliorer les choses. Poussant plus loin son investigation, Durán a découvert que des problèmes de leadership divisaient la collectivité sur des questions générationnelles et religieuses. En outre, la population locale ne voyait guère les avantages d'un projet de transfert de technologies. Pour les villageois, les questions d'eau potable et d'installations sanitaires faisaient partie d'enjeux beaucoup plus vastes concernant la de santé et les moyens de subsistance.

Grâce aux étroites relations qu'elle a nouées avec des universitaires mapuches et non-mapuches, des spécialistes du développement et des groupes communautaires autochtones, Durán a réussi à négocier une structure de direction pour un projet de recherche coopérative que pourraient avaliser toutes les parties en cause. Cet accord a donné lieu à la création d'une équipe interculturelle et interdisciplinaire formée de représentants du CES, du Centre de développement durable (CDS) de l'UCT, de l'Asociación Indígena de Rüpükura et du Centro de Educación y Tecnología del Sur (CET SUR -- Centre d'éducation et de technologie du Sud). L'équipe a élaboré un projet axé sur les enjeux liés à l'approvisionnement en eau, la santé communautaire, la sécurité alimentaire, la fertilité du sol et les pratiques agricoles durables. Cette conception plus vaste du développement local s'inscrivait parfaitement dans le droit fil de l'approche écosystémique de la santé humaine (Écosanté).

« Plus les relations entre les hommes, les femmes et leur milieu naturel sont étroites, plus le bien-être des gens est lié à la conser-vation de la santé, qu'il s'agisse de la santé humaine, animale oude l'environnement », affirme Durán. « Nous avons adopté une approche participative et intégrée pour essayer d'harmoniser la croissance économique avec le développement durable et la santéde la population. »

Cette approche supposait que l'on s'occupe de l'absence de leadership local en matière de développement communautaire. Bien que les membres des collectivités autochtones aient, à titrepersonnel ou collectif, souvent participé aux programmes et aux projets financés par l'État et les organisations caritatives, leur participation se limitait à accepter et à mettre en œuvre les plans conçus par d'autres. Pour que le développement communautaire tienne véritablementcompte du point de vue et de la présence des Mapuches, Durán et son équipe considéraient comme essentiel d'aborder l'épineuse question des relations entre les Mapuches, l'État et la société chilienne.Il fallait donc trouver moyen de colmater les brèches au sein même des collectivités mapuches.

Dans un premier temps, les chercheurs ont aidé les chefs mapuches, appelés longkos, à constituer l'Asociación Indígena de Rüpükura en entité juridique, puis à la faire nommer bénéficiaire de financement au même titre que l'université.

Ce dernier aspect peut sembler négligeable, mais il est important, affirme Andrés Sánchez, agent de programme au CRDI. « Le financement de l'Asociación permettait aux collectivités de prendre place autour de la table comme partenaires de plein droit et de prendre part aux négociations avec l'Université de Temuco et d'autres institutions sur les mesures à prendre, par qui et à quel moment. Elle obtenait ainsi une plus grand marge de manœuvre sur l'établissement du programme de recherche et la détermination d'actions concrètes. »

Même si l'université a joué un rôle de premier plan dans l'étude de base sur les indicateurs de santé humaine et de salubrité de l'écosystème, la collectivité s'est chargée non seulement de la planification et de la mise à l'essai des techniques de protection et de gestionde l'eau, du sol et des ressources végétales, mais aussi d'assurer la sécurité alimentaire.

Des plans d'action locaux

Les chercheurs ont effectué un sondage auprès de 80 % des 150 ménages installés le long des pentes abruptes de la vallée Chol Chol de Rüpükura. Leur étude portait sur quatre domaines : la santé,l'environnement, l'économie et les systèmes de production, etl'organisation sociale. Ils ont recueilli de l'information notamment sur l'histoire locale et les relations entre les Mapuches et l'État, les perceptions locales et les croyances traditionnelles en matière de santé, sur les maladies courantes, les types d'érosion du sol et la dégradation de l'environnement, les pratiques culturales, les besoins en eau des ménages et des collectivités et la gestion des déchets organiques. Tous les membres de l'équipe se sont servis de cette information pour élaborer un plan d'action relatif aux préoccupations de la collectivité en matière d'environnement et de santé.

À ce jour, ce plan d'action a réglé dans une certaine mesure lesproblèmes d'érosion et de pénurie d'eau grâce à l'adoption detechniques de conservation du sol et de l'eau. Des techniques simples comme l'installation de puits et de réservoirs en ferrociment,alimentés par gravité, sur les pentes surplombant les établissements agricoles ont aidé à protéger l'alimentation des ménages en eau potable. Ces structures ont été installées en des endroits stratégiques afin de fournir de l'eau potable aux foyers tout en respectant latradition mapuche de garder les sources d'eau dans leur état naturel.

En agriculture, le plan d'action a mis l'accent sur les techniques de gestion écologiques des ressources naturelles. Les cultures traditionnelles, comme le kinwa ou quinoa, ont été réintroduites. En outre, des femmes de Rüpükura ont, à une occasion, échangé des semen-ces avec les femmes d'un secteur voisin et rapatrié ainsi six variétés indigènes de haricots, une variété de pois chiches et une autre de pois potagers qui avaient disparu de Rüpükura.

Culture autochtone et planification du développement

L'approche interculturelle adoptée par Durán et son équipe a permis aux membres et aux dirigeants de la collectivité de se rapprocher des sphères universitaires et judiciaires et des autorités municipales et nationales.

Dans le cadre de ce projet, les activités décrites ci-dessous ont été menées simultanément afin de favoriser non seulement le dialogue et une meilleure compréhension des cultures, mais aussi l'élaboration de nouveaux modes de planification et d'exécution des programmes officiels de développement :  

  • exploration de l'histoire et de la culture mapuche, en particulier l'histoire locale de Rüpükura et les répercussions de la législation actuelle du Chili (Ley Indígena);
  • renforcement des capacités de l'Asociación Indígena de Rüpükura de communiquer et négocier avec les institutions publiques;
  • diffusion des expériences de Rüpükura avec certaines organisations mapuches dans d'autres régions du Chili;
  • facilitation de l'auto-évaluation de l'équipe interculturelle dans le cadre de réunions régulières.

Le perfectionnement de cette approche interculturelle se poursuit. À l'issue du projet et grâce au financement des autorités sanitaires de la région, Los Servicios de Salud Araucanía Norte y Sur, l'université a mis à son programme un premier cours d'études supérieures à l'intention du personnel médical et des gestionnaires des programmes gouvernementaux. Un second cours a ensuite été offert à 40 hauts fonctionnaires. Les deux cours ont été donnés par des spécialistes et des universitaires mapuches, en collaboration avec l'université.

Revitaliser la « collectivité »

Selon Durán et les autres membres de l'équipe, « le projet a mis en lumière la complexité des interactions entre les groupes autochtones et les institutions chargées de la planification et de la mise en œuvre des programmes de développement officiels ».
En contribuant à l'expression des points de vue plus affermis des Mapuches sur le développement local, le projet a changé la nature de ces interactions, ce qui n'a pas eu l'heur de plaire à tous. Ainsi, au début du projet, les autorités municipales ont signé une entente prévoyant l'inclusion des propositions en matière de développement communautaire découlant de la recherche dans les mécanismes de prestation des programmes et services municipaux aux Mapuches de Rüpükura. Le personnel municipal, toutefois, considérait que cet accord compliquait son travail. Alors qu'auparavant, la mise en œuvre des programmes municipaux ne consistait qu'à trouver les personnes les plus qualifiées pour les administrer, dorénavant, il fallait présenter, expliquer et négocier ces programmes avec les représentants des Mapuches. De plus, le fait que ces derniers fassent part de leur opinion au sujet de la qualité et de la pertinence des services dans le cadre de discussions communautaires et recueillent un consensus exigeait des autorités municipales des réponses et des mesures beaucoup plus réfléchies.

Par contre, les autorités régionales et nationales estimaient que la représentation plus étendue et le renforcement de la capacité organisationnelle de l'Asociación leur donnaient l'occasion de mieux étoffer leurs programmes. Par exemple, la Corporación Nacional de Desarrollo Indígena (CONADI -- Conseil national de développement autochtone) a financé des travaux d'irrigation et mis en œuvre un programme pour aider les collectivités autochtones à enregistrer leurs droits relatifs à l'eau. Ce programme a été fort mal accueilli par les groupes Mapuches plus traditionnels pour qui l'eau n'est pas une marchandise mais un bien inaliénable de la terre dont les gens ont besoin pour survivre. Des réunions ont été organisées pour y débattre du pour et du contre. Finalement, les collectivités de Rüpükura ont enregistré leurs droits d'utilisation de l'eau, mais seulement comme mesure de précaution.

L'Asociación a évolué et noué de nouvelles relations au sein de factions concurrentes à Rüpükura. Les Mapuches ont ainsi pu faire valoir de nouveau plusieurs de leurs doléances passées, qu'elles aient trait à la « pénurie de terres » et à la contamination des terres agricoles et de l'eau ou à la pulvérisation aérienne d'insecticides sur les plantations forestières. Des groupes de défense des intérêts des femmes ont aussi été créés au sein des collectivités de Rüpükura. Bien que leurs revendications portent principalement sur la santé et la production agricole, chacune des collectivités a adapté le thème à ses propres besoins. À Pedro Marín, par exemple, les villageoises se sont surtout intéressées à la promotion de la médecine traditionnelle et à la culture des plantes médicinales pour répondre aux besoins familiaux. Dans la collectivité voisine d'Anselmo Quintriqueo, les regroupements de femmes ont centré leurs efforts sur l'amélioration des potagers familiaux. En collaboration avec l'équipe du projet, les résidantes de Juan Nahuelpi ont organisé une série d'exposés sur la santé axés en particulier sur le contrôle de l'hypertension artérielle et sur le traitement et la prévention des infections respiratoires. Elles ont réussi à obtenir des fonds pour améliorer les postes sanitaires.

Selon Andrés Sánchez, les changements survenus au sein de la collectivité et de l'Asociación ont eu pour effet direct d'accroître les investissements. « La modeste contribution du CRDI, de 60 000 $US, a été mise à profit pour obtenir d'autres autorités nationales des fonds s'élevant à dix fois plus. »

Le projet a donné lieu à un autre changement notable : la « redécouverte » de traditions perdues ou oubliées. Lorsque la collectivité de Zewco s'est jointe à l'Asociación, le longko et les aînés de cette collectivité ont organisé une célébration religieuse traditionnelle, appelée nguillatun -- la première à avoir lieu dans ce secteur depuis plus de vingt ans. Ils ont aussi construit une ruka, la maison traditionnelle des Mapuches. Aujourd'hui, la ruka est une place commune où jeunes et vieux se rencontrent pour se rappeler les coutumes, lesdanses et l'artisanat traditionnels. Elle constitue aussi une évocation du point de vue et de la présence des Mapuches à Rüpükura, désormais impossibles à dévaloriser ou à ignorer.

Cette étude de cas a été rédigée par Kevin Conway de la Division des communications du CRDI.

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