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ÉTUDE DE CAS — Burkina Faso : Apprendre à ne pas être pauvre au Burkina Faso

 
22 décembre 2010

Un système de suivi communautaire de la pauvreté a permis à des villageois du Burkina Faso d’analyser leur état de pauvreté, sous divers aspects, et les résultats ne leur ont pas plu. Aussi, ont-ils décidé d’agir. Leur action collective a entraîné des améliorations concrètes et attiré de nouvelles sources de financement destiné à des projets de développement prioritaires.

Avant, même s’ils n’avaient rien à manger, les gens ne savaient pas qu’ils étaient pauvres. Aujourd’hui, même s’ils ont à manger, ils le savent.

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C’est ce qu’affirme Amos Yelkouni, président du comité de mise en place du système de suivi des conditions de vie des ménages de Lilbouré, un village aux abords de Yako, au Burkina Faso.

Qu’est-ce qu’une collectivité d’un pays pauvre comme le Burkina Faso peut bien retirer de mieux connaître son état de pauvreté ? Le village burkinabé qui connaît les dimensions de sa pauvreté sur le plan politique, social, financier, de la santé et de l’éducation s’en trouve-t-il mieux pour autant ?

Il suffit de passer un peu de temps à Lilbouré pour constater l’extraordinaire confiance en soi que ses habitants ont acquise grâce au système de suivi du bien-être des ménages. Du chef aux villageois, en passant par les bénévoles qui ont interviewé leurs voisins, tous admettent que les deux enquêtes (réalisées en 2002 et en 2007) ont contribué à améliorer leurs conditions de vie. Ils montrent avec plaisir les résultats bien tangibles, entre autres, un nouveau périmètre maraîcher clôturé et muni de pompes à eau à énergie solaire.

Désormais, les habitants de Lilbouré comprennent parfaitement leur situation. Ils sont conscients que la pauvreté ne se mesure pas uniquement à la quantité d’aliments qu’ils consomment, mais également par des facteurs financiers, sociaux et politiques. Ils savent aussi que leurs conditions de vie s’améliorent.

Depuis plusieurs années, le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI), une organisation non gouvernementale (ONG) dont le siège est à Montréal, au Canada, mène des actions de développement dans la commune de Yako. C’est grâce à la collaboration du CECI avec une équipe composée de Prosper Somda, du Centre d’étude, de documentation et de recherche économique et sociale (CEDRES) de l’Université de Ouagadougou, Lassina Konaté, de l’Unité de formation et de recherche en sciences économiques et gestion de la même université, et Michel Koné, de l’Institut national de la statistique et de la démographie, que le système de suivi a été adopté à Lilbouré.

Un système simple mais essentiel

En 2000, le gouvernement du Burkina Faso a préparé un premier document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP). Le succès de la stratégie reposait sur sa capacité d’atteindre les habitants les plus pauvres et d’obtenir des résultats des actions entreprises.

La voie était tracée pour la conception d’un système de suivi communautaire de la pauvreté (CBMS) qui remédierait aux lacunes freinant l’exécution des programmes de développement du pays : l’absence de données actualisées et ventilées, la participation communautaire insuffisante à la planification du développement et au processus décisionnel, le manque de coordination entre les programmes et la faiblesse des capacités locales, en particulier en milieu rural où 90 % de la population est analphabète.

La décentralisation amorcée au Burkina Faso depuis 1995 confirme la pertinence du système de suivi. Même si les ressources nécessaires à son succès ne se sont jamais matérialisées, la décentralisation va de l’avant. Aux collectivités locales de prendre leur avenir en main. Puisque le système a notamment pour objectif de cerner des indicateurs de pauvreté que les collectivités peuvent mesurer périodiquement et mettre à jour elles-mêmes, il pourrait devenir une pierre angulaire de la décentralisation.

Selon Prosper Somda, le système répond aux besoins des collectivités rurales grâce à sa méthodologie simple et pratique. Il produit à un coût modique les données nécessaires à l’établissement de profils de pauvreté à l’échelle locale. L’expérience des villages de la périphérie de Yako le démontre bien.

Prosper Somda se dit convaincu que le CBMS élaboré dans le cadre d’un projet sur les impacts micros des politiques macroéconomiques et d’ajustement, financé par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), organisme canadien, s’avérera indispensable. Il demeure le seul outil de collecte de données que les collectivités peuvent utiliser pour concevoir des plans de développement fondés sur des données fiables, à l’échelle des villages, des communes et des provinces.

 

Le CBMS

Le système de suivi communautaire de la pauvreté (CBMS) est un moyen méthodique de recueillir sur le terrain, d’analyser et de vérifier l’information dont se serviront les administrations locales, les organismes gouvernementaux nationaux, les ONG et les organismes de la société civile pour planifier les programmes de développement local, en établir le budget et les exécuter, ainsi que pour suivre de près et évaluer leur rendement. Mis à l’essai aux Philippines, il est maintenant appliqué dans 14 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.


L’adaptation du CBMS

L’expérimentation et l’adaptation du système de suivi a débuté à Yako et dans cinq villages avoisinants en 2002. Le démarrage a été difficile. Les collectivités participantes comptaient peu de personnes suffisamment scolarisées pour recueillir les données, les classer et, encore moins, pour les analyser.

L’équipe de recherche a ciblé des indicateurs pertinents et proposé d’effectuer l’enquête sur la sécurité alimentaire et la santé deux fois par année, pendant la saison sèche (de novembre à mai) et pendant la saison des pluies (de juin à octobre), et de recueillir les données sur d’autres indicateurs, comme le revenu des ménages, une fois l’an.

En arrivant dans la commune de Yako, l’équipe du professeur Somda a expliqué le système de suivi aux habitants et la façon dont ils y contribueraient, en précisant que ce projet de développement atypique leur permettrait de trouver euxmêmes des solutions pour améliorer leurs conditions de vie. Chaque village devait désigner des recenseurs âgés de 18 à 40 ans, ayant au moins trois années de scolarité, une bonne connaissance du mooré, la langue locale, et le temps d’effectuer l’enquête. Dix-sept des 29 candidats formés aux techniques d’enquête ont été retenus comme recenseurs, dont quatre superviseurs.

Les autorités villageoises ont accordé leur plein appui à l’équipe d’enquêteurs, que soutenaient les universitaires de Ouagadougou et les animateurs du CECI.

En juin et juillet 2002, les recenseurs ont recueilli des données sur 1 283 ménages de la commune de Yako. Ils ont interviewé les chefs de ménage, explique Amos Yelkouni, puis chacune de leurs femmes, l’une après l’autre. Chaque personne a été interviewée et a répondu aux questions.

Il y avait deux catégories d’indicateurs : des indicateurs simples, que les recenseurs pouvaient analyser afin de tirer des leçons que les comités villageois de développement pouvaient appliquer immédiatement au profit des populations locales, et des indicateurs complexes, qu’il fallait informatiser. Le traitement des données s’est fait manuellement pour respecter le principe de la maîtrise et de l’utilisation communautaires des données établi par le CBMS. L’équipe de recherche a contribué au regroupement et à l’analyse électroniques des données.

Vu le taux élevé d’analphabétisme, la diffusion des résultats dans les collectivités posait problème. La solution ? Représenter les données par des illustrations faciles à comprendre (une par indicateur — taille de la population, santé et nutrition, installations sanitaires, éducation) sur papier et sur des tableaux que l’on affichait dans les salles de réunion des villages. Ces dessins ont servi à illustrer les manuels, et l’information a été traduite en mooré.

Des progrès

La présentation des résultats de la première enquête menée à Lilbouré a suscité une véritable prise de conscience. La collectivité s’est vue pour la première fois comme dans un miroir.

Toutefois, un certain mécontentement s’est manifesté du fait que des personnes interrogées avaient sciemment sous-estimé leurs réserves de nourriture dans l’espoir d’en recevoir davantage. Lorsqu’on a demandé à la population de valider les données recueillies, ces personnes se sont rendu compte qu’elles avaient caché la vérité. Elles ont alors demandé de répondre de nouveau aux questions.

Selon Bernadette Boukoungou, animatrice du CECI installée près du village, la première enquête a soudé les gens de Lilbouré. Les résultats ont incité les villageois à agir. Ils ont construit des diguettes pour récupérer l’eau de pluie à des fins agricoles; il en a résulté de meilleures récoltes et une réduction de la faim, principal indicateur de pauvreté au village. Ils ont aussi installé des pompes à énergie solaire autour d’un grand potager communautaire.

En 2007, une deuxième enquête s’est déroulée dans les 39 villages de la commune et les sept secteurs de la ville de Yako; on a comparé les résultats des deux enquêtes et mesuré les progrès accomplis. Les comités villageois de développement et les collectivités ont effectué l’enquête eux-mêmes, à peine soutenus par l’équipe du CBMS. Les collectivités s’étaient donc approprié le système.

On a aussi mené l’enquête CBMS dans les communes de Diébougou, en 2006, et de Koper, en 2007, dans le cadre d’une démarche complémentaire des efforts nationaux visant l’amélioration du suivi de la pauvreté participatif, recommandée dans le DSRP de 2004.

Les enquêtes ont confirmé que la population de la commune de Yako était très jeune (près de la moitié des personnes recensées avaient moins de 15 ans) et démontré que des investissements s’imposaient, surtout dans les secteurs de la santé et de l’éducation, et que les habitants devaient davantage prendre part aux activités d’associations.

Entre la tenue des deux enquêtes, les conditions s’étaient améliorées : davantage de maisons avaient un bon toit, des planchers de béton et des lits. L’eau, les postes de radio et l’éclairage étaient plus accessibles. Toutefois, les régions rurales n’étaient pas encore électrifiées, et une famille sur trois n’avait toujours pas accès à l’eau potable, ce qui augmentait les risques de maladies d’origine hydrique.

L’éducation avait progressé sensiblement. Lors de la première enquête, seulement 40 % des enfants étaient inscrits à l’école primaire : ce pourcentage avait doublé en 2007. Malheureusement, toutefois, l’inscription globale était passée de 84 % en 2002 à 74 % en 2007.

En 2002, 70 % des répondants avaient affirmé ne pas manger à leur faim. En 2007, grâce en grande partie aux mesures prises par la collectivité, ce pourcentage était ramené à 40 %. Les familles avaient de plus grandes réserves céréalières et consommaient viande et poisson plus souvent. Cependant, la malnutrition nuisait toujours au développement physique et intellectuel des enfants. Par ailleurs, six nouveaux centres de soins primaires avaient permis d’améliorer les services de santé, et les taux de maladie avaient fléchi. Davantage de gens affirmaient avoir une meilleure hygiène et utiliser plus de savon.

Dans la commune de Diébougou, le succès du projet pilote mené dans cinq localités a décidé les autorités à étendre l’enquête à l’ensemble de la population, soit près de 40 000 personnes établies dans 23 villages, pour prouver la faisabilité du CBMS et convaincre les autorités locales et nationales de son importance comme complément du système statistique national.

Réaction en chaîne

Les progrès sont manifestes à Lilbouré, tout comme le dynamisme des villageois et l’esprit communautaire qui les anime. Les villages avoisinants s’en inspirent : neuf d’entre eux ont demandé des conseils pour aménager des potagers. Selon les habitants de Lilbouré, les autres veulent suivre leur exemple. Mais, rappelle leur porte-parole, le progrès a un coût : il faut s’organiser, participer aux réunions, verser ses cotisations, tenir des assemblées. Les habitants de Lilbouré sont convaincus que cela en vaut la peine, et ils ont adhéré au processus sans aucune réserve.

L’indispensable apport de fonds et de compétences externes demeure l’obstacle principal à la mise à jour des données. Prosper Somda sait que le système est peu coûteux, mais aussi que les collectivités ne pourront l’utiliser qu’en disposant de revenus supplémentaires.

Le système de suivi communautaire de la pauvreté est déjà mis à profit pour améliorer le bien-être des gens. En avril 2008, le maire de Yako signalait que les données obtenues à l’aide du CBMS l’avaient aidé à négocier le financement de projets de développement prioritaires. Il lui fallait des données fiables, car travailler à l’aveuglette lui compliquait la tâche pour obtenir des fonds. Comme le dit un adage, « celui qui dispose de l’information est riche et très riche », affirme-t-il.

Cette étude de cas a été rédigée par Jean-Marc Fleury, ancien directeur de la Division des communications du CRDI, en collaboration avec Michelle Hibler, rédactrice principale au CRDI.

Les opinions exprimées dans cette étude de cas sont celles des chercheurs subventionnés par le CRDI et des experts dans le domaine.

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