Élaborer des politiques en matière de cybersanté pour favoriser une plus grande équité au Kenya

Il semble évident qu’il faille utiliser les technologies de l’information et de la communication pour aider les populations défavorisées et marginalisées du Kenya à avoir accès à des soins de santé.
Les régions rurales isolées du Kenya n’ont pas suffisamment d’établissements de soins de santé et font face à une grave pénurie de travailleurs de la santé, alors que plus de 90% du territoire national est desservi par des services sans fil.
Même si ce fort taux de pénétration des services sans fil a entraîné une véritable explosion des projets de cybersanté, les recherches menées par le Wellcome Trust Research Programme révèlent que ces services n’ont pas permis de rendre les soins de santé plus accessibles dans l’ensemble du pays.
Une carte présentant les projets de cybersanté au pays, la première du genre à avoir été dressée au Kenya, montre que les 70 initiatives qui ont été mises en place à l’heure actuelle dans ce domaine se cantonnent aux villes de Nairobi, Kisumu et Mombasa ou aux environs. Dans les régions arides et semi-arides du pays, qui abritent les personnes ayant le plus besoin de services, les projets de cybersanté sont rares et très éloignés les uns des autres.
Selon les chercheurs, l’absence d’une stratégie et de normes nationales bien définies en matière de cybersanté contribue à cette répartition inéquitable des services, ainsi qu’à des chevauchements et à un gaspillage des ressources.
Cartographier la couverture offerte par les projets de cybersanté
En 2013, grâce au financement du CRDI, les chercheurs ont entrepris d’évaluer si les interventions en cybersanté favorisaient l’équité en matière de santé et permettaient de renforcer la gouvernance du système de santé. Ils se sont posé quelques questions. Les services de santé sont-ils disponibles en temps opportun et à un coût abordable pour ceux qui en ont besoin? Les décisions liées à la santé sont-elles prises de façon transparente, et tous les intervenants sont-ils consultés?
La recherche a permis de constater qu’en dépit de bonnes intentions et du lancement d’une série d’initiatives gouvernementales visant à relever les défis liés au système de santé, il y a encore beaucoup de travail à faire pour offrir des soins de qualité à tous les habitants du Kenya.
La première stratégie nationale de cybersanté est l’une de ces initiatives. Elle a été lancée en 2011 afin de favoriser l’équité du système de santé. Tirant parti du potentiel des technologies de l’information afin d’améliorer les systèmes de santé, cette stratégie visait cinq domaines clés: la télémédecine; les dossiers de santé électroniques; les renseignements à l’intention des citoyens; la santé mobile (l’utilisation des technologies mobiles dans le domaine de la santé); l’apprentissage en ligne ou l’enseignement à distance, afin d’accroître les connaissances des professionnels de la santé.
Les chercheurs ont remarqué que la plupart des projets de cybersanté existants tenaient compte de ces priorités, et qu’ils s’intéressaient beaucoup à la santé mobile. En fait, les résultats ont révélé que 69% des initiatives s’appuyaient sur les téléphones mobiles.
La carte a permis de révéler les domaines d’intervention prioritaire des 70 programmes: élargir l’accès géographique aux services de santé, améliorer la gestion des données, former les travailleurs de la santé, et améliorer les diagnostics. La volonté de favoriser l’adoption de comportements sains était aussi un thème commun, surtout en ce qui a trait aux soins primaires, au traitement du VIH/SIDA et à la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants.
De bonnes intentions, mais une mise en oeuvre déficiente
Les chercheurs ont néanmoins aussi constaté que la plupart des interventions avaient été effectuées par des organisations non gouvernementales (ONG) financées par des bailleurs de fonds. Puisqu’elles ont été mises en oeuvre en vase clos, sans l’approbation du ministère de la Santé, peu d’entre elles correspondaient aux besoins et priorités à l’échelle nationale. De nombreux projets ont été abandonnés après la phase pilote en raison du manque de financement et de soutien gouvernemental.
Les chercheurs ont aussi découvert que les utilisateurs de soins de cybersanté et les fournisseurs de soins de santé n’avaient pas été consultés au cours de l’élaboration des projets, et que les programmes ne tenaient donc pas compte de leurs besoins. Encourager les collectivités à participer aux décisions pourrait améliorer la responsabilité et la gouvernance à l’égard des projets et accroître le sentiment d’appartenance.
Les chercheurs ont constaté que seulement huit projets avaient été systématiquement évalués, et qu’un seul avait fait l’objet d’une analyse coût-efficacité. On ne savait donc que peu de choses sur l’effet qu’ils ont eu, et on n’en avait tiré que peu d’enseignements sur les facteurs de succès ou d’échec.
Les chercheurs se sont aussi montrés préoccupés par le grand nombre d’interventions qui s’intéressaient aux mêmes enjeux, ce qui a donné lieu à des chevauchements et à la fragmentation des efforts. Ils ont également relevé le manque d’intégration avec le système national d’information en matière de santé, ce qui entrave la capacité d’échanger de précieux renseignements entre projets ou de les communiquer au ministère de la Santé. Les chercheurs ont découvert que plusieurs personnes responsables de la mise en oeuvre de la cybersanté hésitaient à communiquer des renseignements, notamment en ce qui a trait au matériel et aux logiciels utilisés, ce qui a eu pour conséquence de limiter la capacité du ministère de la Santé à tirer parti des réussites et des enseignements.
Vers un cadre et une politique en matière de cybersanté
Au début du projet, le Kenya n’avait pas de cadre réglementaire, de normes, de lignes directrices, ni de politiques en matière de cybersanté. Cela limitait la capacité de gérance et d’engagement du gouvernement, qui est importante pour assurer la viabilité des projets. L’équipe de recherche a travaillé en étroite collaboration avec l’unité de cybersanté du ministère de la Santé tout au long du projet, et elle a consulté les intervenants des organisations qui les ont mis en oeuvre, les utilisateurs et les travailleurs de la santé sur le terrain.
La carte présentant toutes les interventions en matière de cybersanté a été transmise au ministère de la Santé et à d’autres intervenants pour favoriser la collaboration, la consultation, l’harmonisation et l’intégration du système de santé dans son ensemble. Le ministère élabore actuellement un cadre qui permettra de certifier toutes les innovations en cybersanté, à tous les niveaux du système de santé. Il permettra de réduire les chevauchements tout en favorisant le recours à des plateformes communes.
Les résultats de la recherche témoignent de la nécessité d’établir un dialogue permanent entre les principaux intervenants du ministère de la Santé, des ONG et des bailleurs de fonds pour améliorer la pertinence et la viabilité des divers efforts déployés dans le domaine de la cybersanté.
La recherche a aussi permis de signaler des problèmes liés à la sécurité et à la confidentialité des données. L’équipe de recherche a en effet découvert que les données recueillies dans le cadre d’interventions en cybersanté sont souvent stockées dans des serveurs situés en dehors du Kenya. Pour remédier à ce problème, le ministère de la Santé et l’Université de Nairobi s’affairent à mettre en place un serveur commun pour stocker les données au pays.
Les résultats sont maintenant utilisés pour orienter l’examen de la précédente stratégie en matière de cybersanté et élaborer des normes, des lignes directrices et la première politique du pays en matière de cybersanté. On prépare aussi des guides pour uniformiser le matériel et les logiciels et garantir l’interopérabilité ainsi que des normes communes pour les systèmes de santé mobile.
Comme les chercheurs l’ont fait remarquer, les programmes de cybersanté du Kenya et tous les Kenyans bénéficieront, à long terme, des résultats de cette étude. Les résultats permettront aussi d’alimenter les débats internationaux sur la meilleure façon de mettre en oeuvre la cybersanté afin de favoriser l’équité en matière de santé et de renforcer la gouvernance dans ce domaine.


