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Des solutions communautaires au problème des déchets en Indonésie

 

Le 22 février 2005, après trois jours de fortes pluies, un glissement de terrain mortel s'est produit à la décharge de Leuwigajah, près de Bandung en Indonésie. Au cours de la nuit, près de 2,7 millions de mètres cubes d'ordures, de déchets dangereux et de boue ont dévalé, comme une avalanche, sur les villages de Cilmius et Cireundeu.

Aux dires de témoins, le bruit ressemblait à celui d'une explosion ou du tonnerre. En quelques minutes à peine, la coulée dévastatrice a parcouru près d'un kilomètre.

Le glissement a causé la mort de 140 personnes et détruit 69 maisons.

Cette dernière tragédie à survenir illustre de manière spectaculaire les défis que doit relever l'Indonésie en matière de gestion des déchets solides.

Une lutte quotidienne

Moins impressionnante, la lutte quotidienne des résidants pauvres des villes indonésiennes dépourvues d'une bonne gestion des déchets solides se répercute également sur les coûts en matière de santé et d'environnement.

En Indonésie, les zones urbaines produisent environ 55 000 tonnes de déchets solides par jour, dont seulement 50 à 60 % sont ramassés, et les décharges sont généralement des dépotoirs à ciel ouvert. Sur le plan de la santé, il en résulte des décès prématurés, des maladies graves et une qualité de vie diminuée.

La dengue et le paludisme se propagent par les moustiques qui se reproduisent dans les bassins d'eau stagnante. Des maladies d'origine hydrique comme la diarrhée et d'autres infections gastro-intestinales sont également transmises par l'eau contaminée.

Les éboueurs et fouilleurs d'ordures, eux, risquent d'être infectés par des bactéries ou exposés à des produits dangereux. En outre, les dioxines se répandent lorsqu'on brûle les déchets contenant des polychlorures de vinyle (PVC) dans les quartiers où il n'y a pas de collecte.

Un rapport de la Banque mondiale paru en 2004 indique que l'insuffisance des dépenses publiques affectées à l'infrastructure en Indonésie empêche de s'attaquer à la réduction de la pauvreté et à la croissance économique. Selon le rapport, la faiblesse de l'infrastructure, y compris le manque d'installations pour traiter les déchets solides, a réduit la qualité de vie et contribue à la contamination des eaux souterraines et de surface de même qu'à la destruction des écosystèmes.

Des méthodes novatrices de gestion des déchets

Le CRDI aide à combler les lacunes en infrastructure dans le domaine de la gestion des déchets en appuyant la recherche axée prioritairement sur des choix éclairés, des solutions techniques dont le coût est accessible et des modèles décentralisés. Les projets soutenus par le Centre examinent de nouvelles façons de gérer les déchets solides dans les bidonvilles au moyen de méthodes novatrices de collecte, de tri et d'élimination des déchets.

L'ONG allemande Bremen Overseas Research and Development Association (BORDA) collabore à un des projets appuyés par le CRDI. Cette ONG suit de près les capacités des administrations locales en matière de gestion des déchets solides. Selon elle, les villes indonésiennes font face à des problèmes élémentaires : la logistique et l'équipement nécessaires pour acheminer les ordures en dehors des quartiers font tout simplement défaut.

En outre, elle constate que les municipalités ont énormément de difficultés à trouver le financement nécessaire pour assurer une gestion adéquate des sites d'élimination définitive des déchets. Dans certaines grandes villes, des glissements de terrain se sont produits sur les sites d'entassement des détritus. D'autres villes sont aux prises avec les collectivités qui vivent près des dépotoirs ou encore avec d'autres municipalités qui refusent de recevoir leurs déchets. Selon BORDA, la plupart des administrations locales ont une compréhension limitée des raisons pour lesquelles il importe de maintenir la propreté des villes à long terme.

Depuis 2006, le CRDI appuie un autre projet, axé sur la gestion décentralisée des déchets solides, qui se déroule dans des localités indonésiennes. BORDA collabore à ce projet, dont l'exécution est assurée par trois ONG locales, BEST, Bali Fokus et LPKP. La recherche et la mise au point de solutions sont effectuées dans quatre collectivités à faible revenu, soit à Tangerang, Denpasar, Mataram et Sidoarjo.

Le ciblage des citadins pauvres

Les groupes sociaux vulnérables ciblés par le projet sont principalement des citadins pauvres sans sécurité sociale ni revenu, sans assurance-maladie et peu aptes à revendiquer leurs droits et à exprimer leurs besoins auprès de l'administration locale. L'équipe du projet aide ces groupes à mettre sur pied un organisme communautaire chargé de coordonner les activités du projet et de les exécuter.

Les résidants établissent l'échéancier du plan d'action ainsi que la cartographie de la collectivité, et ils déterminent l'endroit où seront aménagées les installations de récupération. Tant les collectivités que les divers ordres de gouvernement ont à leur disposition un outil appelé Informed Choice Catalogue (ICC), qui leur permet de faire des choix éclairés.

À l'aide d'illustrations, cet outil présente diverses façons de trier les ordures ménagères, de composter les déchets organiques, de ramasser les ordures triées et de les acheminer aux installations de récupération. Il fournit toute l'information nécessaire pour bien choisir le système de gestion qui convient, une fois compris les risques et leurs conséquences.

Le renforcement des capacités des collectivités

La décentralisation de la manutention des déchets est au centre de cette approche. D'après l'expérience de BORDA, elle permet d'assurer une meilleure prise en charge par les collectivités, de réduire les coûts de transport des déchets ainsi que l'espace nécessaire à leur élimination définitive au site d'enfouissement, en plus d'être facile à gérer. En outre, les activités de compostage et de recyclage des déchets fournissent un revenu supplémentaire, elles créent des emplois pour les travailleurs locaux et renforcent les capacités de la collectivité, en particulier en gestion des déchets solides.

La gestion locale des déchets devait tirer parti du vaste programme indonésien de décentralisation défini en 1999. De nombreux services et responsabilités sont alors passés de l'échelon national aux échelons régional et local. Toutefois, malgré les progrès enregistrés, beaucoup de collectivités à faible revenu dans les grandes villes éprouvent toujours d'importantes difficultés à obtenir de meilleurs services.

Selon Husnul Maad, gestionnaire de programmes auprès de l'ONG américaine Mercy Corps en Indonésie, les autorités locales doivent accroître leurs capacités et leurs compétences techniques et mieux rendre compte aux citoyens. Cela faisait défaut avant la décentralisation, car le rôle dévolu à l'administration locale en matière de gouvernance avait peu d'importance. Maintenant toutefois, lentement mais sûrement, l'Indonésie est en train de remédier à ces faiblesses.

Mercy Corps dirige actuellement un autre projet lancé par le CRDI en 2006 et qui vise, au moyen d'incitatifs économiques, à améliorer l'approvisionnement en eau, l'assainissement et les services liés aux déchets solides à Jakarta.

Des lieux sains, des gens prospères

Intitulé Healthy Places, Prosperous People ou HP3 (Des lieux sains, des gens prospères), le projet fait partie du programme de recherche visant des villes ciblées du CRDI, dans le cadre duquel des équipes à intervenants multiples cherchent des solutions novatrices afin d'atténuer la pauvreté, puis les mettent à l'essai. Les travaux se déroulent à Penjaringan, un vaste sous-quartier situé près du port dans la municipalité de Jakarta Nord. Husnul Maad explique que les problèmes liés à la pauvreté, à la dégradation de l'environnement, aux piètres services et à la santé y présentent des caractéristiques qui sont parmi les plus graves à Jakarta.

Le projet HP3 aura recours à des approches participatives pour définir les incitatifs économiques devant contribuer à l'amélioration des services environnementaux à Penjaringan. À cet égard, la mise en place d'un comité directeur communautaire constitue un bon mécanisme pour favoriser la participation des résidants.

D'après Husnul Maad, d'autres projets réalisés au même endroit ont démontré que les membres de la collectivité participent et contribuent davantage aux activités qui sont encadrées par un comité directeur. La désignation de porte-parole locaux, qui réclament des changements en matière de politiques, de relations et d'affectation des ressources, assure une meilleure action collective.

La collaboration est la pierre angulaire

Trois autres organismes collaborent avec l'équipe du projet HP3.

L'Urban and Regional Development Institute, une ONG locale qui s'occupe d'urbanisme, d'élaboration de politiques et de plaidoyer, connaît bien les rouages de l'administration municipale de Jakarta.

L'Environmental Services Progam de USAID a des compétences en infrastructure environnementale communautaire et en prestation de services. Son personnel fournit donc des conseils sur les recherches nécessaires et sur l'exécution du projet HP3 et met à profit les enseignements tirés des modèles d'infrastructure dont il fait l'essai ailleurs en Indonésie. L'ONG suisse Swisscontact, qui a des liens solides avec l'administration municipale de Jakarta et le secteur privé, aide l'équipe à élaborer des stratégies de mobilisation et la conseille sur la création d'entreprises, la production de revenus et l'analyse économique.

La méthodologie utilisée par l'équipe consiste à repérer des résidants qui sont des « déviants positifs », soit des personnes qui ont su trouver des solutions à des problèmes répandus, contrairement à d'autres résidants qui ont pourtant accès aux mêmes ressources. Plus précisément, explique Husnul Maad, l'équipe tente de repérer les familles pauvres de Penjaringan dont les pratiques actuelles exemplaires ont des effets positifs sur l'environnement, ou contribuent à en améliorer l'état, tout en leur permettant d'en retirer des avantages économiques.

Une fois le repérage terminé et les pratiques cernées, l'équipe élaborera un programme communautaire axé sur le développement économique à l'intention des résidants pauvres de Penjaringan.

Mercy Corps s'attend à ce que les améliorations environnementales impulsées par le marché contribuent à apporter des changements. L'ONG signale en effet des cas où le marché incite à des innovations en matière de gestion des déchets solides, notamment en ce qui concerne le tri et le compostage des ordures ménagères, et cela, même si les chaînes de marché (les liens entre les opérations dans l'acheminement des produits du producteur au consommateur) ne sont qu'embryonnaires.

Des solutions régionales qui se traduisent par des réussites locales

Mercy Corps effectue des analyses de la chaîne de valeur, c'est-à-dire de la façon dont une série d'entreprises ajoutent de la valeur à un produit fini, afin d'évaluer la faisabilité de marchés de compost et de déchets. Pour concevoir le projet, l'ONG s'est inspirée d'autres projets régionaux fructueux, surtout de ceux réalisés au Vietnam et en Inde et dans lesquels les solutions aux problèmes d'assainissement et de gestion des déchets solides ont été impulsées par le marché.

Mercy Corps considère comme fondamental l'engagement de l'administration locale envers le projet. Selon Husnul Maad, l'équipe du projet HP3 croit en effet que, pour apporter des changements en matière de politiques, les responsables gouvernementaux doivent mieux comprendre les pressions exercées sur l'environnement et sur les moyens de subsistance dans les collectivités pauvres et participer au processus d'élaboration de solutions. En effet, c'est en participant à la recherche et en pilotant la démarche que les administrateurs municipaux acquerront les compétences et les habiletés nécessaires pour faire passer le programme à plus grande échelle et prendre les mesures qui s'imposent en vue d'offrir de meilleurs services aux démunis.

L'ICC indique également les coûts associés aux différentes possibilités. La collectivité choisit donc la technologie qui lui convient en fonction de sa volonté et de sa capacité de payer. Le revenu que l'on prévoit tirer des installations de récupération permet de réduire le coût des services. La faisabilité financière des choix envisagés est déterminée à la fin de ce processus. On procède au calcul des coûts que devraient assumer les bénéficiaires jusqu'à ce que ces derniers soient satisfaits du montant des frais d'utilisation établi.

Un environnement plus propre et des revenus plus élevés

Forte des succès obtenus, l'équipe du projet examine les possibilités de passer à une échelle supérieure. BORDA collabore à cette fin avec l'agence de planification nationale (Bappenas). Tout en estimant pouvoir élaborer de bonnes solutions pour des endroits donnés, l'ONG juge urgent un passage à une plus grande échelle, compte tenu de la croissance démographique élevée en Indonésie. Grâce à la participation d'organismes nationaux comme le Water Supply and Environmental Sanitation Task Force, il est possible d'inclure, dès le début du projet, les éléments de recherche et de développement qui seront nécessaires pour passer à une plus grande échelle.

BORDA s'attend à ce que ces projets procurent des avantages réels aux collectivités qui y participent. Non seulement l'exposition aux risques pour la santé associés à l'environnement sera-t-elle réduite et la santé améliorée de manière générale, mais sont à prévoir également une augmentation des revenus, un environnement plus propre, une plus grande sensibilisation, doublée d'un sens accru des responsabilités sociales, et une plus grande confiance en soi, au sein de la collectivité, quand vient le temps de négocier avec les autorités locales.

Par-dessus tout, les projets coordonnés par BORDA et Mercy Corps démontrent qu'il est avantageux de chercher des modèles convenant aux conditions qui existent en Indonésie, où les capacités et les ressources limitées des administrations locales font en sorte que les solutions préconisées doivent l'être par les collectivités elles-mêmes et qu'il ne faille pas hésiter à réinventer les méthodes classiques de gestion des déchets quand la situation s'y prête.

Neale MacMillan est rédacteur à Ottawa.