De la recherche-action à la transformation sociale durable : Les adolescentes sénégalaises au cœur de l’innovation pour une meilleure santé reproductive

De nombreuses adolescentes sénégalaises peinent encore à accéder à des informations et services essentiels de santé reproductive.
Faatimata, 16 ans, illustre cette situation difficile. Alors qu’elle traverse une ruelle animée de Guédiawaye, une banlieue dakaroise, son visage grave traduit à la fois détermination et inquiétude. Bien qu’entourée par une communauté bienveillante, elle peine à trouver des informations fiables pour répondre à ses besoins en matière de santé reproductive. La crainte d’être jugée ou exclue l’empêche de se confier à sa mère ou à d’autres adultes de son entourage. Les ressources sanitaires à sa portée sont peu nombreuses et souvent inadaptées.
Malheureusement, Faatimata n’est pas un cas isolé.
Le Sénégal, malgré ses progrès en matière de développement notamment à travers la mise en place de politiques telles que le Plan stratégique de santé sexuelle et de la reproduction des adolescent(e)s/jeunes au Sénégal (2014-2018) ; fait face à des défis multiples liés aux droits des adolescentes et adolescents, notamment en ce qui concerne les violences basées sur le genre (VBG) et la santé reproductive des adolescentes et adolescents (SRA).
Trop souvent, les jeunes sénégalaises et sénégalais, et surtout les filles à cause du manque d’informations fiables sur les changements de leur corps, leur santé mentale et reproductive manquent de possibilités de réaliser leur plein potentiel, non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant que catalyseurs de changement dans leurs communautés. « [...] Nous vivons dans une société en crise sociale, des valeurs, mais aussi économique. Cette crise a fondamentalement affaibli les rites, les mythes et l’organisation sociale, rendant les adolescents de plus en plus vulnérables. [...] C’est donc dans ce contexte que nous travaillons sur la prévention, en vue de réduire les facteurs de risque ainsi que les situations de violence et de maltraitance », explique le Professeur Serigne Mor Mbaye, psychologue-clinicien et directeur du Centre de Guidance Infantile et Familiale de Dakar.
En 2022, des rapports du UNFPA et de l’OMS ont mis en évidence des statistiques alarmantes : 12% des jeunes filles et femmes sénégalaises ont été victimes de violences sexuelles ou physiques, et 27 % des femmes âgées de 15 à 49 ans ont connu des violences physiques. De plus, selon UNICEF, une jeune femme sur trois au Sénégal a été mariée pendant son enfance. Ces chiffres, associés à ceux de l'ANSD révélant qu’en 2018, seules 16% des femmes de 15 à 49 ans au Sénégal utilisaient une contraception moderne, illustrent un déficit informationnel et un accès limité aux services de santé. À cela s’ajoute, un manque d'intérêt flagrant des chercheurs et des décideurs autour du lien entre SRA et VBG.
Ces lacunes systémiques contribuent à maintenir de nombreuses adolescentes dans un cycle vicieux de violences sexuelles et de risques sanitaires, exacerbé par des normes socioculturelles restrictives et des croyances religieuses conservatrices.
Dans ce paysage complexe, le rôle du CRDI et Affaires mondiales Canada (AMC) est crucial à travers l’offre d’appui technique et financier en faveur de la Recherche-Action-Participative (RAP). Cela a permis de soutenir le programme « Amélioration de la santé de la reproduction des adolescentes au Sénégal » (ADOS) initié en 2020.
Ce programme vise à rendre disponibles des données probantes sur les liens entre la SRA et VBG dans le but de renforcer et insuffler la mise en place de politiques et de lois comme celle de 2020 criminalisant le viol et la pédophilie. Les données disponibles et accessibles permettent aux décideurs de contribuer à la prévention, la protection et la prise en charge des adolescentes et adolescents victimes de violences.
ADOS est mis en oeuvre dans plusieurs régions du Sénégal (Dakar, Thiès, Ziguinchor, Kaolack, Kolda, Matam, Tambacounda et Saint-Louis) et vise à atteindre environ 400.000 adolescentes et 100.000 adolescents, avec des interventions spécifiquement adaptées aux défis auxquels font face les adolescentes et les adolescents.
De la recherche-action participative à des transformations concrètes
Dans sa mise en oeuvre, il se distingue par sa méthode de RAP centrée sur les adolescentes, l’égalité des genres et les liens entre VBG et SRA. En pratique, ADOS s’appuie sur une cohorte d’institutions de recherche pour produire des données probantes sur ces problématiques. Ces données sont ensuite utilisées par une cohorte d’organisations de la société civile dirigées par des jeunes pour mener des actions de plaidoyer en faveur de l’amélioration de l’accès aux services de SRA et lutter contre les VBG.
Le programme adopte une approche multisectorielle et inclusive qui rassemble tous les acteurs concernés – adolescentes et adolescents, leaders communautaires, décideurs politiques, communautés et prestataires de services de santé, entre autres. Il intègre aussi les principes d’intersectionnalité et de transformation pour tenir compte des spécificités de genre et de la diversité.
Le projet « Prévention et prise en charge holistique des adolescentes victimes de violences basées sur le genre », mené par le Centre Régional de Formation, de Recherche et de Plaidoyer en Santé de la Reproduction et ses partenaires, a permis d’identifier les adolescentes à risque et d’oeuvrer avec les jeunes à améliorer leur accès à des services de SRA répondant à leurs besoins spécifiques.
Pour en savoir plus sur les approches du projet, consultez l’information du programme ADOS ici.
Donner la voix aux adolescentes : L’innovation par le leadership des jeunes au cœur du changement
L’un des piliers distinctifs d’ADOS est l’engagement des adolescentes en tant que cochercheures dans le processus de recherche, une approche testée par l’Institut de Population, Développement et Santé de la Reproduction de l’Université Cheikh Anta Diop. Ce modèle participatif « pour et par les adolescentes » démontre une plus-value remarquable, en réunissant changement et autonomisation au sein de la communauté pour impulser des solutions adaptées ainsi qu’un leadership transformateur.
L'Association Jeunesse Développement PASTEEF réalise deux initiatives phares à Guédiawaye : « Ados Leaders » et « Centres Ados Leaders » qui forment les adolescentes et adolescents aux questions de SRA et les motivent à devenir des acteurs de changement dans leur communauté.
L’Alliance Nationale des Jeunes pour la Santé de la Reproduction et la Planification Familiale mène également une initiative innovante, « Ma Voix », à Kaffrine. Cette initiative vise à sensibiliser les adolescentes et adolescents à leurs droits en matière de santé reproductive et à les aider à briser le cycle des VBG.
L’autonomisation des adolescentes et adolescents par l’innovation technologique et artistique
Dans un monde de plus en plus numérique, la technologie et les arts offrent des espaces pour parler aux jeunes dans leur propre langage. Des applications mobiles dédiées sont de plus en plus utilisées, permettant aux jeunes de recevoir des informations et conseils fiables en temps réel. Le projet « TAWFEEX » est un carrefour numérique et communautaire pour 200 adolescents dont 60% de filles de Gniby à Dakar. Fusionnant technologie mobile et boutiques d’information et de conseils de proximité, ce projet mis en oeuvre par l’ONG ALPHADEV renforce leur autonomie et leur éducation sur la SRA tout en combattant les VBG.
Simultanément, l’association Gënji Hip-Hop exploite le pouvoir de l’art – le hip-hop et les fresques murales – pour sensibiliser et autonomiser les jeunes filles. « Cette fresque murale est thérapeutique et a la capacité d’accompagner les victimes et les aider à s’exprimer, à se soigner et à s’intégrer à nouveau dans la société », explique Wasso Tounkara, présidente de Gënji Hip Hop.
Un autre modèle novateur combine l’hébergement, l’offre de services et l’autonomisation juridique pour améliorer la SRA, lutter contre les VBG, les exclusions socio-culturelles subies par les adolescentes victimes de violences sexistes.
L’impact multi-sectoriel d’ADOS : Une réponse intégrée pour adresser les liens entre SRA et VBG
Grâce à la collaboration de plusieurs entités de recherche et de plaidoyer, ADOS a pu mieux appréhender les liens entre SRA et VBG. Cette synergie a été la clé pour poser les jalons d’amélioration des politiques et stratégies nationales fondées sur les données fiables, tout en amplifiant le potentiel d'autonomie et de leadership des adolescentes et adolescents. L’African Population and Health Research Center et ENDA Santé coopèrent étroitement tandis que l’Institut de Santé et Développement, le Centre de Guidance Infantile et Familiale de Dakar, l’Institut de Population, Développement et Santé de la Reproduction et le Laboratoire d’Analyse des Sociétés et Pouvoirs Afrique-Diaspora (LASPAD) de l’Université Gaston Berger développent chacun leur propre initiative spécialisée, mais complémentaire à celle des autres entités.
Bien qu’ADOS ait fait des progrès, des défis persistent. Le projet HIRA (Héberger, Informer, Resocialiser et Accueillir) du LASPAD, qui vise à élucider les conditions pour améliorer l’hébergement des victimes de VBG, en est une illustration. L’approche ADOS souligne la nécessité de s’adapter et d’innover pour répondre aux besoins en constante évolution des communautés.
Vers une autonomisation et une protection durable des adolescentes et adolescents au Sénégal
Le programme ADOS utilise un modèle de la RAP pour aider les jeunes à devenir les acteurs de leur propre bien-être ; tout en mettant à contribution leurs communautés et la société dans laquelle ils vivent. Les résultats obtenus jusqu’à présent sont prometteurs et pourraient changer la donne en raison de leur production à partir de plusieurs points d’entrée complémentaires. Si ces initiatives sont mises à l’échelle au Sénégal dans le cadre d’une stratégie de développement durable plus large, le pays pourrait devenir un modèle pour d’autres initiatives similaires en matière de SRA et VBG.
Le CRDI et AMC ont fourni un soutien essentiel pour initier ce travail transformateur. La finalité est désormais de rendre les initiatives autonomes et durables, enracinées dans les communautés.