Changer les normes sexospécifiques pour améliorer la santé des mères et des enfants
Le taux de mortalité maternelle en Afrique subsaharienne a chuté de près de 40 % depuis 2000, mais la région compte toujours le plus grand nombre de décès d'accouchées, soit 533 décès par 100 000 naissances vivantes. Selon l’UNICEF, il y eu 200 000 décès d'accouchées en 2017. La pauvreté, le faible niveau d’éducation, la violence contre les femmes et les mariages et les grossesses précoces demeurent le lot de nombreuses femmes et contribuent à leur mauvaise santé et à leur forte mortalité.
Consciente de ce défi, Innovation pour la santé des mères et des enfants d’Afrique (ISMEA) a cherché à accorder une place importante à la sexospécificité dans les recherches qu’elle soutient. Les équipes de recherche d'ISMEA et de ses partenaires communautaires et gouvernementaux ont trouvé des moyens pratiques et évolutifs de renforcer l’autonomie des femmes et de persuader les hommes de soutenir davantage la santé des femmes. Ces changements ont contribué à améliorer la santé des mères et des enfants, notamment en augmentant l’utilisation des services de santé et en réduisant les risques pour les femmes enceintes et les nouveau-nés dans les ménages.
Regarder une vidéo sur les recherches d'ISMEA et l’égalité des genres.
Faits Saillants
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La recherche qui renforce l’autonomie des femmes et mobilise les hommes améliore la santé des mères et des enfants en Afrique.
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À Iringa, en Tanzanie, des groupes de femmes et des champions masculins ont augmenté le recours à des services de santé vitaux.
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Les visites à domicile de femmes et d'hommes ont modifié la façon dont les ménages voient les facteurs de risque des associés aux complications de la grossesse.
Donner un pouvoir décisionnel aux femmes
À Iringa, en Tanzanie, une équipe de recherche s’est d’abord tournée vers la communauté pour comprendre pourquoi les femmes n’utilisent pas les services prénataux et postnataux offerts et pour déterminer ce qui pourrait être fait pour changer cet état de choses. Grâce à des discussions de groupe avec des femmes et des hommes, les chercheurs ont pu déterminer que la combinaison du manque de connaissances sur les services et leur importance, et des rôles traditionnels des hommes et des femmes constituait un obstacle important.
Menée par l’université de Dar es Salaam, en collaboration avec la HealthBridge Foundation of Canada et les autorités sanitaires d’Iringa, la recherche révèle que la communauté peut jouer un rôle dans la suppression de ces obstacles. Des membres de la communauté ont participé à l'élaboration de stratégies pour surmonter les obstacles, notamment en sensibilisant la communauté à l’importance d’obtenir des soins médicaux professionnels avant, pendant et après la grossesse et en encourageant les hommes à se mobiliser pour la santé des femmes et des enfants.
L’équipe de recherche a formé des groupes de femmes (400 femmes dans 20 villages) et leur a montré comment transmettre des messages de prévention par des moyens de communication répandus au sein de la communauté locale, comme des chansons, des poèmes et des pièces de théâtre. L’utilisation de ces moyens de communication pour changer les comportements a été bien accueillie dans la plupart des villages. « Dès que nous avons commencé à chanter, à danser et à réciter des poèmes, la participation aux réunions a substantiellement augmenté », nous a confié une membre d’un groupe de femmes du district de Kilolo.
Les groupes de femmes ont permis aux membres de la communauté de jouer un rôle actif dans des changements qu’ils souhaitaient et se sont révélés être un excellent réseau de soutien pour les travailleurs de la santé communautaires qui sont responsables de l’éducation sanitaire dans des villages souvent très étendus. Certains groupes de femmes ont été invités par des villages situés en dehors de la zone de recherche à enseigner l'éducation sanitaire, tandis que d’autres ont lancé des activités génératrices de revenus, comme le jardinage et l’élevage, pour aider les femmes pauvres de la communauté à payer le transport jusqu'aux centres de santé. Ce travail avec la communauté a contribué à une augmentation de 24 % des visites de soins prénataux précoces dans les établissements de santé. Un plus grand nombre de femmes ont au moins effectué les quatre visites recommandées. Les soins post-partum dans les 48 heures suivant la naissance ont augmenté de 31 %.
La participation à la recherche a contribué à l'autonomisation de nombreuses femmes. Elles ont acquis de l'autonomie, ont gagné du poids dans les décisions qui concernent leur santé et ont le maintenant le pouvoir de plaider en faveur du changement. « Dans le passé, il n’était pas facile pour les femmes de s’exprimer lors des réunions, nous explique un dirigeant de village. Or nous voyons maintenant des femmes parler avec confiance et même poser des questions. »
Mobiliser les hommes pour le changement
L’équipe de recherche a sélectionné et formé 10 hommes dans chacun des 20 villages du projet afin qu’ils puissent transmettre les messages clés sur la santé des mères et des enfants aux autres hommes partout où ils se réunissent, dans les bars, aux matchs de football et dans d'autres rassemblements sociaux. Le recours à des chefs religieux, communautaires et gouvernementaux respectés pour défendre la cause a permis d’améliorer l’acceptabilité des messages chez les hommes et a contribué à assouplir des normes culturelles et de genre profondément ancrées.
Les recherches financées par l’ISMEA au Nigeria ont mis en évidence que l’autonomisation des femmes ne suffit pas toujours : les mentalités et les comportements masculins doivent également changer. La Federation of Muslim Women’s Association in Nigeria, l’Université McGill et la Bauchi State Primary Health Care Development Agency ont réalisé un projet pilote de visites à domicile universelles. Des femmes et des hommes ont régulièrement rendu visite à des femmes enceintes et à leur conjoint chez eux, dans six circonscriptions de l’État de Bauchi, pour discuter des facteurs de risque associés à la grossesse. Les sujets abordés comprenaient la violence familiale et les travaux pénibles pendant la grossesse, le manque de communication entre conjoints, le manque de connaissance des signes de danger, ainsi que les facteurs de risque pour la santé des jeunes enfants. Plus de 36 000 ménages ont ainsi reçus des visites à domicile.
Le fait de fournir de l'information sur les facteurs de risque aux hommes et aux femmes lors de visites les a amené à changer de mentalité et à agir. Les femmes enceintes des ménages visités étaient moins susceptibles d'accomplir des tâches difficiles et de subir de la violence familiale, et plus susceptibles de discuter avec leur partenaire des questions liées à leur grossesse. Les visites à domicile ont incité les membres du ménage à réduire eux-mêmes les risques, notamment en diminuant d’au moins 20 % le risque de complications de la grossesse et d’infection postnatale sans recourir davantage aux établissements de santé pour des soins prénataux ou l’accouchement. « J’ai appris à vivre avec ma famille dans la paix et l’harmonie sans violence familiale », a déclaré un mari de 60 ans.
Changer les normes sexospécifiques
Les résultats de ces projets et d’autres recherches soutenues par l’ISMEA montrent l'incidence qu'ont les inégalités entre les genres sur les pratiques quotidiennes et l’accès et l’utilisation de services de santé qui peuvent sauver des femmes et des enfants. Ils révèlent des moyens pratiques, acceptables d'un point de vue culturel et mis en oeuvre par les membres de la communauté pour venir à bout de normes sexospécifiques bien ancrées. La mobilisation des communautés à cerner les problèmes et à mettre en oeuvre des solutions peut conduire à un changement durable.
L’un des principales leçons de la recherche financée par l’ISMEA est qu’il est essentiel de travailler à l'échelle communautaire pour améliorer la qualité des services de santé des mères et des enfants afin de réduire les décès et les maladies. Si les avantages que la communauté tire de la lutte contre les inégalités entre les genres sont reconnus par tous, les femmes peuvent faire des choix éclairés concernant leur santé, et les hommes peuvent contribuer à améliorer les résultats pour les mères et leurs enfants.