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Célibataires, bafouées, menacées : de nouvelles recherches sur la santé sexuelle et reproductive au Maroc éliminent les obstacles pour assurer la santé des femmes

 

Dans un pays où les relations sexuelles avant le mariage entre deux adultes consentants sont illégales, une étude récemment publiée a révélé que 54,4 % des hommes et 26,6 % des femmes interrogés au Maroc ont déclaré avoir eu des relations sexuelles avant le mariage. Pourtant, les femmes et les filles célibataires n’ont pas accès aux produits et services de planification familiale, étant donné que les relations sexuelles avant le mariage sont interdites aux termes de l’article 490 du Code pénal du pays. En conséquence, les contraceptifs sont difficiles à obtenir, ce qui entraîne des grossesses non désirées ainsi que des avortements illégaux à risque, des infanticides ou des abandons d’enfants.

Les femmes et filles enceintes non mariées ne sont qu’un exemple parmi d’autres de femmes en situation de vulnérabilité qui se heurtent à des défis importants en ce qui concerne l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive (SSR) au Maroc. Les migrantes sont encore plus à risque; elles sont victimes de discrimination et ont peu ou pas accès aux services de SSR. Les lacunes dans le système de santé, les croyances religieuses, la discrimination et la criminalisation des relations sexuelles avant le mariage contribuent toutes aux inégalités entre les genres qui mettent en grande partie les femmes et les filles à risque. Les réactions négatives périodiques à l’égard des populations migrantes exposent les migrantes à un risque encore plus élevé.

Le CRDI finance deux projets de recherche afin de mieux comprendre ces problèmes urgents. La communauté de recherche produit des données probantes pour éclairer les décisions politiques, améliorer l’accès aux services de SSR et créer de meilleures conditions pour les femmes et les filles au Maroc.

Femmes célibataires, grossesses non désirées

Dans le cadre du premier projet, une équipe de recherche de l’Université Hassan II de Casablanca s’attaque au fossé alarmant qui se creuse entre les politiques et la réalité. À l’aide d’une optique sexospécifique et de méthodes de recherche mixtes, elle explore : 

  • les comportements, croyances et pratiques sexuels chez les jeunes ; 
  • les facteurs de risque de grossesse et les obstacles à l’accès à la contraception; 
  • la masculinité et la discrimination fondée sur le genre relativement aux grossesses non désirées; 
  • la résilience des femmes célibataires à la suite d’une grossesse non désirée. 

Voix aux premières lignes : de la recherche à l’impact

« Je suis heureuse d’apprendre que l’Université s’engage à mener des recherches sur le sujet des grossesses non désirées. J’attends avec impatience les données scientifiques qui découleront de ce travail. C’est ce genre de données, qui nous a toujours manqué, qu’il nous faut pour soutenir notre plaidoyer en faveur des droits des jeunes filles et des mères célibataires. »

                                                                                                                                                                                                                                             – Naïma Ame, présidente de l’Association de Solidarité Féminine 

L’équipe de recherche trouve des réponses en recueillant les histoires et les expériences vécues de femmes et de filles célibataires confrontées à des grossesses non désirées. Dans le cadre d’une étude pilote, elle a interrogé 61 femmes enceintes et filles âgées de 15 à 37 ans. L’étude a révélé que : 

  • 81,9 % ont eu des rapports sexuels pour la première fois entre 15 et 25 ans; 

  • 47,5 % ont eu des rapports sexuels dans le cadre d’une relation continue, et 31,1 % l’ont fait à la suite d’une promesse de mariage; 

  • 77 % n’ont pas envisagé l’avortement parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers pour le faire, qu’elles ne savent pas comment avoir accès à la procédure et, surtout, pour des raisons religieuses. 

Dans la moitié des cas étudiés, les partenaires masculins n’ont assumé aucune responsabilité lorsqu’ils ont appris la grossesse, recourant à l’évasion, au rejet ou à la violence. 

Les résultats préliminaires montrent que les femmes et les filles, dont la dignité est bafouée, sont clairement désavantagées et font l’objet d’une discrimination manifeste ou voilée en ce qui concerne leur SSR. Pour la prochaine phase du projet, l’équipe de recherche organise des groupes de discussion avec de jeunes femmes et de jeunes hommes pour en apprendre davantage sur leurs expériences vécues, leurs attitudes et leurs comportements sexospécifiques. Elle recueille également des histoires de vie de jeunes femmes vivant dans des refuges et interroge des professionnelles et professionnels de la santé pour connaître leur point de vue.

Un moment décisif : la mise en commun des connaissances à l’échelle panafricaine

Au début de 2024, le Maroc a accueilli la 11e Conférence africaine sur les droits à la santé sexuelle et reproductive et le bien-être familial. Ce fut un moment décisif dans la trajectoire du Maroc en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs, signalant que des changements positifs pourraient être à venir, en particulier pour les femmes et les filles. L’équipe de recherche a communiqué les résultats de l’étude pilote aux participantes et participants.

Dans une discussion parallèle à la conférence, les chefs de file de la recherche Rachid Aboutaeib et Latimad Moutaouadia ont exploré la signification du moment. « Si les débats politiques qui se déroulent actuellement au Maroc conduisent à l’abrogation de l’article 490 du Code pénal, et donc à la dépénalisation des relations sexuelles entre deux adultes consentants, les mères célibataires ne seront plus inquiètes lorsqu’elles viendront accoucher dans les hôpitaux. Les autorités sanitaires ne seront plus autorisées à réserver la contraception aux femmes mariées. Par conséquent, le programme national de contraception devrait être étendu à toutes les femmes en âge de procréer, même à celles qui ne sont pas mariées. » 

Éliminer les obstacles pour les migrantes 

Dans le cadre du deuxième projet, une équipe de recherche  de l’Université Mohammed VI des Sciences et de la Santé se penche sur l’enjeu urgent qu’est le faible accès à des services de SSR de qualité pour les migrantes au Maroc. Situé dans le détroit de Gibraltar, le Maroc est le pays le plus près de l’Europe sur le continent africain, ce qui en fait un couloir de migration majeur et un pays de destination pour un nombre croissant de personnes migrantes, en particulier celles venant de l’hémisphère sud.

Cela présente un ensemble particulier de défis en ce qui concerne la santé et les droits sexuels et reproductifs et les services de SSR. Les personnes migrantes sont souvent issues de milieux sociaux, politiques et économiques difficiles. Cette population est plus susceptible de subir des violations des droits de la personne et des difficultés économiques pendant la migration ou une fois dans le pays d’accueil. Les femmes sont doublement menacées, confrontées à une double discrimination pour leurs besoins en matière de santé sexuelle et reproductive, ainsi qu’en raison du fait qu’elles ont été déplacées. Elles ont souvent du mal à accéder aux services et produits de SSR, et encore plus si elles ne sont pas mariées. Cet ensemble de conditions rend les migrantes particulièrement vulnérables. 

Stratégie nationale du Maroc en matière d’immigration et d’asile

En 2014, le Maroc a adopté une Stratégie nationale d’immigration et d’asile, qui permet aux personnes migrantes d’accéder aux services gratuits d’un réseau d’établissements de santé primaires. Ce système n’est toutefois pas parfait.

Le professeur Saad Zbiri, l’un des responsables du projet, a expliqué le problème qui se pose : « Malgré la mise en œuvre de la stratégie nationale de santé des personnes migrantes visant à promouvoir l’accès aux soins de santé pour les citoyennes et citoyens nationaux, les personnes migrantes et réfugiées ont toujours de la difficulté à accéder aux services de santé au Maroc. » 

Le projet vise à améliorer la façon dont les migrantes au Maroc accèdent aux services de SSR de qualité et les utilisent. Il contribuera à lutter contre la SSR et la morbidité et la mortalité liées à la violence sexospécifique chez les personnes migrantes vivant au Maroc, en particulier les femmes et les filles.

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Un chercheur interroge un sujet assis à une table.
Une chercheuse interroge une mère célibataire qui bénéficie du programme de l’Association de Solidarité Féminine.

Les activités du projet comprennent une enquête auprès de la population et des groupes de discussion ainsi que des entretiens avec des femmes et des filles migrantes, des prestataires de soins de santé et des gestionnaires de santé. L’équipe de recherche ciblera les centres populaires de migration, en mettant l’accent sur Casablanca, Rabat et Tanger.

Les objectifs comprennent les suivants : 

  • Produire des données probantes sur ce qui empêche les migrantes d’accéder aux services de SSR et de lutte contre la violence sexospécifique et de les utiliser, et ce qui pourrait accroître leur utilisation de ces services. 

  • Déterminer des solutions locales pour améliorer l’accès et l’utilisation des services de santé publique par les femmes et filles migrantes, en mettant particulièrement l’accent sur les services de SSR. 

  • Informer les politiques fondées sur des données probantes sur les personnes migrantes et les problèmes de santé de ces personnes au Maroc.

Ce projet a le potentiel d’avoir une incidence sur les politiques publiques qui traitent des soins de santé pour les personnes migrantes, en particulier les services de SSR. Jusqu’à présent, il a réuni des ministères, des organisations internationales, des organisations de la société civile, des universités et des organismes de recherche pour discuter de la question, créant une nouvelle dynamique dans ce domaine de la santé publique au Maroc. L’équipe de recherche a publié les résultats de son étude exploratoire sur les interventions visant à améliorer l’accès des personnes migrantes aux services de SSR dans la revue à comité de lecture BMJ Global Health.

La recherche financée par le CRDI appuie de véritables changements

Les deux projets de recherche sont en cours à un moment charnière pour la politique de SSR au Maroc. Le pays est en train de réviser son Code de la famille, ou « Moudawana », un ensemble de règles juridiques qui régissent le droit de la famille. Les mises à jour du Code refléteraient des valeurs plus progressistes sur le plan social, ce qui pourrait améliorer l’accès aux services de SSR pour certains des groupes les plus vulnérables du Maroc. Cela ne saurait arriver trop tôt, car le monde célèbre cette année le 30e anniversaire du Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement.

Des projets comme ceux-ci accumulent des données probantes et fournissent des données pour la discussion, le débat et le plaidoyer sur l’accès de qualité aux produits et services de SSR. En rassemblant les points de vue des femmes et des filles les plus touchées par les systèmes et les pratiques discriminatoires, la communauté de recherche peut faire connaître leurs histoires pour influer sur les discussions sur les politiques et créer des changements significatifs.