Autonomiser et impliquer les femmes dans les chaînes de valeur des vaccins pour le bétail en Afrique de l’Est
Chaque année, des millions de femmes éleveuses subissent des pertes financières et animales lorsque des maladies sévissent dans leurs exploitations. Ces infections sont souvent hautement évitables grâce à une simple vaccination, alors qu’est-ce qui empêche les femmes de prendre des mesures pour protéger leurs biens?
Dans le monde, plus de 750 millions de personnes élèvent du bétail comme source de revenus, dont 400 millions de femmes. Cependant, les maladies animales, telles que la maladie de Newcastle chez les poulets et la peste des petits ruminants (PPR) chez les chèvres, provoquent des ravages généralisés. Les femmes sont touchées de manière disproportionnée car, pour de nombreuses raisons, elles sont moins susceptibles que les hommes d’avoir accès aux vaccins pour prévenir de telles pertes.
Afin de lutter contre ce déséquilibre entre les sexes, une initiative régionale de fourniture de vaccins pour le bétail en Afrique de l’Est appelée SheVax + a été lancée en 2019 avec le soutien du CRDI, d’Affaires mondiales Canada et de la Fondation Bill et Melinda Gates dans le cadre du Fonds d’innovation en vaccins pour le bétail (FIVV).
Obstacles à la vaccination du bétail
Lors d’un récent événement du CRDI, Hellen Amuguni , chercheuse principale de SheVax + et professeure agrégée à la Cummings School of Veterinary Medicine de l’Université Tufts, a révélé trois principaux obstacles à l’adoption des vaccins pour le bétail chez les éleveuses de petite échelle d’Afrique de l’Est.
Le premier défi est que les femmes, à cause des normes sexospécifiques, ont moins accès à l’information sur les vaccinations, la santé animale et la gestion du bétail. Les stéréotypes affectent la façon dont les capacités des femmes en tant qu’agricultrices sont perçues, ce qui fait en sorte qu’elles ne sont pas directement visées par les campagnes d’information. Les relations de pouvoir signifient également que certaines femmes ont besoin de l’autorisation du chef de famille masculin pour suivre une formation ou contrôler les ressources liées à l’élevage. En conséquence, de nombreuses femmes ne comprennent pas la disponibilité ou l’importance des vaccins, tandis que celles qui en sont conscientes peuvent être empêchées d’agir en conséquence.
Le deuxième défi est le manque de stockage des vaccins dans la chaîne du froid. « Dans la plupart des régions rurales d’Afrique, il n’y a pas de réfrigération en raison de l’absence d’électricité », a noté Amuguni. « Même dans les grandes villes, les agrovétérinaires sortent leurs vaccins du réfrigérateur la nuit et les mettent dans une glacière avec de la glace lorsque l’électricité est coupée. »
Enfin, il existe une pénurie importante de prestataires de services de santé animale. À Machakos, au Kenya, par exemple, il n’y a qu’un seul prestataire de services de santé animale pour 30 000 ménages, alors qu’idéalement, il y en aurait un pour 3 000 ménages. « Chaque prestataire de services de santé animale à Machakos est confronté à une tâche impossible », a fait remarquer Amuguni.
Elle a souligné les impacts des maladies du bétail sur les moyens de subsistance des femmes, tout en réaffirmant l’urgence et l’importance du travail de SheVax +. « Il y a deux ans et demi, nous avons rencontré Alice. Elle avait perdu ses 17 poulets à cause de la maladie de Newcastle et ses voisins avaient subi le même sort. En Ouganda, nous avons rencontré Rosa, une veuve et mère de cinq enfants qui avait perdu ses 12 chèvres à cause de la PPR et elle n’était pas en mesure de payer les frais de scolarité de son fils. »
Pour aider les femmes à surmonter ces obstacles, SheVax + cible spécifiquement les femmes en tant que prestataires de services de santé animale et propriétaires de petits animaux. L’initiative équipe les prestataires locaux de services de santé animale, les forme relativement aux processus de vaccination et crée une source locale de vaccins en déployant des réfrigérateurs à énergie solaire et en améliorant l’accès des femmes aux vaccins pour le bétail. Cela a pour effet d’augmenter la demande de vaccination et de combler l’écart entre les genres.
Changer les règles du jeu
Afin d’encourager une plus grande utilisation de la vaccination chez les femmes et de soutenir leurs perspectives de moyens de subsistance à long terme, SheVax + a mis en place une approche à plusieurs volets pour mettre au point un système de distribution de vaccins pour le bétail dans le secteur privé axé sur les femmes.
Compte tenu des sources d’électricité inexistantes ou peu fiables, l’organisation déploie des réfrigérateurs à énergie solaire. Jusqu'à présent, ils en ont installé 30 au Kenya, au Rwanda et en Ouganda. « L’énergie solaire est résistante au climat, respectueuse de l’environnement, fiable et accessible à tous », a déclaré Amuguni.
Pour parer au manque de prestataires de services de santé animale, SheVax + forme les femmes de la région et leur fournit des médicaments et des vaccins pour le bétail ainsi que des réfrigérateurs à énergie solaire pour l’entreposage frigorifique des vaccins. « Actuellement, 24 femmes ont été formées dans trois pays pour fournir la vaccination et des services liés à la santé animale à 140 000 ménages agricoles », a affirmé Amuguni. « Cela équivaut à un prestataire de services de santé animale pour 6 000 ménages agricoles, soit une amélioration quintuple par rapport au ratio précédent. »
Le projet crée des occasions entrepreneuriales pour les femmes en leur fournissant une source précieuse de revenus et la capacité de se lancer dans la distribution et la fabrication de vaccins. Au Kenya, au Rwanda et en Ouganda, les femmes prestataires de services de santé animale gagnent entre 50 et 300 USD par mois (entre 69 et 412 CAD environ) en fonction de l’économie et des taux de main-d’œuvre du pays. Pour mettre cela en contexte, « une famille rwandaise de quatre personnes a besoin de 25 USD [environ 34 CAD] pour souscrire une assurance maladie pour une année entière », a précisé Amuguni.
L’éducation est un autre domaine crucial, et SheVax + et ses partenaires « fournissent de manière dynamique aux femmes des informations sur les endroits où obtenir des vaccins et des services vétérinaires », a révélé Amuguni. Cet objectif est atteint grâce à des outils tels que des calendriers de vaccination (plus de 1 200 ont été distribués en anglais , en swahili et en kinyarwanda), des bandes dessinées éducatives en anglais et en kinyarwanda et des vidéos d’animation.
Mais SheVax + ne forme pas seulement des femmes. Pour changer les croyances et les comportements qui influent sur la prise de décision des femmes concernant l’utilisation des vaccins, l’accès à la formation et la propriété du bétail, les hommes sont également éduqués. À ce jour, 40 « modèles » masculins ont été sélectionnés pour aider à sensibiliser le public aux stéréotypes culturels et traditionnels et à plaider en faveur du rôle des femmes dans la vaccination du bétail. Des réunions ont également eu lieu avec des parties prenantes, telles que des représentants du gouvernement régional et des producteurs de vaccins, pour discuter des défis qui affectent l’accès des femmes à la vaccination et des mesures à prendre pour les relever.
L’initiative SheVax + montre que, grâce à la sensibilisation aux vaccins et à leur distribution, les femmes sont prêtes à payer pour des services de santé afin de protéger leurs animaux. Avec 400 millions de femmes éleveuses dans le monde, « imaginez l’impact que nous aurions si des services de vaccination n’étaient fournis qu’à un dixième d’entre elles », a fait remarquer Amuguni.
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