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Aquaculture, genre et adaptation : Leçons tirées de la Thaïlande et du Vietnam

Bien que l’aquaculture soit cruciale pour les moyens de subsistance et le développement économique en Thaïlande et au Vietnam, les exploitations aquacoles à petite échelle dans ces pays sont vulnérables aux menaces des changements climatiques et limitées par l’inégalité entre les genres. Bien que les gouvernements thaïlandais et vietnamiens aient cerné le besoin de solutions durables aux menaces climatiques pesant sur les systèmes aquacoles, ils ont du mal à les mettre en œuvre, tout comme les gouvernements d’autres régions du monde et de toute l’Asie, d’où proviennent 90 % de l’aquaculture mondiale.

Pour relever ces défis, une équipe de recherche appuyée par le CRDI travaille avec des exploitations aquacoles des régions intérieures et côtières de la Thaïlande et de la région du delta du fleuve Rouge au Vietnam afin d’évaluer les solutions fondées sur la nature qu’elles utilisent pour créer des systèmes d’aquaculture résilients au climat, inspiré à la fois de la tradition et de la technologie. Les premiers résultats de la recherche offrent un point de vue fondé sur la façon dont les membres des communautés aquacoles – en particulier les femmes pauvres au sein de groupes ethniques spécifiques – s’adaptent au changement et refaçonnent les écologies locales. Les résultats mettent en lumière non seulement le rôle des femmes dans l’aquaculture et la dynamique du pouvoir entre les hommes et les femmes, mais aussi les promesses et les dangers que représentent les solutions fondées sur la nature en tant que modèle de développement. Les résultats visent à déterminer les solutions qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas, en aidant les systèmes aquacoles à s’adapter aux conditions écologiques et sociales changeantes. 

Thaïlande : Le rôle essentiel des femmes dans l’aquaculture est largement invisible 

Des recherches effectuées en Thaïlande illustrent trois trajectoires différentes de développement et de conservation de l’aquaculture qui ont un problème commun : les femmes sont des productrices actives, mais leur rôle essentiel n’est pas reconnu. Étant donné que les femmes détiennent souvent des connaissances approfondies sur les interventions locales à faible technologie qui peuvent améliorer la résilience écologique et maintenir les moyens de subsistance, la limitation de leur potentiel met en péril la durabilité du secteur.

Ban Non Daeng, un village du nord-est dédié à la pisciculture de subsistance, est un exemple de la façon dont un système peut éprouver certaines difficultés en raison d’une faible exposition au marché et d’une intervention minimale de l’État. Ici, les femmes jouent un rôle essentiel dans la gestion de l’aquaculture au niveau des ménages et de la sécurité alimentaire, mais leur travail vital reste largement invisible pour les autorités locales et les décisionnaires. 

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Une femme se tient à côté d'un bassin à poissons.
Kanokwan Manorom
Étang à poissons dans une rizière du village de Non Daeng à Ubon Ratchathani, en Thaïlande. L’eau est pompée grâce à la technologie des cellules solaires.

Ban Non Chan, également dans le nord-est, est en train de passer à un modèle plus commercial. Le soutien du gouvernement à l’aide d’infrastructures et de formation a contribué à accroître la productivité, mais les ressources ont tendance à être dirigées vers les hommes, ce qui renforce les inégalités existantes entre les genres. À mesure que l’intégration du marché s’intensifie, les femmes continuent de contribuer de manière substantielle à l’aquaculture et à la conservation, mais elles sont exclues des possibilités formelles de prise de décisions et de renforcement des capacités.

Plus au sud, la forme d’aquaculture la plus intense de Ban Nai Tung est intégrée aux efforts de conservation des côtes. Cette région connaît des tensions entre les parties prenantes industrielles, les politiques côtières menées par l’État et les initiatives environnementales menées par les communautés. Les femmes sont devenues des chefs de file dans des projets de conservation à l’échelle locale comme les bancs de crabes et la restauration côtière, mais la reconnaissance institutionnelle de leurs connaissances et de leur travail fait toujours défaut. Même dans les initiatives où les femmes dirigent le développement de produits et l’entreprise sociale, la recherche a montré que les perceptions de leur travail ont tendance à se concentrer sur les compétences domestiques et les soins plutôt que sur leur capacité à agir en tant que leaders stratégiques dans la gouvernance marine.

Ce manque de reconnaissance occasionne des conséquences sociales et écologiques, limitant l’accès des femmes à la formation, au soutien financier et aux espaces de prise de décisions et renforçant l’inégalité entre les genres dans les moyens de subsistance ruraux. La reconnaissance officielle du rôle des femmes dans l’aquaculture améliorerait considérablement la durabilité et l’équité des pêches communautaires, en veillant à ce que les politiques et les programmes reflètent les connaissances sexospécifiques locales, améliorent les résultats de la gestion des ressources et renforcent les capacités d’adaptation aux changements climatiques. 

Vietnam : L’élevage de crevettes repose sur le travail et la gestion par les femmes

Au Vietnam, les communautés d’élevage de crevettes des provinces de Ninh Binh et de Hung Yen utilisent deux modèles d’élevage contrastés. L’une implique des approches aquacoles extensives avec un investissement minimal et une dépendance à l’égard des conditions naturelles, tandis que l’autre est industrielle. Les deux modèles dépendent du travail et de la gestion quotidienne par les femmes, qui occupent souvent les postes les plus exploités et les plus précaires, les exposant à la fois aux menaces des changements climatiques et à la vulnérabilité financière. Les femmes font également face à une exclusion systémique des programmes de formation, des mises à jour techniques et des consultations politiques en raison de normes patriarcales profondément ancrées qui assimilent l’expertise à la masculinité et à l’éducation formelle.

À Ninh Binh, l’élevage extensif de crevettes est répandu dans les zones tampons du parc national de Xuan Thuy. Les exploitations aquacoles cultivent un mélange de crevettes, de crabes et d’algues, la récolte étant limitée à deux cycles saisonniers. Ce modèle représente une pratique écologique traditionnelle fondée sur les connaissances locales et l’observation attentive des signaux environnementaux. En revanche, l’élevage industriel de crevettes dans des régions comme le lac Giao à Ninh Binh exige un apport financier important, notamment la construction d’étangs, des systèmes de contrôle de l’eau et des traitements chimiques. Tout en offrant la possibilité d’augmenter les rendements, ce modèle est vulnérable aux fluctuations du marché, aux coûts d’exploitation élevés, aux maladies, aux déchets et à la pollution sonore, ainsi qu’à l’exclusion de certains marchés d’exportation en raison de préoccupations concernant les résidus chimiques.  

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Deux femmes sont assises sur un dispositif de flottaison au bord d'un plan d'eau.
Linh Pham
Les agricultrices vietnamiennes participent à l’élevage de crevettes, mais leurs connaissances essentielles ne sont pas suffisamment reconnues.

Les changements climatiques constituent une menace imminente pour les deux systèmes. L’élévation du niveau de la mer, l’intrusion d’eau salée, le réchauffement de l’eau et les typhons ont déjà endommagé les infrastructures et perturbé la production. Mais les résultats de la province de Hung Yen révèlent que les femmes développent des techniques innovantes pour gérer les stress environnementaux induits par le climat. Confrontées à des régimes de précipitations de plus en plus imprévisibles, les exploitations d’élevage de crevettes ont adapté leurs pratiques traditionnelles pour s’assurer que leurs étangs maintiennent des niveaux de pH optimaux, qui mesurent la teneur en acide et alcaline de l’eau. Lorsque de fortes pluies menacent de déstabiliser la chimie de l’étang, ils utilisent une technique selon laquelle la chaux agricole est mélangée à de l’eau et dispersée à la surface de l’étang à l’aide de ventilateurs électriques. Cette méthode neutralise efficacement les fluctuations de pH causées par une dilution excessive de l’eau de pluie, contribuant ainsi à maintenir des conditions d’eau stables essentielles à la survie des crevettes.

Cette adaptation démontre les connaissances écologiques pratiques des femmes et le rôle qu’elles jouent dans la refonte des écologies aquacoles locales. La technique à base de chaux représente une pratique respectueuse de l’environnement qui évite l’utilisation de produits chimiques nocifs, illustrant comment les modèles de travail sexospécifiques recoupent l’adaptation au climat et la gérance de l’environnement.

Le travail des femmes, la résilience et l’innovation sous-tendent l’adaptation au climat

Ces premiers résultats de recherche révèlent une tension profonde au cœur des initiatives qui promeuvent des solutions fondées sur la nature. Lorsque des organismes gouvernementaux, des spécialistes en développement ou des organisations non gouvernementales adoptent des approches adaptées au climat comme la gestion communautaire des pêches ou la restauration côtière, ils s’appuient souvent sur des connaissances scientifiques et des solutions techniques qui peuvent mettre de côté les connaissances expérientielles locales – en particulier les connaissances détenues par les femmes et les groupes ethniques. Leurs initiatives risquent de reproduire par inadvertance les hiérarchies sociales existantes, à moins qu’elles ne soient intentionnellement conçues pour être inclusives.

Les méthodes qualitatives utilisées dans cette recherche, comme les histoires orales, la narration et les outils visuels participatifs, ont été essentielles pour révéler ces dynamiques. En écoutant l’expérience vécue, la recherche a révélé le travail caché, la résilience silencieuse et les innovations quotidiennes qui sous-tendent l’adaptation au climat sur le terrain. L’aquaculture en Asie du Sud-Est est un domaine essentiel où les rôles propres au genre, l’écologie et le développement se croisent et où les femmes ne sont pas seulement des bénéficiaires passives de solutions fondées sur la nature – elles sont des agentes actives de la protection de l’environnement, de l’innovation et de la résistance. Il est essentiel de reconnaître cette agentivité et de l’intégrer dans les politiques et les pratiques pour bâtir des systèmes aquacoles résilients et justes.

Collaboration : Melanie Robertson, spécialiste principale de programme, CRDI; Le Thi Van Hue, conseillère en égalité des genres, chercheuse principale et chargée de cours, Université nationale du Vietnam; Kanokwan Manorom, professeure agrégée, Faculté des arts libéraux, Université d’Ubon Ratchathani, Thaïlande; Bernadette P. Resurrección, professeure d’études sur le développement mondial, Université Queen’s, Canada. 

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