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Aider les collectivités rurales de la Tunisie à lutter contre la leishmaniose

 

Tandis que les changements climatiques et les problèmes d’irrigation exercent des pressions croissantes en Tunisie rurale, un projet de recherche multifacettes fournit aux collectivités rurales les connaissances et les outils voulus pour s’attaquer à une flambée d’infections croissante.

La leishmaniose cutanée zoonotique (LCZ) se répand. Cette maladie à transmission vectorielle, qui laisse des cicatrices, est devenue un problème de santé publique majeur en Tunisie au fur et à mesure que l’utilisation des terres, les pratiques de gestion de l’eau et les changements climatiques ont créé des conditions propices à sa propagation. Comme la désertification menace plus de 90 % du territoire tunisien, la production agricole du pays est presque entièrement tributaire de l’irrigation. Les ressources hydriques, déjà rares, sont de plus en plus menacées par les changements climatiques : on prévoit des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus longues et une augmentation de 2,1 °C des températures moyennes d’ici 2050.

L’irrigation crée des conditions on ne peut plus propices à la prolifération des phlébotomes (Phlebotomus papatasi), vecteurs de la maladie, et des rats des sables et mériones (Psammomys obsesus et Meriones shawi), qui servent de réservoir au parasite provoquant la LCZ. La colonisation agricole de terres auparavant pastorales a entraîné l’installation de nouvelles populations non immunisées qui sont désormais exposées à la maladie.   

En 2006, la LCZ était endémique dans 15 des 24 gouvernorats de la Tunisie. Plus de 7000 cas sont signalés chaque année, surtout dans les secteurs de Kairouan, de Gafsa et de Sidi Bouzid. Dernièrement, des cas ont également été signalés dans des régions d’Europe plus tempérées. 

Dans les semaines ou les mois qui suivent la piqûre d’un phlébotome infecté, la peau se couvre de cloques qui peuvent finir par s’ulcérer et former des croûtes disgracieuses. Si la maladie cause relativement peu de douleur, elle peut cruellement défigurer ses victimes. Les femmes atteintes, notamment, souffrent d’un grave préjudice social et psychologique en raison de leur stigmatisation.  

Il n’existe ni vaccin ni traitement efficace contre la LCZ, et les mesures de lutte contre cette maladie sont plutôt de nature réactive et ne ciblent que les éclosions en cours. La difficulté à lutter contre cette maladie est amplifiée par la faible infrastructure sanitaire dans les zones rurales.

La recherche : perfectionner un système d’alerte rapide écologique

Depuis 2009, une équipe de recherche pluridisciplinaire collabore avec des collectivités locales du gouvernorat de Sidi Bouzid en vue de mieux comprendre les facteurs qui favorisent la propagation de la LCZ et de cerner les mesures concrètes qui permettraient d’en prévenir la transmission. 

Au cours d’une première phase de recherche, l’équipe s’est intéressée aux interactions entre les tendances climatiques, les facteurs socioéconomiques, les pratiques agricoles locales et l’écologie des espèces vectorielles et hôtes. Pour la première fois, on s’est aussi penché sur les répercussions sociales et psychologiques que la maladie a sur les femmes. Les chercheurs ont constaté que, même lorsque la communauté est compatissante, les femmes atteintes éprouvent un profond sentiment de dévalorisation et d’isolement en raison de leurs cicatrices. 

L’analyse bioclimatique a révélé que le chevauchement des saisons chaude et pluvieuse est de plus en plus fréquent, ce qui entraîne des périodes de temps chaud et humide plus longues favorisant la transmission de la LCZ. En travaillant avec le syndicat régional des agriculteurs, les chercheurs ont pu déterminer en quoi les pratiques de compostage et d’irrigation – notamment l’arrosage de nuit – multiplient le risque d’exposition aux piqûres de phlébotome.

Pour préparer l’implantation d’un système d’alerte rapide, l’équipe a commencé à surveiller la végétation et les conditions climatiques locales pour créer une base de données progressives pouvant alerter rapidement les collectivités en cas d’éclosion. Comme le cycle de transmission de la LCZ repose sur la présence à la fois de phlébotomes et de rongeurs, le système d’alerte peut être fondé sur les pointes météorologiques propices aux phlébotomes et sur l’expansion de la couverture végétale qui nourrissent les rats des sables locaux porteurs du parasite.

Faisant fond sur ses premiers résultats, l’équipe examine maintenant les mesures prises par les collectivités susceptibles de réduire le risque d’infection. Les pratiques de gestion de l’eau et d’irrigation sont adaptées dans le but de limiter l’exposition à la maladie. Les agriculteurs sont encouragés à éviter d’irriguer de nuit, à limiter la saturation du sol et la perte d’eau et à réparer le matériel défectueux. En plus de réduire les risques pour la santé, ces mesures contribuent à intensifier la production agricole grâce à une irrigation plus efficace. De leur côté, les familles gardent les animaux domestiques, le fumier et les ordures à l’écart des habitations, créant ainsi des collectivités en meilleure santé.

Le résultat : une collaboration et une réduction des risques

Mieux informés des facteurs qui favorisent la transmission de la maladie, les chercheurs collaborent étroitement avec les agriculteurs et les groupes communautaires en vue d’adapter les comportements des familles, les pratiques agricoles et les systèmes d’irrigation. Ils s’attachent également à valider un modèle de système d’alerte rapide. Les températures et précipitations hivernales supérieures à la moyenne semblent être les signes les plus nets d’une multiplication du risque d’éclosion l’été suivant.

Du fait de la collaboration avec le ministère de la Santé de la Tunisie et de l’interaction avec le syndicat régional des agriculteurs, les intervenants du secteur du développement agricole et la Direction régionale de la santé publique, les constatations émanant du projet sont intégrées aux politiques et pratiques locales. De plus, des membres de la collectivité participent activement aux mesures de prévention par le truchement d’une ONG locale créée en 2013. 

Le projet, dont tirent parti quelque 26 000 habitants de sept villages de la région à l’étude, devrait pouvoir éclairer les lignes directrices nationales guidant les politiques de lutte contre la leishmaniose en Tunisie. En outre, les enseignements tirés du projet pourraient être appliqués à l’ensemble de l’Afrique du Nord et au‑delà, où l’agriculture, les pratiques d’irrigation obsolètes et les changements climatiques créent semblablement des conditions propices à la propagation de la LCZ. 

Démarches écosanté de lutte contre la leishmaniose

  • Limiter l’irrigation de nuit pour réduire le contact avec les phlébotomes
  • Améliorer les systèmes de gestion de l’eau et d’irrigation pour limiter la saturation du sol et conserver l’humidité
  • Surveiller la température, les précipitations, les populations de rats des sables et la couverture végétale pour déceler les premiers signes avant-coureurs
  • Garder le bétail, les ordures et le fumier à distance des habitations

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), organisme canadien, a financé les phases 1 et 2 du projet Lutte à l’échelle des collectivités contre l’émergence de la leishmaniose dans le contexte des changements climatiques en Tunisie par le truchement de son programme Écosystèmes et santé humaine. Depuis 1996, le CRDI soutient des recherches pluridisciplinaires qui examinent les interactions entre les écosystèmes, les dynamiques sociales et la santé humaine.

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En savoir plus sur les résultats de la démarche de recherche écosanté