Réunir des données probantes pour accroître l’entrepreneuriat féminin
Le lancement du tout premier Groupe de haut niveau de l’ONU pour l’autonomisation économique des femmes en janvier 2016 a permis aux think tanks et à d’autres établissements de recherche d’échanger des données probantes sur les facteurs qui permettent d’accroître l’entrepreneuriat féminin. Les membres du groupe ont consulté des leaders d’opinion de tous les secteurs à l’échelle mondiale afin d’élaborer un plan d’action pour s’attaquer aux barrières limitant l’autonomisation économique des femmes. En tant que membre du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), j’ai participé à l’organisation d’une consultation d’experts sur ce sujet en mai 2016 à l’Urban Institute à Washington, DC, afin de recueillir des idées pour le groupe. Vous trouverez ci-dessous des réflexions sur ce que nous savons, sur ce que nous ignorons, et sur ce qui permet d’accroître l’entrepreneuriat féminin.
L’intérêt pour les données probantes sur l’autonomisation des femmes est à la hausse. J’ai travaillé dans ce domaine pendant des années et croyez-moi, ce n’est pas quelque chose qu’on entend souvent. Le dynamisme international pour la condition féminine est largement attribuable au lancement récent du tout premier Groupe de haut niveau de l’ONU pour l’autonomisation économique des femmes. Ce groupe a pour mandat d’agir à titre de leader d’opinion sur la façon d’améliorer les résultats économiques pour les femmes et les filles, dans le contexte du 5e Objectif de développement durable sur l’égalité des sexes.
Le groupe est composé de vingt membres, comprenant des représentants du Nord et du Sud, des secteurs public et privé, des universités, ainsi que des organismes multilatéraux et de défense de partout dans le monde. Quinze des vingt membres sont des femmes, incluant la vice-présidente de la République-Unie de Tanzanie, la directrice générale d’IKEA, les directrices exécutives d’ONU Femmes et d’Oxfam International, et une chercheuse de premier rang pour l’institut de recherche économique à la National Autonomous University of Mexico.
Le groupe a cerné six secteurs prioritaires pour l’autonomisation des femmes, dont un consiste à favoriser l’entrepreneuriat féminin et à améliorer la productivité des entreprises appartenant à des femmes. L’attente est que les membres du groupe identifient les voies pour accélérer l’autonomisation économique des femmes et prennent des mesures au sein de leurs propres organismes en vue d’atteindre ces objectifs. Ces voies seront identifiées à partir des données probantes ayant découlé des consultations récentes menées auprès de chercheurs (incluant des think tanks du Nord et du Sud), de défenseurs, de responsables de politiques et d’entreprises du secteur privé de partout dans le monde. Des représentants de deux des institutions partenaires de l’ITT ont participé aux consultations : la Fundación Salvadoreña para el Desarrollo Económico y Social (FUSADES) du Salvador et la Fundación ARU de la Bolivie.
La bonne nouvelle, la mauvaise nouvelle, et les défis
Grâce à son programme de recherche sur la Croissance de l’économie et débouchés économiques des femmes (CEDEF), le CRDI a facilité une consultation auprès de multiples intervenants afin que l’ONU discute de ce qui fonctionne quand vient le temps de promouvoir l’entrepreneuriat féminin. Les leçons qui en sont ressorties ont ensuite été résumées et présentées au groupe. Bien qu’il n’existe pas de solution miracle, voici ce que nous savons :
La bonne nouvelle : les taux d’entrepreneuriat féminin sont à la hausse, et les estimations suggèrent qu’une sur trois entreprises formellement enregistrées appartient à des femmes[1]. Selon la méthodologie d’évaluation sexospécifique (données de la GEM-2015), plus de 200 millions de femmes entrepreneures dans 83 pays partout dans le monde sont en train de créer de nouvelles entreprises, et 128 millions ont déjà des entreprises établies[2].
La mauvaise nouvelle : l’augmentation des entreprises appartenant à des femmes peut être trop idéalisée. Les femmes ne créent pas toutes des entreprises à cause d’un désir d’entrepreneuriat, mais plutôt à cause d’un besoin d’emplois plus nombreux et meilleurs. La situation des femmes est-elle meilleure lorsqu’elles créent leurs propres entreprises ? La réalité est que très peu d’entreprises deviennent de grandes entreprises, et cela est vrai peu importe à qui elles appartiennent. Il n’existe pas beaucoup de données sur ce qui aide à soutenir les entreprises appartenant à des femmes en particulier et les indicateurs varient.
Les défis : les défis auxquels font face les entreprises appartenant à des femmes sont considérables, et encore plus pour celles qui sont informelles. Dans les pays en développement, 70 % des petites et moyennes entreprises appartenant à des femmes sont mal desservies par les institutions financières. Toutefois, cela ne se limite pas aux pays en développement. Le déficit de crédit pour les entreprises formelles appartenant à des femmes dans l’ensemble des régions est d’environ 287 milliards USD. Ces difficultés sont accrues par le fait que les femmes entrepreneures ont tendance à se concentrer sur les secteurs qui sont souvent moins profitables, non enregistrés et avec des perspectives de croissance limitées.
Voici certaines réflexions sur les facteurs qui, selon ce que pensent les experts, permettent de mieux promouvoir l’entrepreneuriat féminin, et une indication sur la manière dont les think tanks peuvent contribuer :
Reconnaître les nombreuses contraintes pour les femmes
Les défis que les femmes entrepreneures doivent relever sont intégrés au grand écosystème de la discrimination fondée sur le sexe, qui inclut la violence fondée sur le sexe, les obstacles juridiques (par exemple, en ce qui a trait à l’héritage, à la propriété et au droit coutumier), de même que les responsabilités qu’elles doivent assumer en matière de soins, pour ne nommer que ceux-là.
Le Rapport de la Banque mondiale sur les femmes, l’entreprise et le droit (2015) indiquait que des 173 pays étudiés, 155 avaient au moins une loi qui nuisait au développement économique des femmes. Les bonnes politiques doivent tenir compte de ces contraintes et reconnaître leurs répercussions sur les femmes. Par exemple, la façon dont les femmes entrepreneures prêtent ou investissent de l’argent est différente de celle des hommes en partie parce que leurs choix sont liés à leurs responsabilités familiales, y compris aux soins qu’elles prodiguent aux enfants et aux aînés. La Banque mondiale estime que les femmes consacrent quotidiennement entre 2 et 10 heures de plus que les hommes aux soins prodigués aux enfants et aux aînés. Il est clair que les normes sociales et culturelles ont des répercussions sur la réglementation et les débouchés économiques. Il est essentiel de reconnaître et d’examiner ces normes, et les think tanks sont bien placées pour aider les décideurs à se pencher sur ces contraintes.
Le besoin d’obtenir des données
Il existe certaines données probantes sur des interventions comme la formation, le mentorat et le financement, qui peuvent aider les femmes dans certains contextes. L’accès à la technologie est-il profitable pour les entreprises détenues par des femmes ? Bien sûr. Les téléphones cellulaires permettent aux productrices d’obtenir des renseignements sur les marchés. Toutefois, la technologie à elle seule est insuffisante pour assurer la croissance des entreprises. Le fait est qu’il existe peu de données solides sur la façon d’aider les entreprises détenues par des femmes à mieux réussir et à prospérer de manière durable. Plus de données sont nécessaires, mais la couverture dans les pays à faibles revenus demeure limitée.
Les femmes entrepreneures ne représentent pas un groupe homogène. Leurs comportements varient selon les classes économiques, les secteurs, le niveau de formalité ou l’absence de formalité, et selon les régions. Le CRDI, par l’entremise de projets comme Chiffrer le travail des femmes, a fait des efforts pour incorporer les contributions hors marché des femmes à l’économie de marché. En matière d’entrepreneuriat, les données établies par GEM, et soutenues par le CRDI, ont aidé à assurer le suivi des taux d’entrepreneuriat à diverses étapes et à évaluer les motivations et les ambitions des entrepreneures. Il est toujours nécessaire d’obtenir de meilleures données et les think tanks, grâce à leurs recherches, peuvent aider à les recueillir et à les analyser.
L’importance des réseaux
L’appartenance à des associations professionnelles et à des coopératives de femmes, de même que la participation à des groupes virtuels, peuvent faciliter le partage de l’information, le renforcement des capacités et la participation à des coentreprises par des femmes entrepreneurs. Le Centre du commerce international a indiqué que dans des contextes fragiles comment ceux que l’on retrouve en Syrie, les institutions locales comme les regroupements de femmes et les chambres de commerce sont les plus efficaces pour atteindre les petites et moyennes entreprises. Martha Chen, cofondatrice et coordonnatrice internationale du réseau Femmes de l’emploi informel : Globalisation et organisation (WIEGO), souligne que les coopératives et les négociations collectives sont nécessaires pour assurer le succès des femmes entrepreneures. Il est clair que l’union fait la force.
Prochaines étapes
Malgré les contraintes et le manque de données, il y a de quoi être optimiste. La Fondation Gates investira 80 millions USD sur trois ans pour procéder à la collecte de données solides afin de combler l’écart sur les données concernant les femmes. La Banque mondiale rapporte qu’au cours des deux dernières années, 65 pays ont procédé à 94 réformes législatives afin d’améliorer les contributions des femmes aux économies.
La lancée donnée par le groupe de l’ONU et le travail effectué par ce dernier ne constituent pas une solution miracle, mais ils méritent d’être soulignés. Au cours des derniers mois, j’ai activement travaillé avec plus de 60 leaders d’opinion provenant du monde universitaire, de think tanks, de la société civile et des secteurs publics et privés qui ont généreusement donné de leur temps pour consigner et présenter les meilleures pratiques qui selon eux contribuent à l’autonomisation des femmes. Espérons que le groupe de l’ONU profitera de l’occasion pour mettre en place un plan d’action cohérent et donner la direction à suivre.
Les think tanks, y compris ceux soutenues par l’ITT, sont bien adaptés pour aider à mettre en oeuvre les recommandations du groupe à l’échelle locale, car ils participent tant à la production de données probantes qu’à la défense des intérêts, étant donné qu’ils sont à la fois des créateurs et des traducteurs du savoir. Leur rôle dans la concertation des réseaux pour établir le dialogue en matière de politique sera essentiel pour discuter des types d’interventions nécessaires afin de stimuler l’entrepreneuriat féminin le plus approprié selon les différents contextes, d’appuyer leur mise en oeuvre par les gouvernements et d’assurer le suivi des progrès.
Cet article a été publié sur le Blogue de l’Initiative Think Tank le 22 septembre 2016.
Alejandra Vargas Garcia est administratrice de programme pour le programme Croissance de l’économie et débouchés économiques des femmes au CRDI.