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Rendre l’invisible visible : sexospécificité, données et données probantes pour le développement

 
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Chaitali Sinha

Spécialiste de programme principale, CRDI

Chaque jour, les décisions relatives à la santé sont prises en fonction des données disponibles, mais les lacunes dans les données empêchent les gouvernements et les partenaires du développement de planifier et de mettre en oeuvre des programmes sociaux efficaces. Ces groupes et d’autres réclament davantage de données, mais cela nous aidera-t-il à atteindre l’engagement en lien avec les objectifs de développement durable visant à faire en sorte que « personne ne soit laissé pour compte »? C’est peu probable.

Les systèmes actuels de données sur la santé et les autres données relatives aux systèmes d’enregistrement et de statistiques de l’état civil (ESEC) sont insuffisants lorsqu’il s’agit de rendre tout le monde « visible ». L’enregistrement des faits d’état civil — y compris les naissances, les mariages, les décès et les causes de décès — est une étape essentielle afin d’établir une identité juridique, d’accéder aux programmes de protection sociale et de faire valoir les droits de la personne. « Être compté » signifie aussi être visible en ce qui concerne les politiques et les programmes, mais le pouvoir, la géographie et la politique déterminent souvent qui est compté et qui ne l’est pas. Pour les personnes mal desservies et difficiles à atteindre, soit principalement des femmes et des enfants, ce sont plus que de simples questions techniques. Il s’agit de questions d’identité, de dignité et d’égalité.

Au CRDI, nous croyons que des projets rigoureux de recherche sur la mise en oeuvre, menés à l’échelle locale, jouent un rôle essentiel dans la réduction du manque de visibilité. Tenir compte du genre et des catégorisations sociales connexes telles que la classe, la capacité, l’âge, la nation et la race lors de la conception des outils de collecte et d’analyse de données peut aider à mettre en lumière les poches d’invisibilité historiques et émergentes. Il faut commencer par compter les hommes, les femmes, les filles et les garçons, mais il faut aussi tenir compte des différences en matière de pouvoir, d’accès et d’occasions. Les résultats peuvent aider à concevoir des stratégies pratiques afin d’améliorer les services et les systèmes pour inclure tout le monde.

Prenons l’exemple du projet de recherche soutenu par le CRDI dans la province de Thai Nguyen au Vietnam. L’Institute of Population, Health and Development a amélioré la visibilité des femmes membres de minorités ethniques et leurs besoins en matière de santé grâce à une étude ethnographique initiale, à la communication de renseignements ciblés au moyen des téléphones mobiles et à une attention particulière aux rapports entre les sexes. Dans une culture où la santé maternelle et infantile est traditionnellement considérée comme une question propre aux femmes, le projet a fait des percées dans le domaine des communications intrafamiliales.

Aujourd’hui, les femmes qui ont participé à la recherche discutent d’information sur la santé avec leurs maris, dont un grand nombre ont exprimé le souhait de recevoir des messages spécialement conçus pour aider leurs femmes. Les femmes qui reçoivent des messages sur la santé maternelle ont aussi indiqué qu’elles ont davantage confiance en elles lorsqu’elles interagissent avec des travailleuses de la santé. Des changements comme ceux-ci peuvent mener à une transformation des connaissances, de l’engagement, de la confiance et des comportements des femmes, et accroître la demande de soins prénataux de qualité. Ces femmes, qui appartiennent à un groupe traditionnellement marginalisé, sont désormais reconnues et, par conséquent, leurs besoins sont plus susceptibles d’être pris en compte lorsque les autorités sanitaires accordent des fonds et élaborent de nouvelles politiques.

Cette recherche réalisée au Vietnam fait partie d’un groupe de projets de renforcement des systèmes de santé soutenus par le CRDI qui ont recours à la cybersanté. D’autres projets du groupe ont produit des résultats intéressants en matière d’égalité des sexes, notamment ceux qui portent sur l’amélioration des conditions de santé des réfugiées enceintes au Liban; la prestation de soins aux femmes enceintes et aux personnes vivant avec le VIH dans les régions rurales du Burkina Faso; l’habilitation des travailleuses de la santé en Éthiopie; et la création d’un dossier de santé maternelle pour les femmes autochtones du Pérou en lien avec les systèmes ESEC.

Les analyses comparées selon le sexe et le pouvoir ne sont plus un luxe. Elles doivent intégrer la façon dont les systèmes d’information sur la santé et les systèmes ESEC sont conçus et utilisés. Les objectifs de développement durable ne seront pas atteints si un système ne tient pas compte de la sexospécificité et qu’un autre n’y accorde que peu d’importance. L’intentionnalité et la cohérence au sein des systèmes de données et d’information, et entre eux, sont la clé d’une planification solide, de politiques réactives et d’une programmation efficace. En leur absence, nos efforts pourraient exacerber les inégalités existantes et contribuer à en créer de nouvelles. En rendant l’invisible visible, nous pouvons commencer à nous attaquer à certaines des injustices profondément enracinées qui font en sorte que les personnes sont laissées pour compte, et donner la parole à celles qui ne sont souvent pas entendues.

Chaitali Sinha est administratrice de programme principale au sein du programme Santé des mères et des enfants du CRDI.

Cet article est adapté d’un billet de blogue publié sur le site Web du Global Digital Health Forum. Le CRDI commandite cette conférence et organisera la discussion intitulée « Towards Closing the Gender Gap in Data and Digital Health: Lessons Learned from the Field ».