Quel avenir économique pour les jeunes ivoiriens?
Suivant une décennie de conflits militaires et d’impasse politique, la croissance économique est de retour en Côte d’Ivoire avec une croissance du produit intérieur brut estimée à 8% en 2017. Le pays souhaite reprendre son rôle de locomotive économique au sein de l’Afrique de l’Ouest francophone, mais il doit jongler avec un défi de taille, celui de l’insertion économique de ces jeunes.
Les jeunes de moins de 35 ans représentent 77% de la population de la Côte d’Ivoire. Ceux-ci font près des trois-quarts des chômeurs et vivent dans une situation économique précaire. Pour les jeunes vivants dans la capitale ou pour les femmes, les probabilités de chômage sont encore plus grandes. Le constat général est donc plutôt difficile.
J’ai pris un congé de deux semaines du CRDI pour travailler auprès de l’Agence Emploi Jeunes, le principal organe gouvernemental d’appui à l’insertion à l’emploi, en mars dernier. Cette expérience m’a permis de faire un état des lieux de l’avenir économique des jeunes de ce pays et de réfléchir à des pistes de solution pour résorber cette problématique qui figure parmi les thèmes de recherche privilégiés par le CRDI en Afrique.
Le profil académique des jeunes chercheurs d’emplois
Les études que j’ai lu pour préparer mon mandat d’accompagnement démontrent une inadéquation entre la formation académique et les besoins du marché du travail, et ce, peu importe le profil du jeune.
D’un côté, on estime que 15% des jeunes sortants du système scolaire ont terminé leur enseignement supérieur. Ce groupe éduqué lutte pour le peu d’offres d’emplois au sein du gouvernement, des grandes sociétés privées ou des sièges d’organisations internationales. Ceux qui ont pu bénéficier de programmes d’études à l’étranger sont souvent choisis pour ces postes forts convoités. Pour les autres, il est difficile de trouver un travail à la hauteur du diplôme et du temps et de l’argent investis.
De l’autre côté, une grande partie des jeunes sont peu instruits, avec un peu plus de 50% d’entre eux qui n’ont pas complété leur cycle primaire. Ceux-ci stagnent dans des petits boulots informels, peu rémunérés, leur offrant des conditions de travail incertaines et difficiles. Ces types d’emplois en marge du système sont non seulement un facteur de ralentissement pour l’économie ivoirienne, mais exclut d’abord et avant tout ces jeunes travailleurs de bénéfices de la croissance économique actuelle.
Au milieu du spectrum académique, on estime que moins de 10% des étudiants reçoivent une formation technique et professionnelle. Les entreprises trouvent difficiles de trouver des jeunes qualifiés pour des emplois reliés aux sciences ou à des emplois manuels. Pourtant, bien qu’elles peuvent plus rapidement donner accès à des emplois, les formations de type brevet sont moins valorisées.
Les pistes de solutions pour une plus grande insertion économique
Pour pallier à ce défi massif, l’Agence Emploi Jeunes soutient des programmes adaptés aux différents profils. Pour les moins instruits, un programme rémunéré de travaux manuels notamment en assainissement et entretien des espaces publics est offert, et inclut une formation sur les compétences transversales nécessaires au milieu du travail pour les épauler dans leur recherche d’emploi après le programme. Pour les autres, l’Agence mise notamment sur des stages rémunérés pour aider les jeunes à trouver leurs premiers emplois et percer le marché du travail. Cependant, le dispositif d’insertion à l’emploi national est incapable de répondre à la demande grandissante. En effet, l’Agence comptait en 2016 plus de 93 760 demandeurs d’emplois inscrits sur la plateforme technologique et seulement 1 671 offres d’emplois publiées.
Il m’apparait donc évident que l’état ne pourra résoudre seul ce grand défi. Des ajustements structurels seront nécessaires pour qu’il se fasse aider par d’autres secteurs. Il revient donc au gouvernement d’améliorer le climat des affaires, notamment avec la réduction des lourdeurs administratives et la valorisation de l’économie formelle. Du côté académique, la bonification de l’offre de programmes techniques et professionnels adaptés aux besoins du marché est à envisager pour rétablir un meilleur équilibre entre l’offre et la demande.
Du côté de la jeunesse, l’entrepreneuriat m’apparait comme une piste de solution concrète et sur laquelle les jeunes peuvent mener de front par eux-mêmes. Les plus récentes enquêtes du Global Entrepreneurship Monitor en Afrique de l’Ouest francophone confirment que les jeunes veulent entreprendre, et pas seulement par nécessité. Ils voient des opportunités d’affaires prometteuses et sont inspirés par des histoires à succès d’entrepreneurs prospères au pays, mais aussi dans la sous-région.
L’accessibilité des réseaux sociaux et des nouveautés technologiques ont permis un changement de mentalité en un court laps de temps. J’ai constaté que de nouveaux termes sont maintenant entrés dans le vocabulaire des jeunes: start-up, incubateur, fab-lab et bien plus. Ils se familiarisent également avec le concept d’entrepreneuriat social, visant des impacts sociaux positifs en plus d’une rentabilité financière.
Je crois donc essentiel pour le gouvernement de continuer à assouplir les garanties, les procédures administratives et l’accès au financement, qui sont reconnus comme les principaux obstacles à l’entrepreneuriat jeunesse. Je crois qu’il faut privilégier une culture entrepreneuriale dès le plus jeune âge, avec des cours de littératie financière, des clubs entrepreneurs étudiants et l’accès à un système de mentorat.
L’entrepreneuriat offre une alternative concrète aux jeunes qui ne trouvent pas leur place sur le marché traditionnel de l’emploi. Mais pour s’attaquer efficacement aux contraintes entrecroisées que vit cette nouvelle génération d’entrepreneurs, je crois que nous devons mieux comprendre les difficultés qu’ils vivent notamment en fonction du genre, réduire les barrières qui freinent la création d’entreprises, et améliorer l’écosystème entrepreneurial. C’est pourquoi nous continuons au CRDI d’appuyer des activités de recherche qui visent à offrir aux jeunes des perspectives futures davantage prometteuses.
Mylène Bordeleau est une agente de gestion du programme Emploi et croissance du CRDI.