Perspectives asiatiques : Une nouvelle croissance reposant sur une nouvelle productivité
Il n’y a aucun doute que le Canada lie ses futures perspectives de croissance à l’Asie.
Ce constat a été clairement exprimé par l’entremise de visites de haut niveau dans la région qui ont été faites par le premier ministre Justin Trudeau et les membres de son Cabinet, et l’adhésion à l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII).
Le potentiel est clair. Au cours d’une bonne partie de la dernière décennie, la forte croissance de l’Asie a stimulé l’économie mondiale. En 2017, la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique a connu une croissance économique de 6,4 %, ce qui représentait plus du tiers de la croissance mondiale, selon le dernier rapport de la Banque mondiale qui s’intitule Perspectives économiques mondiales.
Toutefois, le Canada ne peut pas tenir pour acquis que la croissance passée garantit la croissance future.
En fait, la tendance démontre des signes de ralentissement. Le rapport de la Banque mondiale prévoit que la croissance de la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique fléchira pour s’établir à 6,2 % en 2018, et à 6,1 % en 2019. De plus, le rapport indique que la croissance future sera soumise à certaines pressions, sauf si ces dernières sont atténuées par des politiques structurelles. En bref, la stimulation d’une nouvelle croissance exigera une nouvelle productivité.
Si le Canada doit soutenir les efforts déployés par l’Asie pour stimuler une nouvelle croissance, il faudra comprendre les défis uniques auxquels l’Asie est confrontée en raison de ses marchés du travail formels et informels; la façon dont l’automatisation influera sur les emplois; et la manière d’aider la région à atténuer les risques et à tirer parti des avantages.
Le meilleur atout de la région demeure ses travailleurs. La croissance économique rapide a créé davantage d’emplois de meilleure qualité. De plus, elle a entraîné la transformation de l’emploi dans des secteurs clés comme l’agriculture, dans lesquels l’emploi a diminué considérablement au cours des deux dernières décennies. Toutefois, à l’échelle de la région, les niveaux d’emploi dans le secteur agricole demeurent bien au-dessus de la moyenne de l’OCDE, ce qui suggère que la transformation a encore beaucoup de chemin à parcourir.
La perte d’emplois agricoles, occasionnée par le fait que les agriculteurs deviennent de petits producteurs commerciaux et que les débouchés sur le marché se diversifient et se multiplient, a été compensée par une croissance rapide dans l’ensemble de l’économie, ce qui a créé de nouveaux emplois dans les domaines de la construction, de la fabrication, du commerce et des services.
Toutefois, en raison du ralentissement du cycle de croissance de la région, la création de nouveaux emplois risque de stagner. Cela pourrait être synonyme de désastre étant donné que l’on prévoit que la main-d’oeuvre continuera de s’accroître rapidement.
Ce scénario met la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique dans une position difficile. Il oblige également tous les pays qui souhaitent accroître leur engagement envers la région à participer activement aux efforts visant à stimuler une nouvelle productivité.
Il est de plus en plus probable que bon nombre d’emplois en Asie seront automatisés, comme dans les secteurs de l’automobile, de l’électricité et de l’électronique, et surtout dans les secteurs du vêtement et du textile, dans lesquels on retrouve de manière disproportionnée des jeunes femmes et d’anciens agriculteurs qui délaissent le secteur de l’agriculture.
Au fur et à mesure que les coûts liés à la main-d’oeuvre augmenteront, la connectivité s’améliorera et l’analyse des données évoluera. De plus, l’automatisation se développera dans les systèmes de fabrication, grâce aux relations avec les clients, et dans l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, entre autres.
Cela comporte des risques et des avantages.
Les risques sont illustrés dans la recherche effectuée par l’Oxford Internet Institute et appuyée par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Celle-ci démontre que la combinaison d’un bassin de travailleurs qui connaît une croissance rapide dans les pays en développement et de la croissance de la connectivité crée déjà un surplus de millions de travailleurs, exerçant ainsi une pression à la baisse sur les salaires.
Cependant, la connectivité accrue offre également des occasions de surmonter des obstacles de longue date, tels que ceux liés au genre, à la géographie, à l’éducation et à la classe sociale. Par exemple, la recherche montre que, dans certains cas, les femmes tirent davantage parti des plateformes de micro-travail en ligne que les hommes, afin d’améliorer les occasions de concilier le travail rémunéré et les autres obligations qui sont assumées de façon disproportionnée par les femmes, telles que le travail non rémunéré en matière de soins aux enfants et d’entretien ménager.
Une meilleure compréhension de ces défis et de ces occasions sera essentielle pour susciter une nouvelle croissance et une nouvelle productivité.
Les conséquences pour le Canada sont évidentes, à une époque où l’on observe une montée du protectionnisme commercial. Le fait de se positionner en tant qu’allié de l’Asie contribuera à renforcer la diversité commerciale, à créer de nouveaux investissements, et à promouvoir l’innovation au Canada et dans l’ensemble de l’Asie. De plus, une participation accrue à cette transition s’harmonise avec l’intention du Canada d’approfondir ses liens par l’entremise du PTPGP et de la BAII.
Il existe d’importants débouchés qui s’offrent au Canada, lesquels pourraient aussi profiter à la région. Par exemple, le secteur agricole canadien pourrait vraiment aider à transformer les systèmes alimentaires.
Quant au secteur technologique canadien, il pourrait nous aider à entrer dans une nouvelle ère de numérisation, de communications en réseau et d’entrepreneuriat. Le programme Global Entrepreneurship Monitor, qui est financé par le CRDI, classe le Canada à égalité avec les États-Unis en ce qui concerne la création d’entreprises en démarrage par habitant. Cela pose également un problème pour le Canada, dont les entrepreneurs technologiques seront mis à l’épreuve pour concurrencer les acteurs mondiaux sur les marchés asiatiques dynamiques.
Les pressions protectionnistes aux États-Unis et en Europe menacent les chaînes de valeur mondiales qui sont essentielles à la transformation continue en Asie de l’Est.
Tous ces défis et ces occasions sont au coeur des perspectives de croissance de la région, et le succès des efforts d’engagement déployés par le Canada reposera sur la façon dont la région composera avec cette ère de transformation.
C’est à ce chapitre que le Canada peut trouver un terrain commun avec les pays asiatiques qui gardent un oeil sur la Chine : les deux redéfinissent en quoi consiste le succès dans l’ombre de voisins dominants et parfois imprévisibles.
Stephen McGurk travaille à titre de conseiller spécial au CRDI, et d’agrégé supérieur à la School of Public Policy and Global Affairs de l’Université de Colombie-Britannique.