Partout dans le monde, des femmes sont désavantagées. Voici comment nous pouvons rendre la croissance économique égale pour tous

Des disparités flagrantes dans la prospérité mondiale font que l’on s’entend de plus en plus pour dire que la croissance économique doit profiter à tous les segments socioéconomiques de la population. La suppression des inégalités dépend, en partie, de l’accès à l’emploi et des occasions d’affaires pour les personnes les plus pauvres du monde, mais l’atteinte de cet objectif représente un des plus gros défis en matière de politique publique pour les gouvernements, les sociétés et les chefs de file de la société civile. Qu’il s’agisse de l’accès à large bande ou des options en matière de services de garderie, il nous faut cerner les idées qui permettent de réaliser une croissance inclusive dans les pays en développement.
Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), un organisme canadien, et le Forum économique mondial ont créé un partenariat pour aider les dirigeants à passer des objectifs bien intentionnés à des mesures concrètes. Ce partenariat s’appuie sur les travaux existants du Forum afin de faire de nouvelles avancées à l’aide du Rapport sur la croissance et le développement inclusifs.
Le projet du Forum qui est soutenu par le CRDI rassemble des études de cas de réussite en matière de croissance inclusive pour les rendre accessibles dans une banque de connaissances numérique (les soumissions de pratiques exemplaires sont acceptées jusqu’à la fin de janvier). Ces données qualitatives aideront à élaborer des stratégies nationales de croissance inclusive qui permettent de tirer le meilleur parti des ressources des secteurs public et privé, et de la société civile en général.
La croissance inclusive est un fort courant qui sous-tend la plupart des programmes du CRDI. Ces investissements, dont ceux mis en évidence ci-dessous, permettent d’acquérir des connaissances qui alimentent la discussion générale sur les solutions en matière de croissance inclusive, notamment en ce qui concerne les femmes.
Le fardeau non rémunéré des femmes
Un des principaux obstacles à la croissance économique des femmes, comme l’illustre le Rapport mondial sur l’écart entre les genres publié par le Forum, est le temps que celles-ci consacrent à accomplir du travail non rémunéré pour prendre soin de leur famille — cinq heures par jour, en moyenne, comparativement à seulement une heure et demie dans le cas des hommes.
En offrant des services de garderie dans les pays à faibles revenus d’Afrique et d’Asie, on pourrait réduire ce déséquilibre et aider les femmes à réaliser leur plein potentiel au sein de la population active.
Nos travaux contribuent à accroître le nombre de preuves, toujours plus nombreuses, des retombées économiques liées à l’élargissement des options en matière de services de garderie abordables et de qualité pour les femmes pauvres. Trouver des modèles de financement durable pour les pays à faibles revenus est crucial pour soutenir ces progrès.
Le pouvoir des grands acheteurs
Outre le double fardeau du travail et des responsabilités familiales, les femmes font face à de nombreux désavantages en ce qui a trait à l’accès à la formation, au financement et aux marchés. La collaboration du CRDI avec WEConnect International prouve que le fait d’aider des femmes à enregistrer leurs entreprises peut améliorer leur accès aux marchés.
Dans un projet pilote d’une durée d’un an, 600 entreprises appartenant à des femmes se sont enregistrées en Inde, et 60 d’entre elles ont obtenu l’accréditation comme fournisseurs de grandes entreprises. Ce projet pilote a aidé à générer des revenus supplémentaires de plus de 170 millions de dollars canadiens et a permis d’employer plus de 4 600 personnes partout en Inde. Il est possible de reproduire cette réussite dans d’autres pays.
Services bancaires pour femmes pauvres
L’importance d’accroître l’accès à des services financiers officiels et à la formation connexe pour les femmes et d’autres personnes marginalisées ne fait pas de doute. Des éléments probants de Proyecto Capital montrent qu’un compte d’épargne et de l’éducation financière peuvent améliorer le rendement de petites entreprises dans une mesure pouvant atteindre 10 %, et ce, à un coût très faible.
Les constatations de ce projet ont aidé à convaincre des gouvernements d’Amérique latine d’adopter des politiques en appui à des solutions d’intermédiation financière, avec comme objectif de faire en sorte que 10 millions de personnes vivant dans la pauvreté aient accès à des possibilités économiques améliorées d’ici 2020.

Accroître le revenu agricole et réduire l’insécurité alimentaire
En Afrique subsaharienne, la majorité des femmes actives sur le plan économique travaillent dans le secteur agricole et représentent 43 % de la population active mondiale dans ce secteur. La réduction de la pénibilité de leur travail et la mise en contact avec les marchés sont essentielles à la croissance inclusive.
Au Kenya et en Uganda, par exemple, un partenariat public-privé encourage la production et la consommation de graines de haricot, que les femmes cultivent couramment. L’élaboration de produits à base de graines de haricot précuites à l’intention des ménages à faible revenu et à revenu moyen aide à générer des revenus pour des femmes productrices et, simultanément, à réduire le temps de cuisson des fèves, qui était de 2 à 3 heures et passe désormais à seulement 15 minutes, ce qui permet de faire des économies sur les coûts énergétiques. Plus de 20 000 petits exploitants agricoles fournissent des graines de haricot à une nouvelle usine, et le rendement des cultures de fèves a triplé, ce qui a fait augmenter les revenus des producteurs.
Élargir l’accès à large bande pour réduire la pauvreté
Notre réflexion sur la croissance inclusive comprend également la nécessité d’un accès abordable aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Étant donné que les pauvres consacrent une proportion plus grande de leurs gains à des technologies numériques que les groupes à revenu élevé, un meilleur accès à ces technologies aurait une incidence immédiate sur la vie des gens.
Une étude réalisée en Afrique orientale révèle qu’un accès accru au TIC sur une période de deux ans était associé à une amélioration de 3,7 % de l’état de pauvreté. Cette étude montre qu’au cours d’une décennie, les gains découlant de l’accès aux TIC pour les personnes les plus vulnérables étaient deux fois plus importants que dans le cas des non-pauvres.
De façon analogue, une étude réalisée en Amérique latine confirme que l’accès à large bande était associé à une augmentation des revenus dans une mesure pouvant atteindre 7,5 % sur deux ans, en Équateur. D’après cette étude, l’accès à large bande peut effectivement contribuer au développement économique et social, mais seulement lorsqu’il est combiné à des investissements dans le capital humain, comme la formation des enseignants et les programmes visant à favoriser l’initiation au numérique pour les femmes.
Des solutions étayées par de solides éléments probants
L’histoire montre que les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables ne profitent pas de façon égale de la croissance économique, et elles n’ont pas non plus la possibilité de participer à la croissance et d’y contribuer. L’accès aux services de garderie pour les femmes, les grands acheteurs, les services financiers, le secteur de la transformation des produits agricoles et l’accès à large bande sont autant de solutions qui contribuent à la croissance inclusive. La clé réside dans l’élaboration de solutions étayées par des preuves solides – des éléments probants à l’origine desquels il y a des gens dans les pays en développement et qui permettent d’atteindre des populations importantes dans de multiples segments socioéconomiques.
Ces constatations montrent la possibilité de réaliser une croissance économique qui profite à tout le monde et pas seulement à quelques privilégiés. Nous avons besoin d’autres exemples de moyens qui peuvent rendre la croissance inclusive. En changeant la manière dont le monde envisage et favorise la croissance, nous travaillons ensemble pour faire en sorte que le modèle classique de croissance économique ne soit pas répété.
Cet article a été publié pour la première fois dans Agenda, le blogue du Forum économique mondial, dans le cadre de la Réunion annuelle de 2017 du Forum, à Davos-Klosters (Suisse).
Jean Lebel est le président du CRDI.