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Ne réduisez pas les programmes destinés aux femmes. Intégrez-les !

 
26 septembre 2017
Jemimah Njuki

Jemimah Njuki

Spécialiste de programme principale, CRDI

Chaque ligne d’un budget (comme l’électricité, l’eau et les routes) n’affecte pas les femmes et les filles de la même manière que les hommes et les garçons. C’est pour cette raison que les gouvernements devraient élaborer des budgets sexospécifiques.

Au cours des derniers mois, nous avons entendu dire que l’administration Trump a prévu de réduire le financement de plusieurs programmes s’adressant aux femmes, comme le Bureau des affaires mondiales relatives aux femmes du département d’État. Ce n’est pas le seul programme. Une évaluation récente du budget des États-Unis a montré que les fonds dédiés à l’égalité des sexes ont enregistré d’importantes réductions de 2015 à 2016.

Certains pourraient dire que le président Trump s’oppose aux femmes. Cependant, même si c’est partiellement vrai, une raison plus structurelle fait qu’il est vraiment facile de réduire le financement des programmes destinés aux femmes.

La réduction du financement alloué à l’égalité entre les sexes serait beaucoup plus ardue si le financement était intégré au processus budgétaire du gouvernement et non traité comme un programme distinct ou « spécial ».

Pour mieux garantir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, il faut mettre en oeuvre ce que certains appellent une « budgétisation sexospécifique ». L’objectif de cette approche consiste à reconnaître que chaque ligne du budget n’affecte pas du tout les femmes et les filles de la même manière que les hommes et les garçons.

Par exemple, les problèmes liés à l’eau en Afrique. Une étude réalisée dans 24 pays de l’Afrique subsaharienne a montré que 17 millions de femmes et d’enfants (surtout des filles) passaient plus de 30 minutes chaque jour à aller chercher de l’eau pour le ménage. Habituellement, les gouvernements pensent à l’eau en termes de gros projets d’infrastructure, comme les barrages ou les systèmes d’irrigation à grande échelle. Mais plus souvent, il est encore plus difficile d’amener l’eau jusqu’au « dernier kilomètre ».

Lorsque le ministre de l’Eau de la Tanzanie a tenu compte des questions de genre dans son budget, les ressources pour l’ensemble du ministère ont doublé. Plutôt que de traiter l’égalité des sexes de façon séparée ou de la reléguer aux organisations non gouvernementales, l’investissement supplémentaire a été intégré au budget de l’eau.

Le gouvernement a reconnu ainsi clairement que les sexospécificités devaient être prises en compte dans le cadre des réflexions sur l’accès à l’eau.

Entre-temps, l’Inde a modifié les affectations du budget afin de soutenir l’égalité des sexes dans les infrastructures en tenant compte des besoins des femmes en matière d’hygiène dans les dépenses d’infrastructures publiques. Cela comprend la construction de toilettes pour femmes dans les lieux publics comme les marchés ou les centres de transport. Les investissements comme ceux-ci sont importants parce que sans eux, les femmes limitent leur participation à ces lieux publics et, ainsi, leurs perspectives économiques.

Les décisions concernant les biens à imposer peuvent avoir des répercussions différentes sur les hommes et les femmes et sur leur ménage. En Afrique du Sud, une analyse a conclu que l’élimination des taxes sur certains aliments et carburants domestiques était, par comparaison, plus avantageuse pour les femmes, alors que la réduction des taxes sur l’alcool, le tabac et les carburants utilisés pour le transport donnait lieu à des bénéfices accrus pour les hommes. Cette analyse a donné lieu à la suppression des taxes sur la paraffine, une source principale de carburant domestique, en particulier dans les ménages pauvres du pays. Puisque les femmes sont les principales décisionnaires des ménages pour la nourriture et la nutrition, un carburant moins dispendieux se traduit par plus d’argent disponible pour acheter de meilleurs aliments, plus nutritifs.

Malgré l’incidence possible de la budgétisation sexospécifique, la plupart des gouvernements continuent de financer l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes à titre de programmes spéciaux distincts et non dans le cadre des processus budgétaires conventionnels du gouvernement. Par exemple, au Kenya, le Fonds pour les femmes entrepreneurs a été conçu comme un organisme gouvernemental semi-autonome visant à fournir des crédits accessibles et abordables pour soutenir les femmes qui souhaitent démarrer ou agrandir une entreprise.

Certains soutiennent que ces programmes spéciaux sont essentiels pour éliminer l’écart persistant entre les sexes. Cela est peut-être vrai dans une certaine mesure, mais les données démontrent que ces programmes sont souvent les premiers éliminés en cas de coupure. Une étude menée par Oxfam en 2010 sur les répercussions de la crise économique mondiale sur les budgets de 56 pays à faible revenu a révélé que près des deux tiers des pays avaient réduit les programmes liés à l’égalité des sexes.

Malgré le pouvoir de la budgétisation sexospécifique, de nombreux pays ne l’ont pas adoptée, ou encore l’ont laissée principalement sur papier.

Or nous constatons certains progrès. Au Canada, lors d’une première étape cruciale, le budget de 2017 a inclus un énoncé relatif aux sexes qui décrit la façon dont les politiques publiques affectent différemment les femmes et les hommes. La Politique d’aide internationale féministe annoncée en juin met l’accent en particulier sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des filles, tout en accordant la priorité aux femmes et aux filles dans d’autres secteurs clés, comme l’environnement et l’action pour le climat, la gouvernance inclusive, la paix et la sécurité.

Une volonté politique est également nécessaire pour s’assurer que les pays intègrent la budgétisation sexospécifique à leurs politiques fiscales. Même s’il peut être politiquement plus rentable pour un gouvernement d’annoncer qu’il a réservé quelques millions de dollars pour un fonds destiné aux femmes, il est plus viable à long terme de s’assurer que tous les fonds du gouvernement ont une incidence positive sur les femmes et les filles, ainsi que sur l’égalité des sexes.

La version originale anglaise de cette lettre éditoriale a été publiée dans The Development Set le 27 juillet 2017.

Jemimah Njuki gère un portefeuille de projets liés à l’agriculture, à la sécurité alimentaire et à l’autonomisation des femmes au CRDI.