Lutter contre la syndémie mondiale
La pandémie de COVID-19 a paralysé le monde entier, mais elle l’a aussi rassemblé, notamment par la reconnaissance collective d’un problème qui affecte la santé mondiale et les efforts collectifs déployés pour y remédier.
La COVID-19 n’était pourtant pas la seule pandémie qui sévissait dans le monde en 2020. En fait, il existe plusieurs pandémies en cours et concomitantes auxquelles le monde n’a pas encore fait face de manière adéquate.
En 2019, une « syndémie mondiale » de tueurs silencieux a été identifiée par la Commission Lancet – l’obésité, la dénutrition et les changements climatiques – qui, ensemble, représentent les principales causes de décès dans le monde. Alors, qu’est-ce qu’une syndémie, demanderiez-vous? On fait référence à plusieurs pandémies interdépendantes qui se produisent en même temps, qui ont des causes communes et qui doivent être traitées ensemble.
Sans action mondiale collective, on estime que cette syndémie a le potentiel d’annuler une grande partie des gains économiques et sanitaires mondiaux réalisés au cours des 50 dernières années et de causer encore plus de dommages que cette pandémie mieux connue. Pour lutter contre la syndémie, il faut le type de volonté collective et d’action généralisée dont la communauté mondiale a fait preuve au cours des trois dernières années en réponse à la COVID-19.
Comment nuit la syndémie au système alimentaire mondial
La syndémie peut être vue à travers le prisme de notre système alimentaire mondial, un système semé de nombreux défis qui doivent être résolus. Les symptômes suivants sont révélateurs des effets négatifs de la syndémie sur la santé humaine et planétaire :
- 2 milliards de personnes (dont 40 millions d’enfants de moins de cinq ans) sont en surpoids ou obèses.
- 820 millions de personnes, principalement dans les pays du Sud, sont sous-alimentées.
- Plus du tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont générés par les systèmes alimentaires, avec l’agriculture et l’utilisation des terres représentant 71 % de ces émissions.
Non seulement nos systèmes alimentaires sont-ils malsains, mais ils ne sont pas durables ni équitables.
La malnutrition sous toutes ses formes est à la hausse, le surpoids et l’obésité étant sous-estimés et mal compris dans les communautés à faible revenu. Les femmes et les enfants sont les groupes les plus à risque, avec des conséquences négatives de grande envergure. Par exemple, les femmes malnutries courent un risque plus élevé de grossesses à risque et les enfants malnutris ont un système immunitaire affaibli qui menace leur développement à long terme, ce qui a des effets combinés et à long terme sur la santé de la population.
La prévalence de la malnutrition est exacerbée par un système alimentaire mondial qui favorise de plus en plus les aliments malsains et hautement transformés, ce qui entraîne une modification importante des régimes alimentaires dans le monde entier. Bien qu’ils offrent suffisamment de calories, les aliments transformés, bien que de moins en moins chers et plus facilement accessibles, ont une valeur nutritionnelle minimale.
Les régimes alimentaires malsains sont, à leur tour, l’une des principales causes de maladies non transmissibles (MNT). Le diabète, le cancer et les maladies cardiovasculaires sont en augmentation et posent des défis importants aux systèmes de santé des pays du Sud. Rien qu’en Afrique, on prévoit que les décès attribuables aux MNT dépasseront ceux dus aux maladies infectieuses d’ici 2030.
De plus, les effets de la pandémie de COVID-19, aggravés par les conflits, les chocs climatiques et la hausse des coûts des aliments, du carburant et des engrais, ont contribué à l’augmentation de l’insécurité alimentaire et de la dénutrition à l’échelle mondiale, ce qui touche les plus marginalisés de toutes les sociétés. Lorsque nous ajoutons à cela la crise climatique en cours qui s’aggrave, il devient évident que les changements climatiques n’ont pas seulement un impact négatif sur les systèmes alimentaires et contribuent aux problèmes de santé liés à l’alimentation, mais qu’ils sont également une conséquence de nos systèmes alimentaires problématiques.
En 2050, on prévoit qu’il y aura 500 000 décès supplémentaires (principalement dans les pays les plus pauvres) attribuables à l’impact des changements climatiques sur les systèmes alimentaires. Les changements climatiques devraient réduire à la fois la quantité et la qualité de la production alimentaire, tout en augmentant la rareté et le prix des cultures de base. Ces facteurs aggravants réduiront encore plus l’accès à des aliments nutritifs pour de nombreuses personnes et augmenteront la vulnérabilité des populations à faible revenu.
Nous sommes pris dans un cercle vicieux : notre système alimentaire nous fait manger trop ou pas assez et contribue aux changements climatiques. Ces changements climatiques aggravent à leur tour la production alimentaire et, par conséquent, les résultats liés à l’alimentation.
Le CRDI appuie les chefs de file des pays du Sud dans la lutte contre la syndémie mondiale
La syndémie mondiale illustre l’interconnexion de ces pandémies et la mesure dans laquelle il est essentiel de reconnaître que les solutions nécessitent une approche systémique : Nous ne pouvons pas isoler des parties individuelles lorsque toutes les parties sont si intrinsèquement liées. La Commission Lancet a fait appel à des mesures à double ou à triple devoir, c’est-à-dire des mesures politiques qui peuvent réduire simultanément plusieurs causes de la syndémie. Le CRDI investit dans plusieurs initiatives et projets visant à élaborer des données probantes et des mesures pour élaborer des politiques qui peuvent relever ces défis du système alimentaire sur plusieurs fronts. Par exemple, en s’appuyant sur l’expérience du CRDI à l’appui des efforts visant à aborder l’intersection entre l’alimentation, l’environnement et la santé, l’un de nos principaux investissements est l’initiative Catalyser le changement pour des systèmes alimentaires sains et durables (CCHeFS), cofinancée par la Fondation Rockefeller, dans le but de lutter contre la syndémie mondiale en Afrique.
Dans le cadre de cette initiative, deux projets au Ghana et au Kenya sont dirigés par des équipes de recherche travaillant avec des personnes qui prennent des décisions et des parties prenantes de divers secteurs, tels que la santé, la finance et l’agriculture, afin de développer des systèmes nationaux de profilage des éléments nutritifs. L’objectif d’un tel système est de fournir un moyen normalisé et objectif d’évaluer la qualité nutritionnelle des aliments et des boissons, afin que les consommateurs puissent faire des choix éclairés. Les décideuses et les décideurs ainsi que les autorités gouvernementales utilisent ensuite des systèmes de profilage des nutriments pour déterminer comment des interventions telles que les étiquettes des aliments, les taxes et les restrictions en matière de publicité seront appliquées à divers aliments et boissons. Le Kenya et le Ghana seront parmi les premiers pays d’Afrique à développer leurs propres systèmes de profilage des nutriments.
Un autre projet mené dans le cadre de l’initiative CCHeFS a mis au point une boîte à outils pour permettre aux gouvernements nationaux du Ghana, du Malawi et du Rwanda d’évaluer leurs propres systèmes alimentaires et de diagnostiquer les défis, tels que des politiques publiques inadéquates ou inefficaces. Le projet comprenait l’élaboration d’un ensemble d’indicateurs du système alimentaire, le recensement des parties prenantes et la définition des lacunes en matière de politiques. En fin de compte, l’objectif est de permettre aux gouvernements nationaux d’élaborer des politiques et des interventions multisectorielles qui rendront leurs systèmes alimentaires plus sains et plus durables. La boîte à outils élaborée dans le cadre de ce projet est disponible en tant que ressource en accès libre, et elle est déjà utilisée dans d’autres pays.
Apprendre et agir ensemble
La pandémie de COVID-19 et les crises mondiales en cours, comme la guerre en Ukraine, ont mis en évidence la vulnérabilité de nos systèmes alimentaires. Parallèlement, la réponse relativement efficace du monde à la pandémie de COVID-19 montre ce qui est possible si nous voulons vraiment lutter contre la syndémie mondiale. Pourtant, il y a de nombreuses leçons à tirer de ce qui ne s’est pas bien passé, y compris l’accès inéquitable aux traitements et aux vaccins contre la COVID-19 qui a touché de manière disproportionnée les pays et les communautés à faible revenu.
Profitons maintenant de cette occasion et des leçons tirées de la COVID-19 pour vraiment reconstruire en mieux. Alors que les discussions sur les changements climatiques mondiaux amènent lentement des perspectives sur les systèmes alimentaires, nous pouvons et devons en faire plus. Les aliments que nous consommons et la façon dont ils sont produits auront un impact considérable sur la santé humaine et planétaire au cours des prochaines décennies, et nous devons agir collectivement pour lutter contre la syndémie mondiale de l’obésité, de la dénutrition et des changements climatiques. Le CRDI est résolu à soutenir le groupe de dirigeants du Sud qui peuvent apporter ce changement, et nous devons continuer à investir dans la recherche qui produit des données probantes habilitant les décisionnaires du monde entier. Le bien-être futur de notre planète dépendra en grande partie de la rapidité avec laquelle nous réparons nos systèmes alimentaires mondiaux.