Localisation : un voyage hors de la zone de confort d’un organisme subventionnaire de la recherche

Le CRDI a récemment lancé un réseau de chaires de recherche basées dans 12 universités réparties sur trois continents. Les chaires de recherche du CRDI sur les déplacements forcés renforceront la base institutionnelle de la production de connaissances à l’échelle locale en développant des connaissances adaptées au contexte qui permettront d’apporter des solutions plus efficaces, durables et fondées sur les droits aux défis des déplacements forcés. La création de ces chaires de recherche illustre l’approche du CRDI visant à localiser la production de connaissances.
La localisation des connaissances est un élément essentiel pour contrer l’ampleur et la complexité des déplacements forcés. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) rapporte que le nombre de personnes déplacées de force – dont les personnes réfugiées, les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, les apatrides, les personnes migrantes en raison de l’économie et des changements climatiques — a doublé en l’espace d’une décennie. Pourtant, alors que la grande majorité des personnes déplacées de force résident dans les pays du Sud, la majeure partie de la recherche, des connaissances et de la capacité à établir des solutions fondées sur des données probantes est produite dans les pays du Nord.
Qu’est-ce que la localisation?
Bien que la localisation puisse être perçue comme une mode récente, elle n’est pas nouvelle. Elle n’a pas non plus commencé lorsqu’elle est apparue comme un engagement clé lors du Sommet humanitaire mondial de 2016. Elle invoque les avantages, en principe et en pratique, des transferts du pouvoir, des ressources et de la prise de décision aux personnes les plus proches du phénomène à l’étude. Il s’agit d’une étape importante dans le processus de décolonisation des connaissances et la seule façon de soutenir des solutions qui fonctionneront réellement.
La localisation en tant que pratique fait partie de l’ADN du CRDI, étant donné que notre mandat consiste à soutenir les partenaires de recherche du Sud alors qu’ils et elles déterminent leurs défis et développent des connaissances et des capacités pour mettre en œuvre des solutions réalistes, légitimes et durables. Il s’agit d’une approche qui recoupe tous nos domaines d’intervention.
Comment localiser les connaissances
Le besoin de localisation signifie un changement de principes et de pratiques dans la façon dont les organismes subventionnaires de la recherche travaillent et abordent le défi du déplacement forcé et de la production de connaissances. Alors que le CRDI continue de renforcer sa pratique de localisation, nous proposons sept principes directeurs clés.
Ne pas définir le programme de recherche à l’avance
Lorsque le CRDI a lancé son appel de chaires de recherche, nous n’avons pas imposé de points d’entrée thématiques, insistant uniquement sur les pratiques de recherche qui comprennent l’analyse sexospécifique et l’intersectionnalité, tout en encourageant le travail interdisciplinaire. Cette approche ouverte visait à ne pas définir le programme de recherche et à permettre aux personnes clés de définir leurs propres priorités. Le principe de la localisation consiste à transférer le pouvoir et la prise de décision aux personnes qui sont proches de la réalité sur le terrain.
Travailler avec les suspects inhabituels
Il est important de promouvoir la voix et le leadership des personnes qui ont vécu des déplacements forcés.
Le soutien apporté récemment par le CRDI à un numéro de la revue Forced Migration Review, consacré à la localisation, illustre ce principe. La revue a adopté une approche qui intègre les voix des personnes réfugiées de différentes régions en formant un groupe consultatif de voix locales pour superviser l’appel à articles et encadrer les auteures et auteurs. La localisation ne signifie pas éliminer les partenaires du Nord de la conversation, mais plutôt recadrer la façon dont ils et elles participent et travaillent avec les personnes expertes des pays du Sud.
Trouver différentes façons de mesurer et de suivre le succès
Les rapports sur les résultats et les réalisations sont d’une importance cruciale pour les organismes subventionnaires de la recherche. Le succès doit être redéfini et adapté au contexte des déplacements forcés, où les espaces politiques sont limités, la gouvernance faible, la liberté d’expression limitée, les chercheuses et chercheurs pas toujours en sécurité et les populations déplacées de force marginalisées et vulnérables. Les bailleurs et bailleuses de fonds et leurs partenaires doivent continuer à perfectionner leurs outils de mesure et leurs indicateurs afin qu’ils soient plus nuancés et adaptés au contexte pour permettre de tenir compte de ces réalités.
Investir dans la capacité des personnes et des institutions
Il est essentiel de renforcer l’écosystème de production de connaissances sur les déplacements forcés en travaillant à la fois avec les personnes et les institutions. Il est également important de promouvoir le mentorat, la formation et l’intégration d’une voix communautaire dans les processus allant de la recherche aux politiques. De cette façon, une masse critique de chercheuses et de chercheurs locaux du Sud et d’institutions locales sera formée pour avoir une incidence sur les politiques et les programmes locaux, nationaux et mondiaux.
Accorder une attention considérable à l’éthique de la recherche
Les pratiques éthiques en matière de recherche sur les déplacements forcés doivent être adaptées au contexte, particulièrement en raison de la marginalisation des populations déplacées de force. Le CRDI a appuyé la création d’une nouvelle plateforme de formation à l’éthique de la recherche en sciences sociales et naturelles dirigée par l’Université de Birzeit en Cisjordanie. Il est tout aussi important, sur le plan de l’éthique de la recherche, de créer des partenariats plus équitables où la recherche est conçue conjointement et où le pouvoir de production de connaissances est transféré aux personnes clés locales.
Valoriser les différentes formes de connaissances produites dans les langues locales
Il est important de prévoir les coûts de traduction et d’interprétation, ce qui n’arrive pas régulièrement. Il est tout aussi pertinent et essentiel de valoriser différentes formes de connaissances locales, comme l’histoire orale, qui garantissent une compréhension du contexte et de la culture locaux. Les solutions à des problèmes complexes tels que les déplacements forcés nécessitent diverses formes de connaissances accessibles à tous.
Soutenir les réseaux pour promouvoir des communautés de pratique inclusives et diversifiées
Une approche en réseau est nécessaire pour que la recherche puisse relier les milieux universitaire et politique tout en étant enracinée dans la mobilisation communautaire. L’approche en réseau doit promouvoir l’inclusion et la diversité et, grâce au mentorat, tenir compte des différents niveaux de capacités au sein des institutions. La durabilité doit être une priorité si l’on veut que ces réseaux survivent au-delà du financement initial. Le CRDI a constaté qu’il est essentiel de soutenir les réseaux d’apprentissage et d’échanges Sud-Sud entre les régions pour que l’incidence prenne racine.
Ce que la localisation n’est pas et quelques défis importants
La localisation ne consiste pas à contenir le défi que représente l’accueil des personnes réfugiées dans les pays du Sud, où vivent la plupart d’entre elles. Si les solutions doivent être élaborées à l’échelle locale, il doit y avoir une responsabilité mondiale commune pour relever les défis des déplacements forcés.
La localisation ne consiste pas non plus à créer un fossé entre le Nord et le Sud. Il s’agit de jeter des ponts, de créer des synergies et de tirer parti des efforts de chacun, tout en reconnaissant les déséquilibres de pouvoir et les hiérarchies flagrantes qui existent dans le milieu universitaire, qui conduisent à des résultats inégaux et qui nécessitent des efforts conscients pour les corriger.
Une approche efficace de la localisation des déplacements forcés se heurte à des obstacles importants, notamment le manque de données et le manque d’accessibilité aux données existantes, la capacité limitée des institutions du Sud en matière de recherche sur les déplacements forcés, ainsi que la difficulté de trouver des personnes interlocutrices légitimes et représentatives des personnes déplacées de force. Ce sont là des défis et des lacunes que les chaires de recherche du CRDI sur les déplacements forcés tentent d’aborder individuellement et collectivement en tant que réseau.
La localisation de la production de connaissances dans les déplacements forcés doit être intentionnelle, stratégique et durable, et elle nécessite des ressources. Le soutien à la recherche doit modifier la dynamique du pouvoir, donner la parole à plusieurs personnes clés du Sud et éviter de reproduire les inégalités et les vulnérabilités.
Il faut faire preuve de créativité pour s’assurer que les principes de localisation des connaissances font partie intégrante du financement de la recherche tout en tenant compte de nos contraintes et exigences nationales individuelles en tant que bailleurs et bailleuses de fonds. Le temps est venu d’adopter une approche qui poussera bon nombre d’entre nous à sortir de notre zone de confort.