L’élaboration de politiques fondées sur des données probantes dans les pays du Sud est essentielle pour faire progresser les ODD
L’élaboration de politiques fondées sur des données probantes (PFDP) qui sont équitables, réactives et inclusives est essentielle pour non seulement améliorer le bien-être de toutes les populations, quels que soient leur âge, leur sexe ou leur statut socioéconomique, mais aussi pour accélérer la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Les problèmes de développement d’aujourd’hui sont complexes, avec l’apparition de nouveaux obstacles importants tels que les changements climatiques, l’augmentation des conflits à l’intérieur et à l’extérieur des frontières, l’instabilité politique, la fragilité sociale, l’insécurité alimentaire et les crises sanitaires. Ces défis nécessitent la participation non seulement de ceux qui sont considérés comme des experts techniques, mais aussi de ceux qui sont directement confrontés à ces problèmes. La contribution des populations et des communautés touchées a rarement fait partie des données probantes qui éclairent l’élaboration des politiques.
À la base de ces problèmes se trouvent de profondes disparités sociales et des environnements culturels punitifs de plus en plus profonds, ainsi que les inégalités sociales et de genre. Dans ce paysage complexe, les responsables des politiques ainsi que les praticiennes et les praticiens continuent de composer avec la nécessité de s’adapter et d’innover. Dans ce contexte, l’utilisation de données probantes est impérative. Elle est non seulement essentielle pour comprendre la dynamique complexe de la politique, de la socioéconomie, des facteurs environnementaux et de la santé, mais aussi, plus important encore, pour éclairer et orienter l’élaboration et la mise en œuvre de politiques efficaces, cohérentes, équitables, inclusives et sensibles aux considérations relatives au genre.
Des données probantes opportunes qui répondent aux exigences des responsables des politiques, qui sont à la recherche de solutions éclairées à l’échelle mondiale et pertinentes au niveau local, sont toujours demandées, en particulier dans les situations d’urgence. La pandémie de COVID-19 a montré que des approches pangouvernementales et pansociétales sont nécessaires, encourageant ainsi les parties prenantes à collaborer entre les secteurs et les disciplines. Par exemple, dans le secteur de la santé, les résultats pour la santé sont fortement influencés par des facteurs non médicaux connus sous le nom de déterminants sociaux de la santé (DSS). S’attaquer aux DSS nécessite une action de tous les secteurs et de la société civile, au-delà du secteur de la santé. Il est donc inconcevable qu’il soit possible d’améliorer l’état de santé des populations sans données probantes à l’appui des interventions visant à lutter contre les DSS. C’est cette interdépendance et un écosystème de preuves à l’appui qui sont plus que jamais nécessaires.
Par écosystème de données probantes, je désigne les personnes, les systèmes et les processus qui produisent, traduisent, diffusent et utilisent différents types de données probantes en travaillant dans divers secteurs et disciplines pertinents en vue d’atteindre les ODD. Les innovations en matière de renforcement des capacités et d’investissement dans le leadership des pays du Sud sont essentielles au renforcement de l’écosystème des données probantes et à la promotion de l’institutionnalisation des PFDP. Ces facteurs critiques sont décrits ci-dessous et accompagnés d’exemples de ce qui a été accompli et de la façon de soutenir les efforts pour un impact à plus long terme.
Pour atteindre les ODD, il faut une vision à long terme pour mettre en place l’infrastructure nécessaire aux écosystèmes de données probantes afin de lutter contre les inégalités socioéconomiques qui conduisent à l’aggravation des formes de discrimination et de marginalisation de groupes déjà vulnérables, comme les femmes, les filles et les populations autochtones. Sans institutionnalisation des écosystèmes probants, ces inégalités se perpétuent.
En 2018, le Partenariat pour les éléments de preuve et l’équité dans les systèmes sociaux réactifs (PEERSS) a aidé 13 équipes de pays à trouver des moyens d’ancrer l’application des connaissances et l’utilisation des données probantes pour éclairer l’élaboration des politiques dans les systèmes sociaux. Les stratégies efficaces comprenaient la création d’unités de gestion des connaissances et de services d’intervention rapide qui appuyaient les efforts visant à institutionnaliser les PFDP au sein des structures gouvernementales. Des exemples de l’efficacité de chacune de ces stratégies sont présentés ci-dessous.
Institutionnaliser l’utilisation des données probantes et comment les structures intégrées d’utilisation des données probantes peuvent aider
De nombreux pays tentent maintenant d’améliorer leurs systèmes d’application des connaissances et des PFDP en mettant à l’essai des unités de services d’intervention rapide qui peuvent aider les responsables des politiques à accéder à des données opportunes et de qualité pour répondre aux besoins émergents. Cependant, ces tentatives présentent des lacunes, comme un manque de savoir-faire, une incapacité à fournir des approches éprouvées qui fonctionnent et une absence de ressources et d’infrastructures pour ces systèmes. Le PEERSS a appuyé ce processus et a généré plusieurs réussites et leçons apprises.
Par exemple, au Nigéria, l’Institut africain pour les politiques de santé et les systèmes de santé a jeté les bases de la création d’une unité des services d’intervention rapide au sein du Parlement afin de soutenir les activités législatives. Grâce à des ateliers, à des possibilités de formation et à l’établissement de relations, l’équipe a obtenu l’adhésion des leaders parlementaires à la nécessité de ce type d’unité. L’équipe a évalué les connaissances et les capacités en matière de PFDP parmi les principaux membres du personnel parlementaire directement impliqués dans la législation et a utilisé l’information pour produire un document d’orientation sur l’utilisation des données probantes dans la législation et la conception d’initiatives. L’Unité des services d’intervention rapide s’appuie sur le personnel législatif et l’infrastructure existants pour faciliter la fourniture de preuves en temps opportun.
Au Burkina Faso, l’Unité de gestion et de transfert des connaissances au sein du ministère de la Santé a soutenu une étude visant à suivre l’utilisation du financement de la COVID-19 pour éclairer la prise de décision et a lancé un portail Internet pour cette unité afin d’améliorer la consultation et l’utilisation des documents élaborés par le ministère.
L’Institut éthiopien de santé publique a soutenu les efforts visant à institutionnaliser l’utilisation des données probantes au sein du ministère de la Santé (MS). L’équipe a effectué une analyse de la situation et a établi une unité d’évaluation des technologies de la santé (ETS) en collaboration avec le ministère de la Santé et a tenu un dialogue avec les intervenants. L’unité d’ETS a aidé le Programme élargi de vaccination du ministère de la Santé à utiliser les données synthétisées pour orienter les décisions sur l’admissibilité et les priorités des vaccins contre la COVID-19 et la variole du singe. L’unité d’ETS est établie sur la feuille de route pour l’institutionnalisation des PFDP par le système de santé éthiopien.
Les écosystèmes de données probantes nécessitent un renforcement accompagné des capacités en matière d’utilisation des données probantes locales
La disponibilité de possibilités d’apprentissage, d’outils et de cadres liés à l’application des connaissances et aux PFDP est essentielle pour que les responsables des politiques approuvent l’utilisation des données probantes pour la prise de décisions, la planification et la programmation. Le PEERSS a élaboré une approche régionale sur mesure pour assurer la pertinence locale des efforts de renforcement des capacités. Les ressources clés générées par le partenariat PEERSS sont disponibles sur le site Web du PEERSS.
Le PEERSS a créé quatre pôles d’apprentissage et de collaboration en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie et au Moyen-Orient et en Europe afin de renforcer les capacités des pays et de fournir des plateformes et des possibilités d’échange d’apprentissage entre pairs aux niveaux mondial, régional et national.
Le soutien fourni par les pôles d’apprentissage et de collaboration comprenait l’élaboration de trousses de formation, d’examens systémiques, d’outils et de cadres de travail, comme des trousses d’outils pour la cartographie et l’engagement des parties prenantes, des plateformes de formation pour l’examen des systèmes et l’élaboration d’histoires de changement dans les PEV, et l’intégration de l’équité entre les genres dans la recherche et de la protection du genre dans les plans stratégiques nationaux.
Les équipes de pays du PEERSS et les pôles d’apprentissage et de collaboration ont personnalisé le soutien pour répondre aux besoins spécifiques des pays en matière de données probantes et ont offert des possibilités de formation pour établir les priorités en matière de méthodologie d’examen rapide dans un établissement universitaire multinational. Par exemple, pendant la pandémie de COVID-19, le Knowledge to Policy (K2P) Center au Liban a lancé l’Initiative de la série K2P COVID-19, qui a fourni un soutien rapide pour aider les responsables des politiques et les autorités sanitaires nationales à prendre des décisions fondées sur des données probantes.
Au Nigéria, l’African Institute for Health Policy & Health Systems a élaboré un cours menant à un certificat sur les PFDB et l’application ou la gestion des connaissances à l’intention des responsables des politiques, composé de huit modules. L’équipe a organisé plusieurs séances de formation pour les responsables des politiques provenant du secteur de l’éducation et a effectué un examen rapide de la réouverture des écoles pendant la pandémie de COVID-19. L’équipe a formé les responsables des politiques du ministère de la Santé et a aidé à évaluer l’efficacité du cadre national de vaccination.
L’Africa Center for Evidence (ACE), en tant que pôle d’apprentissage et de collaboration en Afrique, a lancé une enquête de cadrage pour la Communauté de pratique sur le changement au niveau des systèmes dans l’utilisation des données probantes, et une série sur « Pourquoi je suis tombé amoureux de l’EIDM prise de décision). L’ACE a élaboré des manuels de formation et des cliniques pour utiliser les lignes directrices sur les histoires de changement et les « changements les plus importants » dans le cadre des cliniques sur les histoires de changement organisées pour la formation des équipes PEERSS.
Les équipes du PEERSS ont eu l’occasion de développer et d’appliquer des outils tels que la cartographie des données probantes pour mobiliser les responsables des politiques sur des questions cruciales tout au long de la pandémie et au-delà. Par exemple, la violence basée sur le genre (VBG) a été désignée comme un problème national majeur en Afrique du Sud. La pandémie de COVID-19 a entravé les services et la prévention de la VBG en Afrique du Sud et ailleurs et a entraîné une augmentation des incidents de VBG . Il était urgent de mettre en place des politiques fondées sur des données probantes et d’intervenir. L’équipe du PEERSS en Afrique du Sud a utilisé des cartes de données probantes pour éclairer le plan stratégique national (NSP). Ces cartes de données probantes comprenaient 129 éléments de preuve alignés sur les besoins de mise en œuvre du PSN et organisés en fonction de ceux-ci. Les membres de la haute direction ont demandé une mise à jour annuelle des données probantes et ont engagé des ressources pour intégrer la base de données probantes dans la mise en œuvre du PSN.
Maintenir les efforts pour un impact à plus long terme
Dans sa première phase, le PEERSS a accompli beaucoup de choses, et l’intérêt et l’expertise croissants pour les données probantes ont rendu nécessaire un exercice collaboratif d’établissement des priorités. Un exercice de planification stratégique a été mené au cours de la dernière année du PEERSS (2022-2023) afin de comprendre les leçons apprises et ce qui devait changer pour sa deuxième phase. Le nouveau partenariat est renommé « Apprendre ensemble pour faire progresser les données probantes et l’équité dans l’élaboration des politiques », ou LEEPS en abrégé (de l’anglais « Learning together to advance Evidence and Equity in Policymaking » ). L’accent mis dans le cadre du LEEPS s’est maintenant déplacé vers un plus grand leadership dans les pays du Sud grâce à des organisations partenaires axées sur les mesures d’équité et dans les pays à faible revenu, en particulier en Afrique subsaharienne, où le besoin de soutien aux PFDP est important.
À moins que les pays du Sud ne soient les premiers à relever les défis aux niveaux national, régional et mondial, nous raterons une excellente occasion de faire en sorte que chaque vie et chaque individu comptent. À cette fin, deux centres régionaux africains ont été sélectionnés pour jouer un rôle clé dans le renforcement de l’écosystème du savoir et l’utilisation des données probantes en Afrique. Le Centre régional pour l’Afrique de l’Ouest est dirigé par le African Center for Equitable Development et le East Africa Regional Hub sont codirigés par le Center for Rapid Evidence Synthesis (ACRES) et l’African Institute for Development Policy.
Ces pôles régionaux fourniront une plateforme d’apprentissage et d’échange basée en Afrique, ainsi que des réseaux durables contribuant à une communauté de pratique et au partage d’exemples solides de synergie et de collaboration Sud-Sud.
Sans investissements à long terme dans les personnes qui prennent des décisions au quotidien et sans les écosystèmes nécessaires à l’utilisation des données probantes, les pays ne seront pas en mesure de produire et d’utiliser les données probantes les plus récentes, ce qui compromettra la formulation de politiques équitables et sensibles au genre nécessaires pour progresser vers l’atteinte des ODD. C’est pourquoi le CRDI et Hewlett se sont engagés conjointement dans le programme LEEPS, une deuxième phase du partenariat de 8,5 millions de dollars canadiens, de janvier 2023 à décembre 2025.
Je suis convaincue que ces types d’innovations et d’investissements dans le renforcement des capacités, la mise à disposition d’outils, l’intégration du genre ainsi que l’équité sociale et la promotion du leadership dans les pays du Sud sont essentiels à la création d’écosystèmes de données probantes durables et efficaces pour atteindre les ODD.