La nouvelle frontière pour faire avancer la paix et la sécurité des femmes est en ligne

Le monde en ligne est une nouvelle frontière qui touche tous les aspects de la société, y compris et en particulier la paix et la sécurité des femmes. Alors que le Canada continue de soutenir les mesures visant à favoriser la sécurité des femmes dans le monde, le lien entre la violence fondée sur le sexe en ligne et dans le monde physique devient plus clair et plus direct.
Plus de deux décennies se sont écoulées depuis l’adoption de deux plans d’action mondiaux révolutionnaires visant à protéger la vie des femmes et des filles : la Déclaration et le Programme d’action de Beijingen 1995 et le Programme pour les femmes, la paix et la sécurité en 2000. Face à l’influence des nouvelles frontières numériques, comment redynamiser l’action en faveur de l’égalité des sexes?
La violence fondée sur le sexe en ligne et sur le terrain
Les outils numériques, les plateformes et les autres technologies qui sont désormais omniprésents dans nos vies sont à la fois prometteurs et problématiques pour la sécurité et l’autonomisation des femmes. Il est clair que les répercussions de la violence fondée sur le sexe facilitée par la technologie (ou en ligne) sont physiques, psychologiques, sociales et économiques. Même si elle est perpétrée dans la sphère numérique, cette violence a de nombreuses conséquences vécues dans le monde physique. La violence en ligne et la violence sexuelle qui entraîne des lésions corporelles ont le même objectif : subjuguer, humilier, victimiser et contrôler. La différence est que les actions en ligne causant des préjudices sont perpétrées dans l’anonymat et à une échelle et une vitesse effrayantes, alors qu’il n’existe pas d’approches juridiques, sociales et technologiques pour atténuer ou prévenir ces actions.
Les discours de haine sexiste en ligne et leur incidence sur les personnalités publiques féminines, ainsi que le rôle des technologies numériques dans l’implication des femmes et des filles dans l’extrémisme violent sont deux domaines clés qui démontrent l’intersection entre la violence fondée sur le sexe en ligne et ses répercussions dans le monde physique.
Sécurité des femmes en contact avec le public
Les faits révèlent que les personnalités publiques féminines – qu’elles soient élues ou candidates à des fonctions publiques, négociatrices de paix, conseillères publiques ou organisatrices féministes – sont de plus en plus menacées. Une étude mondiale de l’Union interparlementaire a révélé que 44,4 % des femmes parlementaires interrogées dans 39 pays ont reçu des menaces de mort, de viol, de coups ou d’enlèvement par courrier électronique et par les médias sociaux, et que ces menaces s’étendaient souvent à leurs enfants et aux autres membres de leur famille.
Les recherches soutenues par le CRDI soulignent comment les saboteurs en ligne sont de plus en plus organisés et sophistiqués. Leurs succès ont un effet dissuasif sur les discours et les actions publiques en faveur des droits des femmes. Ils érodent également les approches démocratiques, centrées sur l’État, de la gouvernance et des affaires publiques.
L’un des défis pour les femmes de la sphère publique est d’apprendre à gérer le harcèlement sans que celui-ci ne compromette leur efficacité en tant qu’actrices politiques ou sociales. Les chercheuses féministes sur Internet et un large éventail d’experts qui étudient la violence fondée sur le sexe en ligne recommandent de renforcer les compétences en matière de sécurité numérique des femmes en contact avec le public et de créer des espaces et des réseaux numériques sûrs et inclusifs.
Bien que l’élaboration de solutions en matière de politiques prenne du temps, les dirigeants et les défenseurs des pays du Sud s’efforcent d’apporter des preuves et de promulguer des lois qui criminalisent le harcèlement en ligne et les discours de haine fondés sur le sexe. Par exemple, la chambre basse du Congrès national du Brésil est en train de débattre d’un projet de loi visant à lutter contre la violence politique à l’égard des femmes, en partie grâce à une recherche financée par le CRDI et menée par InternetLab et des défenseurs locaux. D’autres recherches sont nécessaires pour comprendre la prévalence de la violence et des discours de haine en ligne. À cette fin, le CRDI soutient une enquête mondiale avec le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale sur la nature, la prévalence et l’impact de la violence fondée sur le sexe en ligne dans le monde. Ces efforts, ainsi que d’autres, fourniront les preuves nécessaires pour intensifier les actions en faveur du changement.
Effets des actions en ligne sur la paix et la sécurité sur le terrain
Des recherches soutenues par le CRDI au Mali et au Niger permettent d’intégrer les expériences des femmes dans les lois et les politiques de réintégration afin de contrer et de prévenir l’extrémisme violent. Toutefois, à mesure que l’influence des technologies numériques s’accroît, les décideurs et les concepteurs de programmes auraient intérêt à mieux comprendre comment les plateformes numériques contribuent à créer des chambres d’écho en ligne qui propagent des activités dangereuses, risquées et violentes. Par exemple, les femmes sont largement invisibles dans les nombreuses recherches menées dans les pays à haut revenu sur le rôle des technologies numériques dans la radicalisation des hommes. Le corpus de connaissances existant sur les femmes et l’extrémisme violent – par exemple, celles de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et du Programme des Nations unies pour le développement – peut être enrichi par des preuves générées localement qui mettent en lumière la manière dont les technologies numériques permettent l’implication volontaire ou involontaire des femmes dans les conflits et l’extrémisme violent.
La gouvernance technologique est un défi local, national et mondial
La promotion de la paix, de la sécurité et de l’égalité des sexes dans le monde physique et en ligne nécessite une coopération mondiale et de nouvelles coalitions entre les États, les organisations multilatérales et régionales, la société civile et le secteur privé. Une partie essentielle de cet effort consiste à négocier et à tracer de nouvelles voies avec les intérêts nationaux et les intérêts puissants et mondialisés du secteur privé.
La mobilisation des entreprises technologiques et des sociétés de plateformes du secteur privé est essentielle pour lutter contre la violence en ligne. Des chercheurs appuyés par le CRDI participent à des forums mondiaux multilatéraux, comme le Forum sur la gouvernance d’Internet, afin de favoriser ces dialogues essentiels et de fournir des données probantes aux décideurs politiques et aux entreprises de technologie pour relever les défis associés à la gouvernance mondiale d’Internet et des nouveaux outils technologiques.
Un appel à l’action
Après des décennies de recherche, nous savons que la violence sexuelle, le harcèlement et d’autres formes de préjudice sont des armes sexospécifiques de confrontation et de conflit. Aujourd’hui, les défenseurs de l’égalité des sexes – des entrepreneurs aux influenceurs sociaux dans les secteurs privé, civil, de la recherche et gouvernemental – doivent sensibiliser le public, réunir des données probantes et trouver des solutions pour lutter contre la violence fondée sur le sexe facilitée par la technologie.
Il est possible d’inverser la tendance en faveur de la justice et de l’autonomisation, comme cela a été le cas en 1998 lorsque des leaders féministes ont utilisé des recherches et des preuves pour défendre l’inclusion de la violence fondée sur le sexe liée aux conflits comme crime contre l’humanité dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
Alors que le nombre de conflits violents continue d’augmenter dans le monde entier,), il est temps de redynamiser le mouvement « Les femmes, la paix et la sécurité » et de s’attaquer aux rôles positifs et négatifs des technologies numériques dans la vie des femmes et des filles. Cette question est essentielle pour une mise en œuvre saine et juste du Pacte sur les femmes, la paix, la sécurité et l’action humanitaire qui émergera des réunions du Forum Génération Égalité de 2021 et de ses plans d’action futurs.