La justice occupe le devant de la scène alors que l’action climatique s’intensifie
La reconnaissance croissante des changements climatiques en tant que question de justice semble s’être généralisée. À la conférence des Nations Unies sur le climat de 2021, la COP 26 a annoncé une mise en exergue sans précédent sur la justice climatique qui s’est reflétée dans les couvertures médiatiques. Une manchette de la revue Nature titrait « COP architects furious at lack of climate justice at pivotal summit (Les architectes de la COP furieux du manque de justice climatique lors d’un sommet pivot) », tandis que le New York Times écrivait « Cette année, les demandes de réparation se sont accentuées alors que la justice climatique est devenue un cri de ralliement », et la BBC de publier « The world’s fight for ‘climate justice (La lutte du monde pour la justice climatique) ».
En 2019, la récente vague d’intérêt a incité le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) à lancer un processus exploratoire pour déterminer le potentiel d’un programme de recherche sur la justice climatique dirigé par les pays du Sud. Pour plus de détails, lisez le rapport publié par l’Institute for Development Studies, en collaboration avec l’Université du Sussex, l’un des premiers résultats de notre exploration.
Une grande partie de l’accent mis sur la justice climatique entourant la COP 26 était sur les pertes et les dommages dans les pays du Sud. Il a mis en évidence plusieurs injustices : que les pays et les peuples qui subiront les plus grands effets des changements climatiques, bien qu’ils y contribuent le moins, sont également confrontés aux défis les plus importants pour adapter leurs économies à un monde à faibles émissions de carbone. Au cours de notre parcours d’apprentissage qui se poursuit à ce jour, nous avons compris que cet aspect de la justice climatique est critique et urgent, mais pas toute l’histoire.
Les appels à la justice climatique soulignent rarement la pression prévue pour des actions climatiques ambitieuses dans les années à venir et leurs impacts négatifs potentiels sur les populations vulnérables et marginalisées, en particulier dans les pays du Sud. Au cours de la prochaine décennie, les sociétés du monde entier vont commencer à ressentir les effets d’une multitude de réactions sociétales aux changements climatiques (voir le diagramme). Ces réactions se produiront simultanément aussi bien à l’échelle locale qu’à l’échelle nationale et mondiale. Elles interagissent probablement les unes avec les autres de manière imprévisible. Ensemble, ces réactions – ou l’absence de réaction – entraîneront avec elles des transitions sociétales qui pourraient exacerber les inégalités et les injustices existantes ou en créer de nouvelles. Avec des efforts aux bons endroits, cependant, ils pourraient également transformer la société, lui permettant de surmonter les inégalités et les injustices existantes et de construire un avenir plus résilient et équitable.
Quelles formes de justice sont importantes dans l’action climatique?
De nombreuses dimensions de la justice sont pertinentes pour les efforts de lutte contre les changements climatiques; les trois principales d’entre elles sont les suivantes.
- La justice procédurale met l’accent sur les prises de décision équitables, responsables et transparentes, concernant les répercussions climatiques et les mesures qui sont inclusives, plus précisément pour les groupes qui sont les plus directement vulnérables à ces répercussions et à ces mesures.
- La justice distributive, essentielle aux débats sur les pertes et les dommages qui se déroulent en ce moment, se préoccupe des résultats et des effets des changements climatiques ainsi que des efforts pour y faire face. La priorité est de mettre en évidence la manière dont les différents groupes locaux, nationaux et mondiaux bénéficient des effets des changements climatiques ou en subissent les conséquences et les mesures qui y sont liées, ainsi que les personnes qui en portent la responsabilité.
- La justice climatique transformatrice, qui repose sur l’idée que la vulnérabilité aux changements climatiques dépend d’injustices sociales structurelles, comme l’exclusion des groupes marginalisés du processus décisionnel et de moyens de subsistance de rechange qui pourraient renforcer leur résilience aux changements climatiques. De ce point de vue, les réactions aux changements climatiques doivent viser ces inégalités structurelles, renforcer la gouvernance démocratique à toutes les échelles et promouvoir l’égalité des genres et l’inclusion sociale. Cet article de revue dans WIREs Climate Change explique le concept.
La justice transformatrice apparaît lorsque la justice procédurale et la justice distributive sont réalisées. Elle nécessite une approche systémique, qui reconnaît (i) les réactions sociétales multiples et souvent qui se chevauchent aux changements climatiques qui se produiront à des endroits, des moments et des échelles différents, mais aussi (ii) les défis existants de l’inégalité structurelle et des exclusions qui interagiront avec les réactions climatiques.
Les réactions climatiques se joueront à travers diverses institutions et divers processus de gouvernance et soulèveront des questions de justice procédurale, à savoir qui participe et qui est exclu lorsque les décisions sont prises sur l’action climatique? De plus, ces processus de gouvernance ont le potentiel de niveler les déséquilibres de pouvoir et de servir de médiateurs dans les compromis dans les débats sur la justice climatique distributionnelle - qui en profite et qui en souffre? Cependant, les projets de développement et d’infrastructure à grande échelle sont truffés d’exemples douloureux qui pourraient causer des dommages aux groupes vulnérables, entraînant des conséquences négatives imprévues et créant ou exacerbant l’injustice et les inégalités. Dans un article paru dans Nature Climate Change, les autrices Mary Robinson et Tara Shine ont déjà attiré l’attention sur les risques pour les droits humains posés par des interventions d’action climatique bien intentionnées et à grande échelle, comme les parcs solaires et éoliens ou les plantations de biocarburants.
Le CRDI se joint à la conversation sur la justice climatique et accorde la priorité aux perspectives du Sud
S’attaquer aux changements climatiques en tant que question de justice est quand même important. L’application d’une optique de justice exigera que tout le monde travaille différemment. Le défi pour la communauté de la justice sera de travailler simultanément et plus efficacement à travers de multiples échelles de parties prenantes et d’espaces politiques climatiques, y compris des plans d’adaptation nationaux et des contributions déterminées au niveau national. Pour la communauté des changements climatiques, il sera important de compléter l’accent habituel sur les solutions techniques avec plus d’attention sur les significations, les applications et la poursuite de l’égalité, de l’équité et de la justice.
Dans cet esprit, le CRDI appuie de nouvelles recherches pour commencer à trouver des réponses aux grandes questions sur la façon d’instaurer une justice transformatrice dans un climat en évolution. Nous voyons la recherche jouer un rôle transformateur important dans la lutte contre les causes profondes de l’inégalité, plus préciésment lorsqu’elle est construite autour de partenariats avec des partenaires non universitaires, avec un engagement clair envers la coproduction de connaissances (voir le diagramme ci-dessus). Surveillez les développements de cette recherche, testant des approches pour promouvoir la justice climatique en Afrique, en Asie et en Amérique latine :
- Adaptation fondée sur la justice par le biais des systèmes de connaissances des peuples autochtones au Chili et au Pérou, pour établir des liens avec les groupes de peuples autochtones et intégrer leurs points de vue sur la justice climatique dans les plans nationaux d’adaptation et les mesures connexes au Pérou et au Chili.
Pour plus d’information, contactez Maritza Paredes à PUCP. - Relocalisation planifiée, juste et résiliente des changements climatiques au Bangladesh, pour intégrer les questions d’inclusion et de droits dans la Stratégie nationale du Bangladesh sur la relocalisation planifiée des changements climatiques.
Pour plus d’information, contactez le Dr Ricardo Safra de Campos à l’Université d’Exeter. - Négocier la justice dans un climat changeant, pour aider les groupes et les communautés locales à plaider efficacement en faveur d’actions climatiques justes et inclusives au niveau mondial.
Pour plus de renseignements, communiquez avec Michelle Du Toit à SouthSouthNorth.
Compte tenu des ambitions croissantes d’agir sur la crise climatique, le moment est venu de mobiliser la recherche autour de la justice climatique. Le défi consiste à forger de nouveaux partenariats entre les personnes les plus touchées par le changement et l’action climatiques, la communauté de la justice et les chercheurs et chercheuses sur les changements climatiques.