Aller au contenu principal

La défense des droits des femmes permet de lutter contre la violence envers les femmes

 
14 novembre 2018

Roula El-Rifai

Spécialiste de programme principal(e), CRDI

En août 2017, le Parlement de la Jordanie a finalement abrogé un article figurant dans le Code pénal de ce pays qui permettait aux auteurs de viols et d’agressions sexuelles d’échapper à la justice en se mariant avec leurs victimes. L’abrogation de l’article 308 est le résultat d’une campagne énergique et tous azimuts menée par des activistes et plus de 200 organismes locaux en Jordanie. Ils ont milité sans relâche pendant plus de trois ans pour obtenir l’abrogation de cet article controversé. Des activités de recherche et de lobbyisme auprès de politiciens et de chefs religieux ont été menées au cours de la campagne, pendant laquelle on a eu recours à des médias sociaux et traditionnels, et l’on a fait du démarchage à domicile. Les activistes féministes y ont consacré un nombre incalculable d’heures de travail, et elles ont déployé des efforts considérables.

Lorsque j’ai appris la nouvelle, ma réaction a été mitigée. C’est bien entendu une grande réussite. La recherche a été utilisée concrètement pour soutenir les activités de défense des droits des femmes menées par des chercheuses féministes et améliorer la vie des femmes. Les efforts acharnés des militantes féministes ont porté des fruits. Ce succès obtenu en Jordanie a même eu des répercussions au Liban, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, où les militantes ont tiré des leçons de la stratégie mise en place dans le pays voisin et convaincu leurs gouvernements d’abroger cet article de leur code pénal. Cette victoire n’est toutefois qu’une goutte d’eau dans l’océan des changements qui doivent être apportés en Jordanie et ailleurs dans le monde avant que nous puissions atteindre l’objectif, plein de bon sens, de l’égalité entre les sexes.

Une nouvelle publication conjointe du CDRI présente des batailles difficiles qui sont menées tous les jours par les militantes féministes et leurs alliées qui s’efforcent de défendre leurs droits tant à l’échelle locale que mondiale. Intitulée Feminist Advocacy, Family Law and Violence against Women: International Perspectives (en anglais seulement), elle examine les diverses stratégies que les militantes féministes et leurs alliées déploient pour tenter de réformer les dispositions du droit familial qui sont discriminatoires à l’égard des femmes. Partout dans le monde, des lois limitant des droits aussi fondamentaux que celui d’occuper un emploi, de se marier, de divorcer, d’obtenir la garde des enfants et d’hériter de biens sont souvent utilisées pour justifier la violence contre les femmes et les déposséder de tout pouvoir.

La rédaction du livre a été rendue possible grâce à un projet financé par le CRDI, et dirigé par le Women’s Learning Partnership for Rights, Development and Peace (WLP). Les études de cas qu’il contient décrivent des réformes du droit de la famille qui ont été mises en place au Brésil, en Inde, en Iran, au Liban, au Nigéria, en Palestine, au Sénégal et en Turquie grâce à la défense des droits des femmes. Il contient aussi des entrevues réalisées avec des leaders féministes en Égypte, en Jordanie et au Maroc, comme Asma Khader, avocate, activiste et directrice exécutive d’une organisation partenaire du WLP en Jordanie, et l’une des chefs de file de la campagne demandant l’abrogation de l’article 308.

Le WLP collabore avec des organisations partenaires à l’échelle locale afin de favoriser l’autonomisation des femmes au moyen de recherches locales et de campagnes de sensibilisation nationales. Les leçons apprises par le WLP sont bien présentées dans la publication conjointe du CRDI, et elles sont pertinentes pour toutes les campagnes de défense des droits de la personne qui sont menées à l’échelle nationale ou internationale. Les leçons suivantes sont dignes de mention :

  • Toute campagne de défense des droits des femmes doit impérativement s’appuyer sur de solides recherches et connaissances développées à l’échelle locale. C’est là que le mouvement en faveur du changement doit commencer.
  • Une évaluation comparative des apprentissages s’avère essentielle lorsqu’il faut défendre les droits des femmes dans des contextes difficiles (p. ex., sociétés conservatrices, ou dans lesquelles on observe un regain d’autoritarisme).
  • La création d’alliances avec plusieurs parties prenantes, autant à l’échelle locale que nationale, s’avère essentielle au succès de toute campagne de défense des droits. Ces alliances (p. ex., avec des chefs religieux) ne sont pas toujours faciles à consolider.
  • Les campagnes de défense des droits des femmes à l’échelle internationale sont essentielles puisqu’elles permettent d’amplifier les voix des femmes qui travaillent à l’échelle locale et nationale. Une équipe du WLP soutient des coalitions d’organisations locales de femmes en vue d’opérer des rapprochements entre les efforts qu’elles déploient et les calendriers internationaux en matière d’égalité entre les sexes.
  • Les changements juridiques ne suffisent pas à défendre les droits des femmes. La culture, les comportements et les attitudes à l’égard des femmes ont une incidence directe sur la façon dont les lois sont appliquées. Il y a donc beaucoup de travail à faire à l’échelle locale.
  • Il faut aussi déployer des efforts pour réformer d’autres lois qui ont une incidence sur la condition des femmes au sein de la société, ainsi que leur vie et leur bien-être (p. ex., droit criminel; codes pénaux; lois de nature civile, comme les lois sur la propriété et les lois financières; et constitutions).
  • Il y a plusieurs lois familiales religieuses, et elles sont interprétées de différentes façons, en fonction du contexte. Par exemple, il n’y a pas un seul droit familial islamique, mais plutôt une multitude d’interprétations sunnites et chiites. Les activistes doivent élaborer leurs stratégies en tenant compte du contexte et la façon dont les lois sont interprétées et appliquées.

Le verre est toujours à moitié plein pour les valeureuses activistes féministes qui s’impliquent dans les activités du WLP. Plusieurs d’entre elles m’ont dit qu’elles n’avaient pas d’autre choix que de militer et de lutter pour les droits des femmes. Être déprimées, c’est un luxe qu’elles ne peuvent se permettre, expliquent-elles.

Cet ouvrage nous aide à définir un ambitieux programme de recherche pour réformer le droit de la famille et éliminer la violence sexospécifique. Pour Asma Khader, en Jordanie, la prochaine campagne a déjà été lancée afin d’aider les femmes à avoir accès à l’avortement légal, tout spécialement en cas de viol ou d’inceste. Son organisation défend aussi l’idée que les enfants nés d’un viol devraient pouvoir légalement porter le nom de famille de leur père afin de ne pas subir de discrimination au sein de la société.

Mahnaz Afkhami, fondatrice et présidence du WLP et coéditrice de la publication conjointe du CRDI, fait remarquer dans l’introduction de l’ouvrage que « l’expérience militante et les recherches scientifiques qui sont à l’origine de la rédaction de ce livre joueront un rôle de premier plan en vue de faire passer nos travaux liés au droit de la famille au niveau supérieur ». Cette publication a le mérite de nous rappeler qu’il est possible d’opérer un changement vers l’égalité entre les sexes, même s’il y a d’énormes défis à relever.

Visionnez le court documentaire de WLP, intitulé L’égalité commence au sein de la famille, qui présente un large éventail de lois touchant la famille à l’échelle internationale, ainsi que leurs répercussions sur la vie des femmes.

Roula El-Rifai est une spécialiste de programme principale au sein du programme Emploi et croissance du CRDI.