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Damer le pion aux pandémies

 
17 mars 2017

Dominique Charron

Vice-présidente, Programmes et partenariats, CRDI

Les réactions aux nouvelles troublantes provenant de la Chine annonçant un nombre croissant de décès attribuables à la grippe de souche H7N9 ne sont que trop familières. Il semble qu’aux quatre coins de la planète, les experts de la santé publique attendent la confirmation d’une pandémie de grippe H7N9 avant de mettre de l’avant leurs politiques; dans leur labo, les scientifiques s’emploient à mieux connaître et comprendre le virus en vue d’élaborer un vaccin; les responsables de la santé publique de la région concernée se préparent quant à eux à faire abattre des millions de poulets sur un vaste territoire, un moyen assez draconien d’endiguer la propagation d’une maladie potentiellement mortelle pour l’humain.

Plutôt que d’attendre, il faut agir en amont. Une action immédiate en cas d’épidémie ne suffit pas pour résoudre un problème complexe et persistant. Nous devons offrir un appui soutenu aux chercheurs qui connaissent bien les facteurs qui accentuent la propagation des maladies infectieuses.

Dans ce domaine cependant, rien n’est clairement défini. Il n’est pas toujours possible de prévoir ni de contrôler facilement l’évolution d’un virus. Partout dans le monde, des êtres humains quittent les milieux ruraux pour s’établir en zone urbaine. De plus en plus de citadins soucieux de se procurer la viande la plus fraîche possible fréquentent des marchés où les animaux sont vendus vivants. Les gens habitent des quartiers densément peuplés et en expansion qui empiètent eux-mêmes sur des fermes d’élevage de bétail et de volaille de plus en plus grandes. Les oiseaux sauvages migrateurs se mêlent aux canards domestiques et à d’autres espèces de volaille.

Annoncer qu’un virus a atteint le stade de pandémie ne permet pas d’empêcher qu’un autre virus voie le jour. Nous devons nous employer à changer les conditions propices aux maladies en soutenant la recherche qui vise à détecter l’émergence des maladies à la source. Par exemple, on a estimé que les fermes avicoles petites et grandes, les marchés où les animaux sont vendus vivants et les lieux où canards, volaille et oiseaux sauvages se mêlent les uns aux autres avaient causé l’émergence de la grippe aviaire de souche H5N1. Cette souche particulière de la maladie a coûté la vie à 374 personnes en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique depuis 2003.

Dans les situations d’urgence, la priorité consiste à endiguer la propagation avec les moyens dont on dispose. En dehors de telles périodes cependant, la recherche permet d’examiner des questions complexes ayant une incidence à plus long terme, telles que l’observation, par les éleveurs, des règles de prévention. À cet égard, on a observé que les petits aviculteurs sont plus susceptibles de signaler les cas de maladie dans leur élevage s’ils ont l’assurance qu’ils recevront une compensation pour les pertes qu’ils pourraient subir. On a aussi constaté que la stratégie – pourtant bien intentionnée – consistant à inspecter les camions de transport de la volaille à leur entrée au marché peut s’avérer inefficace si le garde responsable de l’inspection ne saisit pas tout à fait la nature de son rôle, est sous-payé ou mal supervisé, est corruptible ou est simplement incompétent.

Une solution mise au point par le Partenariat de recherche sur les maladies infectieuses émergentes en Asie (APEIR) en vue d’éliminer la menace de la grippe aviaire s’est avérée étonnamment simple. Dans de nombreuses petites exploitations avicoles de pays en développement, des acheteurs de volaille itinérants se promènent de maison en maison à motocyclette, empilant les cageots à poulets en bambou à l’arrière de leur véhicule. De concert avec des aviculteurs locaux, les chercheurs ont trouvé une solution de rechange plus salubre : des postes de traite placés à l’entrée des villages, où les aviculteurs peuvent apporter leur volaille, qui sera ensuite acheminée au marché. Cette stratégie vise à empêcher que les acheteurs ne contaminent à leur insu le domicile et la cour des aviculteurs chez qui ils se rendent avec les oiseaux potentiellement malades qu’ils transportent et les fientes qui adhèrent à leurs pneus. Elle permet donc de réduire les risques d’infection des élevages. 

Les chercheurs de l’APEIR ont aussi aidé les petits aviculteurs à mettre en commun leurs ressources et à construire des bâtiments d’élevage qui empêchent tout contact entre leur volaille et les oiseaux sauvages, potentiellement infectés. Ils poursuivent en outre d’autres travaux sur les façons de rendre plus salubres les marchés où les animaux sont vendus vivants sans pour autant faire interdire ces lieux d’échange traditionnels.

Si l’abattage fait partie intégrante de la lutte contre les maladies, on en a fait une utilisation abusive. Il est tout à fait possible de lutter efficacement contre les maladies grâce à des abattages beaucoup plus ciblés, résultat de politiques qui, en plus de prendre en considération la nécessité d’enrayer le virus, tiennent compte des répercussions des pertes subies sur les moyens de subsistance des aviculteurs et des données probantes sur la propagation de la maladie.

Les annonces de pandémies s’accompagnent d’offensives, mais ne façonnent pas les politiques qui prennent en compte les moyens de subsistance des éleveurs et les déterminants complexes des maladies. Comment peut-on encourager les éleveurs à se conformer aux mesures de lutte par souci pour leur santé et celle de leurs enfants et faire en sorte qu’ils n’hésitent pas à s’y conformer par crainte que cela entraîne des répercussions négatives sur leurs moyens de subsistance et ceux de leurs voisins ?

Les épidémies nécessitent bien sûr des interventions d’urgence, mais il faut aussi agir en dehors des situations d’urgence pour prévenir d’autres pandémies. Essayer d’enrayer une pandémie, c’est comme tenter d’attraper une balle une fois que le coup de feu a été tiré. Employons-nous à soutenir le travail important qui est accompli avant que quelqu’un n’appuie sur la gâchette.   

Ce commentaire a été publié dans The Globe and Mail le 14 mai 2013.

Dominique Charron est directrice du programme Agriculture et environnement au CRDI.