Comment l’enregistrement des décès appuie les droits des femmes et des filles
Pour sauver la vie des femmes et des filles, nous devons enregistrer - et compter - chaque décès, peu importe la situation géographique, la race, l’origine ethnique, la richesse ou le statut social de la personne décédée.
Tout comme l’enregistrement des naissances et des mariages l’enregistrement des décès est crucial pour protéger les droits et répondre aux besoins des femmes et des filles. Lorsque l’enregistrement des décès est complet, précis, obligatoire et universel, il est essentiel pour savoir, de façon continue, pourquoi, où, et à quel âge les femmes et les filles meurent.
Cependant, dans bon nombre de parties du monde, les femmes sont laissées pour compte. Les décideurs ne disposent pas des renseignements opportuns dont ils ont besoin pour déterminer comment, où et quand ils devraient intervenir pour protéger la vie des femmes et de leurs enfants.
Par exemple, prenons une femme qui en est au troisième trimestre de sa deuxième grossesse et qui habite à plusieurs heures de la clinique la plus proche. Elle commence à avoir de graves maux de tête qui ne disparaissent pas, sa vision devient floue, et ses mains ainsi que son visage commencent à enfler. De plus, elle n’a pas participé aux soins prénataux au cours de sa présente grossesse, ni au cours de sa dernière grossesse, non pas parce qu’elle ne voulait pas, mais plutôt parce qu’elle ne pouvait tout simplement pas parcourir le trajet long et épuisant.
Dans bon nombre de pays, les praticiens de la santé sont au courant de ce genre d’histoire. Lorsque le problème de vision et les maux de tête de la femme s’aggravent, elle commence à s’inquiéter. Cependant, elle n’a pas l’argent ni les moyens nécessaires pour même tenter de se rendre à la clinique. Par ailleurs, la femme a un travail prématuré et difficile à la maison, en présence de membres de sa famille, et donne naissance à un bébé mort-né. Après la naissance, la mère a des pertes de conscience passagères ainsi qu’une crise épileptique, et meurt peu de temps après.
Elle est ensuite enterrée dans le cimetière familial; son décès n’est pas enregistré ni recensé, passe inaperçu, et semble n’avoir aucune conséquence. L’éclampsie - l’une des principales causes de mortalité maternelle et infantile — est probablement à l’origine de son décès. Toutefois, l’État ne sait pas qu’elle est décédée, et connaît encore moins les causes de son décès.
À la suite du décès de la femme, son enfant survivant ne dispose d’aucune preuve juridique attestant du décès de sa mère - une situation qui peut perpétuer un cycle vicieux de pauvreté et de souffrance. Ainsi, un certificat de décès émis grâce à l’enregistrement de ce dernier permet de fournir aux survivants légaux la preuve dont ils ont besoin pour réclamer une pension ou un héritage, ou y avoir accès, et transférer des droits de propriété ainsi que d’autres actifs auxquels ils ont droit. Il permet également au conjoint survivant de se remarier. Un enfant qui a un père distant ou détaché est confronté à un sombre avenir s’il ne dispose d’aucune preuve du décès de sa mère; en effet, cela entrave son accès aux avantages sociaux et à ses droits.
Les décès non enregistrés ont également une incidence sur la capacité à empêcher des décès semblables. L’enregistrement des décès contribue aux statistiques nationales sur la mortalité, ce qui aide les gouvernements et les décideurs à déterminer les causes des décès et les mesures qu’ils pourraient prendre pour les réduire. Afin de prévenir les conditions telles que la prééclampsie et l’éclampsie, et d’y mettre un terme, il est essentiel de déterminer en temps réel les personnes qui en meurent, à quel endroit, et pour quelle raison. Un enregistrement précis et en temps opportun des décès est essentiel à la compréhension de ces facteurs.
De plus, celui-ci est crucial pour assurer le suivi des progrès réalisés en vue de l’atteinte de l’objectif de développement durable 3 sur la santé, lequel indique que la réduction de la mortalité maternelle constitue sa première cible. En d’autres mots, un enregistrement complet et précis des décès, y compris les renseignements sur leur cause, est une expression des engagements nationaux existants car il aide à élaborer les politiques et les programmes ciblés qui visent à éliminer la mortalité maternelle.
Les données de l’Organisation mondiale de la santé indiquent que seulement environ la moitié de l’ensemble des décès sont enregistrés, ainsi que les renseignements sur leur cause. Par ailleurs, les données probantes laissent entendre que les décès des hommes sont plus susceptibles d’être enregistrés que le décès des femmes. Par exemple, Romesh Silva a constaté que, au Maroc, les décès des hommes sont deux fois plus susceptibles d’être signalés que les décès des femmes. Étant donné le type d’accès à une protection sociale qu’un certificat légal de décès peut fournir, la préférence pour l’enregistrement des décès des hommes est le reflet des inégalités entre les sexes enracinées. Puisque certaines femmes ne possèdent aucune propriété, aucune richesse, ni aucune terre à transférer à des personnes à charge survivantes, il pourrait n’y avoir aucun intérêt ni aucune utilité à enregistrer leur décès, ce qui constitue une injustice cruelle.
Le non-enregistrement des décès des femmes signifie que bon nombre de femmes et de filles disparaissent silencieusement; leur décès n’est pas recensé ni enregistré. Les autorités à l’échelle nationale formulent et mettent en oeuvre des politiques économiques, sociales et de santé sans prendre en considération les facteurs essentiels qui ont une incidence sur la santé et la vie des femmes et des filles.
Trois secteurs d’intervention essentiels peuvent aider à changer cette situation. Nous pouvons :
- présenter des arguments en faveur d’un enregistrement des décès qui est précis, complet et en temps opportun afin de respecter et de surveiller les engagements à l’égard de l’égalité des sexes;
- mener et diffuser des recherches qui examinent les facteurs sociaux, culturels, économiques et politiques qui expliquent les motifs pour lesquels les décès des femmes sont moins susceptibles d’être enregistrés; et
- accorder la priorité à l’enregistrement des décès dans le cadre des programmes d’amélioration de l’enregistrement de l’état civil et financer les efforts de mobilisation là où ce type d’enregistrement a tendance à être négligé.
Il reste beaucoup à faire pour protéger les droits, la dignité et la santé de l’ensemble des femmes et des filles. En termes simples, chaque décès est une histoire dont les circonstances - pour quelle raison, à quel moment et de quelle manière le décès est survenu - fournissent des indices essentiels qui aideront à empêcher des décès semblables. Ainsi, un enregistrement précis et en temps opportun des décès pourrait totalement changer la donne pour les plans nationaux de développement.
Le Centre d’excellence sur les systèmes d’enregistrement et de statistiques de l’état civil (ESEC) s’engage à appuyer les efforts visant à renforcer et à adopter à grande échelle les systèmes d’ESEC, y compris un enregistrement précis et complet des décès pour la protection, la santé et le bien-être des femmes et des filles.