Au-delà de l’accès : Donner la première place aux femmes en agriculture

La première fois que j’ai rencontré Memory c’était à Kasungu, dans la partie nord du Malawi. Memory, qui est la mère de six enfants, cultive une terre d’un acre avec son mari.
Tous les ans, ils plantent du maïs et des haricots, souvent à partir des semences qu’ils ont conservées de la saison précédente, et parfois de semences achetées sur le marché. L’année dernière, toutefois, ils ont eu de la chance. En effet, un programme de subventions gouvernemental leur ayant fourni des semences améliorées et de l’engrais, ils ont agrandi leur ferme, et la récolte a été bonne.
Lorsque j’ai demandé à Memory ce qui avait changé dans son existence et dans celle de sa famille, sa réponse n’a pas été aussi simple que je m’y attendais. Oui, la famille avait récolté davantage de maïs, plus que jamais auparavant. Mais cette récolte avait engendré des coûts additionnels. Sa charge de travail avait augmenté, autrement dit, elle a dû passer plus de temps à la ferme à effectuer des tâches que les hommes qualifient de travail pour les femmes, comme le désherbage et la récolte, et tout cela en plus de s’occuper de ses six enfants. Son mari avait vendu la majeure partie du maïs et des haricots, et ce, même si elle avait tenté de le convaincre d’en garder une partie pour se nourrir au cas où la saison prochaine ne serait pas aussi fructueuse. Ils se sont querellés, et pendant quelques semaines, elle était retournée vivre chez ses parents. Son mari affirmait qu’en sa qualité de chef du ménage, il avait le droit de prendre les décisions concernant la vente du maïs. Après tout, la terre lui appartenait à lui, et elle avait appartenu à son père avant lui.
Même si l’accessibilité aux intrants et aux technologies est importante pour les femmes, l’histoire de Memory montre qu’il est tout aussi important de s’attaquer aux normes culturelles et sociales dommageables qui empêchent les femmes de prendre des décisions susceptibles d’améliorer leur existence, comme le fait de posséder une propriété, de la terre et de gérer les finances.
L’avenir de notre continent en dépend. En Afrique subsaharienne, on estime que l’inégalité entre les sexes nous coûte 95 milliards de dollars US par année. Et cette situation n’est jamais aussi évidente que dans le secteur agricole qui emploie 63% des femmes actives sur le plan économique. Nous savons, par exemple, que si les femmes avaient accès aux mêmes ressources de production, comme les engrais, les machines et la documentation que les hommes, elles pourraient améliorer le rendement de leurs fermes de 20 à 30 pour 100.
Mais combler les écarts en ce qui concerne l’accès aux ressources n’entraîne pas automatiquement l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes. Des efforts explicites sont nécessaires pour s’assurer que la participation des femmes dans l’agriculture débouche sur des avantages pour les femmes. Ce n’est qu’à ce moment-là que les familles, les sociétés et les économies tout entières pourront en bénéficier.
Tout d’abord, nous devons nous attaquer à l’énorme fardeau du travail pour les femmes en milieu rural. Dans les pays en développement de l’Afrique et de l’Asie, les femmes consacrent habituellement entre 12 et 13 heures par semaine de plus que les hommes à l’exécution de travaux à la ferme et pour dispenser des soins. En Afrique subsaharienne, les femmes consacrent près de 40 milliards d’heures par année à l’approvisionnement en eau. En Tanzanie seulement, améliorer l’accès à l’eau pourrait libérer des heures de travail pour les femmes, et si on convertissait ces heures en travail rémunéré, cela reviendrait à 1 million de nouveaux emplois à temps plein pour les femmes. Des investissements dans de meilleures technologies agricoles pourraient aussi améliorer l’efficacité des tâches domestiques et permettre aux femmes de gagner du temps. Un projet financé par le CRDI au Kenya et en Ouganda a permis de mettre au point des produits à base de haricots précuits qui réduisent le temps de cuisson des haricots, une source de protéines courante, de 3 heures à 15 minutes; les femmes peuvent ainsi économiser du temps, de l’eau et du bois de chauffage. Il faut davantage d’investissements de ce genre qui réduisent le fardeau de travail pour les femmes en milieu rural.
Ensuite, nous devons nous pencher sur les normes fondées sur le sexe et les normes sociales qui déterminent encore quelle est la place de la femme pour ce qui est de la prise de décisions au sein du ménage et de la détention de biens. Au Kenya par exemple, malgré une constitution très progressiste qui garantit l’héritage des terres aux fils et aux filles, seulement un pour cent des titres fonciers est détenu par des femmes, tandis que cinq pour cent sont détenus par des femmes conjointement avec des hommes. Dans une bonne partie de l’Afrique subsaharienne, la société perçoit toujours que les femmes et les filles ne devraient pas posséder de terres. Des approches qui remettent en question ces normes et qui mettent les hommes à contribution sont mises à l’essai dans quelques endroits. Au Malawi et en Zambie, par exemple, un projet sur les pêches subventionné par le CRDI a fait appel au théâtre pour faire changer les perceptions eu égard aux rôles des femmes dans ce secteur. On a enregistré une hausse de 32 pour 100 au chapitre de la prise de décisions par les femmes concernant l’utilisation des revenus. Des projets comme ceux-là qui visent à comprendre ces normes sociales enracinées, et à s’y attaquer devraient être repris.
Enfin, nous devons investir dans les données et les données probantes sur ce qui contribue à l’autonomie des femmes en agriculture. En 2013, le programme Feed the Future de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) a établi le Women’s Empowerment in Agriculture Index (indice d’autonomisation des femmes en agriculture). À l’aide de cet indice, les personnes qui travaillent dans le domaine de l’agriculture et du développement peuvent suivre les incidences de leurs innovations sur l’autonomisation des femmes dans ce secteur. De telles données nous montrent ce qui fonctionne et ce qui devrait être mis en oeuvre à grande échelle.
Alors qu’en Afrique la communauté de l’agriculture s’apprête à converger vers le Forum de la révolution verte en Afrique le 1er septembre, j’espère que nous n’allons pas seulement discuter de ce que les femmes peuvent faire pour l’agriculture, mais aussi de ce que l’agriculture, et nous-mêmes au sein de cette communauté, pouvons faire pour nous assurer qu’elle rend service aux femmes, à leurs familles et aux économies.
La version originale anglaise de cette lettre éditoriale a été publiée dans News Ghana le 2 septembre 2017.
Jemimah Njuki gère un portefeuille de projets liés à l’agriculture, à la sécurité alimentaire et à l’autonomisation des femmes au CRDI.