Apprentissage organisationnel sur la sexospécificité : leçons et réflexions
[view:perspectives_authors_pics]
L’égalité des sexes est aussi importante aujourd’hui qu’elle l’était en 1995, lorsque l’Organisation des Nations Unies a adopté le Programme d’action de Beijing, un plan visant à faire progresser les droits des femmes. Depuis lors, des mouvements, des organisations et des gouvernements ont déployé des efforts pour favoriser l’égalité des sexes. Pour atteindre cet objectif ambitieux, il faut engager des réflexions, favoriser l’apprentissage et mettre en oeuvre un plan d’action stratégique de façon continue. Le présent article résume les réflexions lancées lors d’une conversation franche engagée entre des représentants d’une demi-douzaine d’organisations présentes à Nairobi qui cherchent à mieux intégrer la sexospécificité en milieu de travail et dans les programmes.
Pourquoi cherche-t-on à en savoir plus sur la sexospécificité ?
Il y a un fossé entre les engagements pris envers le monde extérieur et les opérations internes des organisations. Certaines personnes peuvent se soucier des femmes en milieu rural tout en négligeant les questions liées à la sexospécificité en milieu de travail. Cet écart met en évidence la nécessité de favoriser continuellement l’acquisition de connaissances essentielles en matière de sexospécificité, d’inclusion, de diversité et de participation. Il convient notamment d’examiner les croyances, les attitudes personnelles et les engagements pris par l’organisation en vue d’intégrer la sexospécificité à ses politiques, à ses pratiques et à ses objectifs stratégiques. Le processus exige la mise en oeuvre de changements personnels et organisationnels et, espérons-le, une harmonisation de la nature profonde avec l’image véhiculée dans le monde extérieur.
Les concepts de la sexospécificité ont évolué au fil du temps. Il faut donc développer une compréhension commune des divers concepts et cadres conceptuels liés à la sexospécificité. Les organisations parviennent à développer une compréhension commune grâce à la mise en place de structures transformatrices à tous les niveaux (au niveau des politiques, dans les équipes, au sein de la communauté et dans les ménages). Voici quelques exemples de structures transformatrices : encourager la promotion, par la direction, d’un engagement commun d’aborder les questions en tenant compte de la sexospécificité; et offrir un éventail de possibilités à tous les membres du personnel en vue de les aider à approfondir leur compréhension des concepts de la sexospécificité, et à les rendre opérationnels et significatifs dans le cadre de leurs activités quotidiennes.
Les apprentissages ne doivent pas seulement être théoriques. Le personnel doit analyser les inégalités entre les sexes et mettre en évidence les obstacles et les possibilités de changement au sein du milieu de travail et des programmes. Des consultants peuvent faciliter la mise en place de processus d’apprentissage par les pairs et d’apprentissage par la pratique, mais le personnel de l’organisation doit assumer la responsabilité ultime de tout apprentissage critique continu.
Pour favoriser le changement, il faut utiliser une combinaison d’approches
Les organisations adoptent différentes approches pour promouvoir l’égalité des sexes, y compris, par exemple, une approche axée sur les droits qui reconnaît que tous les êtres humains ont les mêmes droits, y compris les femmes. Des approches constitutionnelles et juridiques ont favorisé l’adoption de lois et de politiques progressistes. Au Kenya, par exemple, l’article 40 de la nouvelle Constitution kényane de 2010 reconnaît le droit à la propriété, et l’article 60 énonce le principe de l’accès équitable à la terre. Les relations de pouvoir patriarcales privent toutefois constamment les femmes de leurs droits au sein de la société et des familles. Les constitutions progressistes ne tiendront leurs promesses que lorsque les attitudes et les perceptions à l’égard de la sexospécificité changeront. C’est la raison pour laquelle plusieurs organisations se concentrent sur la déconstruction et la reconstruction des normes sociales et culturelles.
Certains organismes et programmes mettent l’accent sur l’autonomisation économique des femmes, grâce à un meilleur accès aux ressources de production et à un meilleur contrôle de ces dernières, ainsi qu’à une participation accrue au marché du travail. Les études sur la sexospécificité et la croissance économique révèlent constamment que, lorsque les femmes contrôlent davantage les ressources, les ménages en allouent davantage à la nutrition, à la santé et à l’éducation de leurs enfants. Ces résultats signifient que les femmes prennent part aux décisions qui sont prises en ce qui a trait à la façon dont leur revenu est investi. Ce pouvoir de négociation est néanmoins souvent limité par des normes selon lesquelles l’homme est le chef de famille et le décideur clé.
Toutes ces approches qui favorisent l’égalité entre les sexes ont des forces et des faiblesses. Ensemble, elles forment des spirales complémentaires qui permettent de composer une mosaïque formée de lois, de politiques, de pratiques, d’attitudes et de processus d’autonomisation économique.
Même lorsqu’elles se concentrent sur la sexospécificité, les organisations doivent éviter d’adopter une perspective uniquement axée sur la sexospécificité et s’efforcer d’analyser la situation dans son ensemble, de trouver des alliés, et de mettre en évidence les tendances. Aucune organisation ne peut à elle seule transformer toutes les structures qui sont à l’origine des discriminations fondées sur le sexe, l’identité sexuelle, ou d’autres types d’identités. Des organisations travaillant en partenariat pourraient commencer à s’attaquer aux fondements de l’inégalité entre les sexes. Pour y arriver, elles devraient prendre en compte les préoccupations locales, ainsi que celles des mouvements sociaux.
L’égalité des sexes : passer de la parole aux actes
Le discours sur la sexospécificité a évolué depuis l’introduction de ce concept il y a presque quarante ans. Il est important d’évaluer les changements qui se sont produits et de tirer des leçons de ce qui a changé ou de ce qui n’a pas changé, et de ce qui a fonctionné ou de ce qui n’a pas fonctionné. Les organisations ont besoin de méthodes et d’outils pour documenter les changements qui sont observés progressivement ou à long terme. Elles doivent aussi mettre en évidence les conséquences négatives involontaires de leurs actions. Pour observer les changements, il faut avoir accès à des données regroupées par sexe, mais aussi à des données ventilées en fonction de l’âge, du revenu, de la situation géographique, de l’invalidité, etc. Les approches qualitatives et les récits sont aussi importants que les données parce que ces éléments peuvent révéler des changements nuancés dans les relations de genre et de pouvoir, et permettre d’entamer des discussions connexes.
Même lorsque des changements se produisent, le milieu peut nous priver de certains gains. Il faut donc continuer à réaliser des travaux pour mieux comprendre les changements non linéaires complexes qui se produisent, et soutenir les changements observés. Transformer les relations de pouvoir patriarcales et les stéréotypes et les pratiques sexospécifiques représente un véritable défi. Pour que les organisations puissent faire avancer les choses en matière de sexospécificité, elles ont besoin d’encourager l’apprentissage constant, l’adoption d’approches intersectorielles et complémentaires, l’établissement de partenariats, et de trouver des façons de mieux comprendre, mesurer et faire connaître les changements observés.
Le présent article fait suite aux discussions tenues durant une causerie-midi organisée par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) à Nairobi, le 4 juillet 2018. Y ont contribué Dominique Charron du CRDI, Ademola Olajide du Fonds des Nations Unies pour la population, Cleopatra Mugyenyi de l’International Center for Research on Women, Maureen Miruka de CARE États-Unis, Wanjiku Kabira de l’African Women’s Studies Centre de l’Université de Nairobi, Tamer Mansy d’Affaires mondiales Canada, Hendrina Doroba du Forum des éducatrices africaines, Patricia Kameri Mbote de l’Université de Nairobi et Viola Chemis de Heifer International.
Gender equality is of as much concern today as it was in 1995, when the United Nations adopted the Beijing Platform for Action, a blueprint for advancing women’s rights. Since then, through movements, organizations, and governments, people have been striving for gender equality. Reaching this elusive goal requires ongoing reflection, learning, and strategic action. This article synthesizes reflections from a candid conversation among representatives of a half-dozen organizations with presence in Nairobi who are seeking to better integrate gender in the workplace and in programming.
Why learn more about gender?
Disconnects exist between commitments to the outside world and the internal operations of organizations. People may be concerned about helping rural women while neglecting gender concerns in the workplace. This underscores the need, for all staff, for continual and critical learning on gender, inclusion, diversity, and participation. This includes the examination of personal beliefs and attitudes and of organizational commitments to integrate gender in internal policies, practices, and strategic goals. The process involves personal and organizational change and, hopefully, an alignment of inner selves and outer faces.
Gender concepts have evolved over time, and there is a need for shared understandings of various gender concepts and frameworks. Organizations achieve shared understandings through transformative structures at all levels – at the policy level, within teams, in the community and in the household. Examples of transformative structures include promotion by management of a shared commitment to address issues from gender perspectives, and opportunities for all staff to deepen their understanding of gender concepts and operationalize them meaningfully in their daily work.
Learning should be more than theoretical. Staff need to analyze gender inequalities, recognize barriers, and identify opportunities for change – both in the workplace and in programming. Consultants may help facilitate processes of peer learning, learning from practice, and learning by doing, but the primary responsibility for ongoing critical learning remains with the staff of the organization.
Enabling change requires a combination of approaches
Organizations use different approaches to promote gender equality, including, for example, a rights-based approach, which recognizes equal rights for all human beings, including women. Constitutional and legal approaches have led to progressive laws and policies. In Kenya, for example, Article 40 of the 2010 Constitution addresses the right to own property and Article 60 addresses the principle of equitable access to land. Nonetheless, patriarchal power relations consistently disenfranchise women at societal and family levels. Progressive constitutions will only deliver their promises when attitudes and perceptions about gender shift. For this reason, many organizations focus on deconstructing and reconstructing social and cultural norms.
Some organizations and programs focus on enhancing women’s economic empowerment through better access to and control of productive resources, and participation in the labour market. Studies on gender and economic growth consistently show that, when women’s control over resources increases, households allocate more resources to children’s nutrition, health, and education. This means women participate in making decisions about how their income is invested. Such negotiating power, however, is often stifled by norms that recognize the man as head of household and key decision maker.
Each approach of working toward gender equality has strengths and shortcomings, and together they are complementary spinning spirals creating a mosaic – spirals of laws, policies, practices, attitudes, and economic empowerment.
Even while focusing on gender, people in organizations must step out of the gender bubble to apprehend the bigger picture, identify allies, and discern trends. No single organization can transform all structures that discriminate based on sex, sexual identity, or other identities. Organizations working in partnership may begin to chip away at the stone of gender inequality. In so doing, they need to be attuned to local voices and social movements.
Walking the gender equality talk
Discourse on gender has evolved since the introduction of the concept almost forty years ago. It is important to assess the change that has transpired and to learn from what has changed and what has not, from what has worked and what has not. Organizations need methods and tools to document incremental and long-term change. They also need to identify unintended negative consequences of their actions. Discerning change requires sex-disaggregated data, but also data disaggregated according to age, income, geographic location, disability status and more. Qualitative approaches and storytelling are as important as data, because they can reveal, and promote discussion about, nuanced changes in gender and power relations.
Even as change happens, the milieu can stifle gains. This warrants further work on understanding complex non-linear change and sustaining change. Transforming patriarchal power relations and gender stereotypes and gendered practices is a veritable challenge. For organizations to move the needle on gender, they need constant learning, intersecting and complementary approaches, partnerships, and ways to understand, measure and communicate about change.
This article is based on discussions articulated during a lunch conversation hosted by IDRC in Nairobi on July 4, 2018. It includes contributions from Dominique Charron of IDRC, Ademola Olajide of the United Nations Population Fund, Cleopatra Mugyenyi of the International Center for Research on Women, Maureen Miruka of CARE USA, Wanjiku Kabira of the African Women Studies Centre at the University of Nairobi, Tamer Mansy of Global Affairs Canada, Hendrina Doroba of the Forum for African Women Educationists, Patricia Kameri Mbote of the University of Nairobi, and Viola Chemis of Heifer International.