Par : Matt Gergyek
Si vous aviez arpenté les rues de Freetown, en septembre 2014, la ville n’aurait ressemblé en rien à ce qu’elle est aujourd’hui. Pendant trois jours ce mois-là, les rues étaient désertes de manière inquiétante en raison de l’état d’urgence nationale. Il s’agissait là d’une tentative désespérée de lutter contre la propagation du virus Ebola, qui faisait des ravages partout en Sierra Leone. Les marchands ambulants pleins de vie et les marchés en plein air avaient été remplacés par des sacs mortuaires et des ambulances en attente, ne laissant qu’une montagne squelettique derrière la ville colorée.
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le virus Ebola, une maladie extrêmement contagieuse, tue environ la moitié des personnes qu’il infecte. Lorsque, en janvier 2016, l’OMS a annoncé la fin officielle de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest – la plus meurtrière jamais enregistrée – près de 4 000 personnes en étaient mortes en Sierra Leone seulement. Les pays voisins du Libéria et de la Guinée ont également été gravement touchés par l’épidémie, plus de 11 000 personnes en étant décédées.
Mais le portrait était totalement différent en République démocratique du Congo (RDC). Même si le virus Ebola était présent pendant la même période, seulement 66 cas d’Ebola, qui ont conduit à 49 décès, ont été rapportés au cours de l’épidémie. Comment expliquer que la situation fût si différente en RDC, et qu’autant de vies aient été épargnées ? Plusieurs personnes se sont tournées vers Gary Kobinger et son équipe pour avoir la réponse.
« En trois mois, la RDC a enrayé l’épidémie, et elle l’a fait avec ses propres ressources, a déclaré M. Kobinger à un événement organisé par le CRDI en 2016 portant sur la réponse mondiale à l’épidémie d’Ebola. « C’est le renforcement des capacités qui a, en fin de compte, joué un rôle décisif dans cet exploit, a déclaré le scientifique canadien, qui est spécialisé en maladies infectieuses et en microbiologie ».
Quand M. Kobinger parle de « renforcement de la capacité », il fait référence en partie aux boîtes à outils qui ont été élaborées en collaboration avec la collectivité mondiale des experts en santé publique pour contrôler les épidémies virales dans plusieurs pays. En RDC, par exemple, où il y a eu des éclosions sporadiques d’Ebola depuis que le virus a été découvert dans les années 1970, les dirigeants de la santé publique et les praticiens de la médecine sont formés pour repérer, isoler et traiter rapidement les personnes qui ont reçu un diagnostic d’Ebola, tout en restant toujours en contact avec le reste du monde.
« Les agents des communications du pays veillent à abaisser le niveau d’anxiété pour s’assurer que le message de la santé publique passe. C’est l’un des outils les plus efficaces pour contrôler une éclosion », a affirmé M. Kobinger. Il a aussi fait remarquer que la RDC utilise des techniques de surveillance de pointe, comme l’échantillonnage d’ambiance et les tests sur les animaux (p. ex. les porcs) pour détecter le virus.
M. Kobinger et l’équipe qu’il a dirigée au Laboratoire national de microbiologie du Canada, à Winnipeg, sont devenus des héros et des grandes vedettes dans les médias pour leur rôle intégral dans l’élaboration d’un vaccin expérimental contre l’Ebola – qui a été en partie financé par le CRDI –, lequel s’est révélé être extraordinairement efficace.
Le vaccin VSV-EBOV a fait l’objet d’importants essais cliniques en Guinée en 2015; près de 6 000 participants exposés au risque d’Ebola ont été vaccinés. Après 10 jours, aucun nouveau cas du virus n’était apparu, contrairement au groupe témoin, dont les membres ont reçu une dose reportée du vaccin et dans lequel 20 nouveaux cas d’Ebola ont été enregistrés. Leur étude, publiée dans The Lancet en 2016, a conclu que le vaccin offrait une protection immunitaire élevée et était très efficace pour prévenir l’Ebola.
L’essai a été réalisé selon la technique de la vaccination en anneau, une stratégie déjà utilisée pour lutter contre la variole. La première étape de cette approche, dans laquelle on ne vaccine que les individus les plus susceptibles d’être infectés, consiste à identifier une personne infectée par le virus ciblé. On vaccine alors les personnes en contact avec la personne infectée, c’est-à-dire l’« anneau » constitué par la famille, les amis et les voisins, puis les personnes en contact avec les membres de cet anneau, et ainsi de suite.
Le vaccin rVSV-ZEBOV a été de nouveau mis à l’essai lorsqu’une autre éclosion du virus Ebola a été annoncée en République démocratique du Congo en mai 2018. Jusqu’à 10 000 personnes devraient recevoir le vaccin durant la première phase de la campagne de vaccination.
M. Kobinger et son équipe ont également développé un traitement expérimental appelé ZMapp contre la maladie à virus Ebola. Ce traitement améliore la réponse immunitaire du patient et empêche le virus de se multiplier. Bien que ce cocktail d’anticorps en soit encore au stade expérimental aujourd’hui, il a dû être utilisé dans un contexte dramatique lors du pic de l’épidémie en Afrique de l’Ouest. Il a également été utilisé en dernier recours au Libéria en 2014, « à titre humanitaire », pour tenter de sauver la vie de 25 premiers intervenants et résidents et de 2 médecins missionnaires.
M. Kobinger rend volontiers hommage aux nombreux acteurs de la communauté mondiale de la santé qui ont contribué à développer et à mettre en oeuvre le vaccin rVSV-ZEBOV et le ZMapp. Ces acteurs sont notamment les équipes de recherche, les agents sur le terrain, l’Agence de la santé publique du Canada, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies et l’OMS.
En mai 2018, M. Kobinger et sa collègue, Xiangguo Qiu, ont reçu le Prix du Gouverneur général pour l’innovation pour leur utilisation de technologies de pointe dans la création du ZMapp. Ce traitement sert de modèle pour les études sur l’efficacité d’autres thérapies par anticorps monoclonaux qui visent à lutter contre des pathogènes infectieux comme le VIH, le virus Lassa et le virus Marburg.
Bien que M. Kobinger reconnaisse que les vaccins et les méthodes de traitement de pointe jouent un rôle essentiel dans la réduction de la propagation des épidémies virales mortelles, la préparation et la coopération constituent la meilleure ligne de défense de la collectivité mondiale, comme l’a démontré la gestion de l’éclosion en RDC. « C’est pourquoi il vaut la peine de créer des systèmes de santé partout ailleurs », a-t-il affirmé.
Bien que les maladies infectieuses soient la deuxième cause de décès en importance dans le monde (tout juste derrière les maladies cardiovasculaires), M. Kobinger a affirmé que leur importance est souvent sous-estimée. « En réalité, elles sont deux fois plus importantes que tous les cancers réunis en ce qui concerne la pression qu’elles exercent sur la société humaine », a-t-il mentionné. « Dans l’esprit de bien des gens, les maladies infectieuses sont chose du passé en raison des antibiotiques, mais ceux-ci ne sont pas efficaces contre les virus – et les virus ne s’arrêtent pas aux frontières », a-t-il dit.
M. Kobinger, qui dirige maintenant le Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval, à Québec, affirme que le problème des maladies infectieuses a pris de l’ampleur au cours des 30 dernières années. Il espère toutefois que l’éclosion d’Ebola en Afrique occidentale permettra d’éviter qu’une épidémie similaire se reproduise. « Au bout du compte, a-t-il affirmé, ce que font les autorités en santé publique en Afrique nous touche tous, tout comme ce que font les autorités en santé publique de partout dans le monde. Nous sommes une collectivité mondiale. Quand nous allons ailleurs pour intervenir, c’est non seulement pour aider les autres, mais aussi pour aider la collectivité mondiale dont nous faisons tous partie. »
Visionner la présentation faite par M. Kobinger en 2016 au CRDI et intitulée « Ebola, capacity building, and collaboration in Africa ».