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C’est un matin radieux au marché de Kyaliwajjala, dans la banlieue de Kampala, la capitale de l’Ouganda. Dorothy Nakimbugwe, co-chercheure principale du projet appelé « NutriFish », présente aux vendeurs de kiosques alimentaires une nouvelle sauce à base d’un petit poisson pélagique appelé « mukene », ou poisson argenté. 

L’Ouganda compte trois principales espèces de petits poissons pélagiques : Ratrineobola argentea (mukene), Brycinus nurse (ragoogi) et Engraulicypris bredoi (muziri). Ils contiennent tous des micronutriments importants, notamment du fer, du zinc et du calcium, ainsi que des vitamines telles que les vitamines A et D qui sont essentielles à la santé humaine. Dorothy Nakimbugwe fait la promotion de la nouvelle sauce en poudre à base de poisson argenté de son équipe pour accompagner le chapati (un pain plat à base de blé). Elle donne des instructions sur la façon de cuisiner la sauce et, en quelques minutes, la foule se précipite pour goûter cette recette unique pour la première fois. « Pas d’odeur de poisson du tout et le goût est bon! » crie un participant de la foule. « La sauce enrichie en poisson se cuisine en 10 minutes. C’est très important, car en Afrique de l’Est, nous consommons beaucoup de haricots, jusqu’à 60 kg par personne et par habitant, mais leur cuisson est très longue, ce qui demande beaucoup de temps et de combustible. Cette sauce est donc très importante, car, en plus d’être nutritive, elle est également pratique et savoureuse », s’enthousiasme Dorothy Nakimbugwe.   

Un vendeur de chapatis au marché de Kyaliwajjala distribue la sauce à base de mukene aux participants de la foule.
Pius Sawa
Un vendeur de chapatis au marché de Kyaliwajjala distribue la sauce à base de mukene aux participants de la foule.

Tirer le meilleur parti possible des poissons   

En 2019, le projet NutriFish a débuté grâce au financement du CRDI et de l’Australian Centre for International Agricultural Research, au moyen de leur programme conjoint, Cultiver l’avenir de l’Afrique (CultiAF). Le partenariat implique le Département de zoologie, d’entomologie et des sciences de la pêche du Collège des sciences naturelles de l’Université Makerere à Kampala, la National Fisheries Resources Research Institute (NaFIRRI), Nutreal Uganda Limited et l’Université McGill au Canada. L’objectif était de découvrir des moyens de réduire les pertes après la récolte du mukene, ainsi que d’accroître la qualité, la sécurité et l’accessibilité des produits. Un autre objectif clé était d’améliorer la distribution de ce petit poisson pélagique important sur le plan nutritionnel aux groupes vulnérables qui ne peuvent pas se permettre d’acheter du poisson commercial coûteux, mais qui ont un besoin crucial de régimes nutritifs de haute qualité. 

Les produits à base de poisson ont été présentés à plus de 300 vendeurs d’aliments en bordure de route et 60 propriétaires de magasins de différents marchés animés voisins de Kampala. « Nous avons une farine de maïs enrichie de poisson et de grains d’amarante qui peut être utilisée comme bouillie ou pour des repas comme le posho ou l’ugali », a expliqué Dorothy Nakimbugwe. Un assaisonnement enrichi de poisson argenté, exempt de tout conservateur, a déjà été certifié par le National Bureau of Standards de l’Ouganda. « Nous avons également un aliment pour bébé qui contient du millet, un peu de maïs et d’amarante, et du poisson », a-t-elle ajouté. « La nourriture pour bébé se prépare en moins d’une minute, avec de l’eau chaude. » Elle est conditionnée en sachets de 50 g pour des raisons d’hygiène et d’accessibilité, un sachet coûtant 1 000 shillings ougandais (environ 35 cents canadiens). L’équipe a également mis au point un en-cas appelé « baghia » (bâtonnets croustillants en forme de spaghetti, fabriqués à partir de farine de gramme et de blé) enrichi en poisson. 

Ces petits poissons nutritifs ont été transformés en produits tels que de la farine, des assaisonnements et une collation en forme de spaghetti.
Pius Sawa
Ces petits poissons nutritifs ont été transformés en produits tels que de la farine, des assaisonnements et une collation en forme de spaghetti.

Faire passer le message   

Une campagne à la radio visant à promouvoir la valorisation et la consommation de petits poissons a été organisée sur quatre stations de radio afin de diffuser 29 brefs communiqués radio – des publicités courtes par opposition à des reportages plus longs – de septembre 2021 à mars 2022. Les messages, diffusés dans les langues locales, touchent une population de plus de 12 millions de personnes dans les communautés situées autour du lac Albert, du lac Nabugabo et du lac Victoria.   

Emily Arayo, administratrice de communications pour le développement à la National Agricultural Research Organization, a indiqué que de nombreuses personnes ont commencé à manger le petit poisson en raison de la campagne à la radio. « Lorsque les gens ont commencé à souffrir de la pénurie alimentaire causée par les confinements en raison de la COVID-19, ils ont réalisé que le poisson est essentiel pour renforcer l’immunité, et les petits poissons sont disponibles », a-t-elle expliqué.   

Anthony Otunga, un responsable de la pêche du gouvernement local du district d’Amolatar et un chercheur principal du projet NutriFish, a visité les stations de radio partenaires du projet et les réunions communautaires afin de diffuser les messages du projet aux acteurs de la chaîne de valeur du poisson. « Nous avons lancé des initiatives en vue d’organiser les producteurs de poisson d’argent en groupes afin qu’ils puissent être soutenus pour améliorer la qualité. Déjà, deux groupes d’entreprises ont été créés dans les villages de pêcheurs de Bangaladesh et de Kayogo, avec plus de 70 bateaux réunis et une production mensuelle moyenne de 3,7 tonnes », a indiqué Anthony Otunga. Il a expliqué que la pêche en groupe a contribué à garantir le maintien du degré de qualité requis et la cohérence de l’approvisionnement.    

Les champions du projet NutriFish formés obtiennent également des résultats positifs dans la promotion de la consommation de ce petit poisson pélagique. Mary Betty Tembe, du site de débarquement de poissons de Ntoroko, qui possède son propre bateau et vend ses prises aux négociants en poissons, a commencé à vendre des petits poissons frits à ses clients. « Je vends maintenant du mukene frit à mes clients presque tous les jours. Je gagne entre 10 000 et 20 000 shillings [3-6 USD] rien qu’avec le mukene frit », dit-elle. Au total, Mary Betty Tembe gagne environ 20 000 à 40 000 shillings ougandais (6-12 USD) par jour grâce à ses diverses activités de commerce du poisson.    

Des poissons pour l’avenir   

À l’avenir, le projet prévoit d’impliquer les écoles, les hôpitaux et les camps de réfugiés afin d’améliorer la compréhension et la consommation des petits poissons et des sous-produits de la perche du Nil comme d’autres options de sources bon marché de protéines et de micronutriments.   

Le projet veut également se concentrer sur les options de commerce électronique pour les acteurs de la chaîne de valeur des petits poissons afin de les aider à surmonter les défis relatifs aux pandémies imprévues, comme celle de la COVID-19. Jackson Efitre, cochercheur principal du projet NutriFish, a mentionné que la pandémie actuelle a en fait aidé à ouvrir l’esprit des chercheurs du projet lorsque les produits à base de poisson ne parvenaient pas à atteindre les consommateurs. « Je suis heureux d’annoncer que l’un des membres de l’équipe du projet NutriFish a reçu une subvention indépendante afin de développer une plateforme de commercialisation électronique du poisson dans le but de relever le défi du commerce électronique, et très bientôt la plateforme sera lancée », a souligné Jackson Efitre. 

Image en haut : Pius Sawa