Quand les femmes d’Iringa parlent de santé maternelle, la population écoute. Leurs messages visant à améliorer l’accès des femmes aux soins prénataux et leur utilisation de ces services sont particulièrement efficaces, car les femmes elles-mêmes ont cerné les défis urgents auxquels elles font face. Avec le soutien de la collectivité, elles ont également conçu des stratégies pour les surmonter.
Ce succès est le résultat d’un projet novateur de recherche sur la mise en oeuvre mené dans les districts de Kilolo et de Mufindi par l’Université de Dar es-Salaam, en Tanzanie, et la Fondation HealthBridge du Canada, en collaboration avec le département de la santé du conseil municipal d’Iringa. Le financement a été fourni par l’initiative Innovation pour la santé des mères et des enfants d’Afrique (ISMEA).
Pourquoi les femmes n’ont-elles pas recours à des soins prénataux ?
L’amélioration de la santé maternelle et infantile en Tanzanie constitue une urgence. Le pays a signalé 8 200 décès maternels annuels dus à des complications de la grossesse ou de l’accouchement en 2015, et 45 691 décès annuels de nourrissons dans les 28 jours suivant la naissance en 2017. Selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la Santé et de l’UNICEF, ces chiffres placent la Tanzanie parmi les 10 pays ayant les taux les plus élevés.
La Tanzanie s’efforce de réduire ces indicateurs préoccupants de santé maternelle et infantile par des politiques nationales, des réformes du secteur de la santé et des plans et programmes ciblés. Mais comme l’équipe de recherche l’a constaté, les améliorations ne répondent pas toujours aux réalités locales. À Iringa, l’un des besoins les plus urgents est de trouver les moyens d’accroître le recours aux services de soins prénataux. Les directives du ministère tanzanien de la Santé recommandent au moins quatre visites dans un établissement de santé pour les grossesses non compliquées, en commençant par une consultation pendant les 12 premières semaines de gestation. Or, selon le Bureau du Commissaire régional d’Iringa, seulement 27 % des femmes à Kilolo et 17 % à Mufindi fréquentent un centre de santé avant leur quatrième mois de grossesse.
Pourquoi les femmes attendent-elles si longtemps ? Pour trouver une réponse, les chercheurs ont organisé des groupes de discussion et interrogé des femmes, des hommes, des prestataires de soins de santé locaux et des responsables dans 20 villages de chaque district. Ils ont constaté qu’outre le manque de moyens de transport pour se rendre dans des établissements de santé éloignés, l’importance des soins prénataux est mal comprise.
Les rôles traditionnels des hommes et des femmes limitent également la capacité des femmes à décider si et quand elles doivent se faire soigner. De même, les rôles sexospécifiques traditionnels découragent les hommes d’accompagner leur partenaire, malgré la politique gouvernementale, qui exige que les femmes enceintes amènent leur conjoint à leur première consultation. Un mauvais accueil de la part des travailleurs de la santé peut décourager les hommes qui s’y rendent de revenir.
La peur d’être stigmatisée en raison du court espacement entre les naissances maintient également les femmes à la maison. Une femme a déclaré : « On hésite toujours à consulter un service de soins prénataux lorsqu’on sait – et les infirmières le savent à coup sûr – que vous avez laissé un enfant de six mois à la maison ».
Cet environnement défavorable, combiné aux longs délais d’attente dans les établissements de santé, dissuade les femmes enceintes de recourir à des soins précoces.
Stratégies locales pour améliorer la santé maternelle et infantile
Le projet étudie comment des solutions adaptées aux réalités locales pourraient aider à surmonter ces obstacles. Comme point d’entrée, l’équipe de recherche a mis sur pied des groupes d’apprentissage et d’action participatifs pour les femmes dans les 20 villages afin de cerner et de prioriser les problèmes liés à leur mauvaise santé maternelle et infantile, puis de définir des stratégies pour les résoudre.
Les groupes ont cerné quatre principaux sujets de préoccupation : les accouchements à domicile; la faible participation des hommes aux soins prénataux; le recours tardif ou l’absence de recours aux services de soins prénataux; et l’espacement insuffisant des naissances. Les groupes ont suggéré de nombreuses stratégies pour traiter ces questions, notamment :
- l’utilisation de groupes de femmes et de championnes pour éduquer d’autres femmes sur la meilleure façon de partager l’information avec leurs partenaires pendant la grossesse et l’accouchement;
- s’associer aux agents de santé communautaires pour sensibiliser la collectivité à l’importance des soins prénataux précoces et pour rendre visite aux femmes enceintes afin de les encourager à accoucher dans l’établissement de santé;
- trouver des champions masculins dans chaque village pour transmettre des messages de santé clés aux hommes là où ils se rassemblent (bars, matchs de football et autres activités sociales);
- améliorer la capacité des comités directeurs des établissements de santé actuels à éduquer les prestataires de soins de santé sur leurs rôles et les moyens de mieux s’engager auprès des communautés et des agents de santé des villages.
Améliorer les soins
Les problèmes du système de santé – langage et comportement irrespectueux de la part des fournisseurs de soins de santé, retards dans la prestation de soins appropriés, manque d’installations et d’équipement et pénurie de médicaments et de fournitures – exigent un type d’intervention différent.
La recherche a montré que les comités directeurs des établissements de santé avaient des difficultés à planifier et à mettre en oeuvre les services, ce qui a conduit à négliger les plus pauvres et les plus vulnérables. En mai 2018, l’équipe de recherche a formé les membres des comités des 12 dispensaires de la zone du projet. Tous ont été choqués par les mauvais indicateurs de santé maternelle et infantile et la faible participation aux soins prénataux. Ils se sont engagés à collaborer avec les groupes de femmes et ont promis de travailler en étroite collaboration avec la collectivité et les établissements de santé pour surmonter les normes sexospécifiques qui constituent des obstacles à la santé maternelle et infantile, notamment en donnant l’exemple en accompagnant leurs propres épouses aux cliniques. « En tant que responsables sanitaires de district, nous allons prendre des mesures sur un certain nombre de questions suggérées par les groupes de femmes », a déclaré un membre du comité.
Le pouvoir de la recherche-action
Les messages clés étant prêts, les femmes, les hommes champions et les dirigeants communautaires ont commencé à mettre en oeuvre les stratégies choisies dans leurs villages respectifs. L’équipe du projet est en train de documenter le déroulement du projet. Elle a déjà présenté certains de ses travaux à des parties prenantes locales et nationales, notamment le ministère de la Santé, et publié les résultats dans des revues à comité de lecture sur des sujets tels que la participation des hommes pour briser les obstacles à la santé maternelle et infantile. « Ce type de recherche est très important, car il apporte déjà un changement », a déclaré un conseiller municipal.
L’équipe de recherche souligne que ce projet est l’un des rares en Tanzanie à utiliser une approche de recherche-action pour impliquer les collectivités dans les changements qu’elles souhaitent voir dans le secteur de la santé. Comme l’a fait remarquer un participant, « cette approche nous a permis de diagnostiquer nos problèmes et de concevoir des stratégies pour les résoudre. Il s’agit d’une façon très novatrice de faire participer les collectivités.»
Les membres de la collectivité et les décideurs impliqués ont été en mesure de concevoir des stratégies culturellement acceptables qui ont de bonnes chances de rester en place après la fin du projet en 2020.
En savoir plus au sujet du projet
Lire l’article de HealthBridge Breaking Barriers to Maternal Health in Tanzania
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