Cultiver la confiance
La chercheuse a constaté dans son étude que la mésinformation prend racine quand les interventions en santé publique ne tiennent pas compte du contexte local. « Si vous envoyez des travailleurs de la santé dans une communauté éloignée, personne ne les connaît, les gens ne leur font pas confiance. »
C’est pire dans les zones affectées par des conflits. Les gens tiennent le gouvernement pour responsable de leurs problèmes. Comment lui faire confiance quand il recommande le masque ou les vaccins ?
La clé, selon elle ? Créer des ponts avec les communautés, en commençant notamment par les leaders locaux : chefs de village, autorités religieuses, etc. « L’an dernier, nous avons organisé au Cameroun une séance de témoignages dans une communauté autochtone éloignée : 400 personnes sont venues. Les personnes les plus éduquées traduisaient dans la langue locale. » Un succès ! La chercheuse entame d’ailleurs un doctorat pour voir comment ce genre d’initiatives peut combattre l’hésitation vaccinale.
Le prix de la démocratie ?
Plusieurs pays africains ont adopté des lois « anti-fausses nouvelles ». Or, elles servent trop souvent à museler les médias ou à criminaliser les discours critiques du gouvernement, déplore Herman Wasserman. « Le risque d’abus est bien présent, car la liberté d’expression et le débat démocratique sont encore fragiles ici. »
Les gouvernements recourent trop souvent au blocage d’Internet. Ce fut le cas au Bénin le 28 avril 2019, jour des élections législatives. Et durant la guerre civile au Tigré, en Éthiopie, 5 millions de personnes ont été privées de télécommunications… pendant deux ans !
On gagnera donc à agir à plusieurs niveaux pour contrer le désordre de l’information : « En vérifiant les faits, oui, mais aussi en soutenant l’éducation aux médias et le journalisme d’enquête », juge Herman Wasserman. Il faut que l’information de qualité ait les conditions pour s’épanouir.
« Il ne faut pas voir tout en noir, nuance Scott Timcke. Je ne crois pas que toute désinformation soit nécessairement une menace à la démocratie. » Ça fait en quelque sorte partie de la liberté d’expression : les gens ont le droit d’avoir tort ! « Mais s’il y en a trop, c’est signe que les démocraties n’ont pas rempli leur mandat aussi bien qu’elles le devraient. »
Pour remédier au problème, il vaut donc mieux travailler à promouvoir la démocratie. « Au lieu de s’échiner à vouloir rendre les réseaux sociaux plus responsables, on devrait renforcer les institutions, enseigner pourquoi la démocratie est importante, ce que sont les droits civiques, à quoi servent les élections… »
Herman Wasserman, qui poursuit ses recherches sur le sujet, constate que « les inégalités économiques et raciales, exacerbées dans les pays du Sud, constituent un terreau fertile à la désinformation : les thèmes et les messages qui reviennent constamment sont liés aux enjeux sociaux locaux ». En ce sens, la perspective offerte par les pays du Sud pourrait inspirer les démocraties occidentales dans leur lutte contre leurs propres désordres de l’information.