Sur un flanc de colline boueux du centre de l’Ouganda, Mariam Nakacho regarde attentivement le contenu d’un seau d’eau trouble qui se trouve à ses pieds. Quelques fins sédiments jaunes se sont déposés sur le bord de ce seau. Elle sait d’expérience qu’ils contiennent de l’or. Son or, qui plus est. Lorsque nous l’avons rencontrée en mars 2017, Mme Nakacho était l’une des rares femmes sur le site de cette mine artisanale à avoir réussi à sortir du rôle généralement assigné à la gent féminine, pour devenir copropriétaire d’un puits de mine.
« Ici, les femmes font face à de nombreux défis », explique-t-elle, tandis qu’une équipe de jeunes hommes remontent des seaux remplis de pierres et de sable du puits qui se trouve derrière elle. « Nous vivons constamment dans la peur, mais nous n’avons d’autre choix que de composer avec la situation. Nous restons parce que nous avons besoin de l’argent que nous gagnons. »
Au fond de la vallée en contrebas s’étend un ensemble de structures délabrées faites de tôles de fer et de bâches, abritant les milliers de personnes qui ont migré dans la région ces dernières années dans l’espoir de faire fortune.
Cet espoir s’est évanoui pour de nombreux mineurs artisanaux de tout le pays en août 2017, lorsque le gouvernement de l’Ouganda a ordonné l’expulsion de milliers d’entre eux ainsi que des résidents des colonies minières. Cet épisode illustre une fois de plus la complexité et les difficultés auxquelles ces populations font face.
Réussir dans une industrie à prédominance masculine
Le paysage entourant le village de Mme Nakacho est criblé de cratères et défiguré par des centaines de bassins boueux, des mines à ciel ouvert et des machines rongées par la rouille.
C’est là que Mme Nakacho a commencé, il y a trois ans. Elle passait alors de longues journées sous un soleil de plomb, immergée jusqu’à la taille dans de l’eau boueuse, à tamiser de grandes quantités de sable appartenant à d’autres. Lorsqu’elle trouvait de l’or, elle le remettait à son client en échange d’une rémunération fixe pour chaque sac de minerai qu’elle traitait.
Le travail était dur, tout comme les conditions de vie. « Il n’y avait ni toilettes, ni soins de santé, ni services. L’assainissement posait grandement problème. De plus, nous craignions constamment les viols et les vols », explique Mme Nakacho, qui n’ose pas gravir seule la colline après la tombée de la nuit pour se rendre à son puits de mine. « J’ai des amis qui ont vécu ce genre de choses. »
L’exploitation minière à petite échelle ou artisanale est communément considérée comme une industrie à prédominance masculine et peu de recherches ont été faites sur les rôles des femmes dans ce secteur. En réalité, un grand nombre de femmes sont présentes sur la plupart des sites miniers. Sur ce site en particulier, les femmes participaient à tout un éventail d’activités. Elles creusaient pour trouver de l’or dans les mines à ciel ouvert, utilisaient les broyeurs à boulets pour transformer la roche en poudre, cherchaient de la poussière d’or à la batée dans les bassins, et étaient propriétaires de boutiques, de restaurants et d’autres entreprises. L’intérieur des puits de mine était le seul endroit où les femmes n’étaient pas présentes; en effet, selon une coutume non écrite, il s’agit d’un domaine exclusivement réservé aux hommes.
Prendre en compte les travailleuses minières lors de la prise de décisions en lien avec les politiques
Une étude menée actuellement dans le cadre du programme Croissance de l’économie et débouchés économiques des femmes, un partenariat entre le Department for International Development du Royaume-Uni, la Fondation William et Flora Hewlett et le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), a pour but de trouver des solutions visant à éliminer les obstacles qui empêchent les femmes de participer pleinement à l’économie. L’étude vise également à rassembler davantage de renseignements sur la participation et le vécu des femmes dans les exploitations minières artisanales et à petite échelle en République démocratique du Congo, au Rwanda et en Ouganda.
L’objectif du projet, selon Martha Melesse, spécialiste de programme principal au CRDI, est d’accroître la visibilité du rôle des femmes et des obstacles auxquels elles font face dans le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle, de sorte que les réformes et les règlements concernant l’exploitation minière tiennent compte de la contribution de ces femmes et prévoient des mesures appropriées pour améliorer leurs moyens de subsistance.
« Des millions de femmes travaillent dans le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle, mais les discussions sur les politiques et pratiques concernant l’exploitation minière tiennent rarement compte du rôle de ces femmes, a expliqué Mme Melesse. Il en va de même pour les délibérations sur les règlements et réformes visant l’exploitation minière. Cela risque d’aggraver l’inégalité entre les genres et de nuire à la capacité des femmes d’assurer leur subsistance. »
Selon Mme Melesse, les premiers résultats obtenus dans le cadre de cette recherche montrent que les femmes sont principalement affectées aux tâches mal rémunérées et peu valorisées au sein du secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle, et qu’elles gagnent généralement moins que les hommes. Néanmoins, « les femmes jouent un rôle essentiel dans ce secteur, et l’exploitation minière artisanale et à petite échelle représente une importante source de revenus secondaire pour elles-mêmes et leurs familles », ajoute-t-elle.
Améliorer les conditions de participation des femmes à l’exploitation minière
On espère que la promotion de l’égalité des sexes dans ce secteur profitera non seulement aux femmes, mais également à leurs familles et à la société dans son ensemble. Les résultats de cette recherche pourraient fournir les renseignements nécessaires pour adapter les lois et les politiques gouvernementales de sorte qu’elles appuient le travail des femmes comme Mme Nakacho, et pour trouver des moyens de permettre à cette femme comme à d’autres de vivre et travailler en toute sécurité. L’expulsion qui a eu lieu récemment en Ouganda n’a fait que souligner la pertinence de cette recherche pour les discussions sur les politiques locales, régionales et nationales.
L’un des chercheurs travaillant sur ce projet, le professeur Blair Rutherford du Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Carleton, a indiqué que les premiers résultats ont mis en évidence de multiples obstacles et formes de discrimination qui empêchent les femmes de progresser sur les sites miniers en Afrique centrale et orientale, mais qu’il existe des possibilités d’avancement.
« Les personnes qui trouvent différents types d’emploi peuvent gagner un peu d’argent leur permettant de subvenir à certains de leurs besoins et de ceux des personnes à leur charge. Certaines d’entre elles ont même réussi à faire des économies, explique-t-il. Nous avons constaté que c’est le cas dans cette zone d’exploitation de mines d’or en Ouganda, ainsi que dans les cinq autres zones minières visées par notre projet de recherche. »
Récompenses et sacrifices d’une propriétaire de puits de mine
L’histoire de Mme Nakacho constitue un exemple parfait. Avant de venir travailler à la mine, elle était mareyeuse et achetait son stock auprès de communautés de pêcheurs sur les rives du lac voisin pour ensuite le revendre et réaliser ainsi un mince bénéfice. Quels que soient les efforts qu’elle fournissait au travail, elle ne gagnait jamais suffisamment pour améliorer ses conditions de vie.
En travaillant à la mine, elle a découvert qu’elle pouvait économiser de l’argent, même lorsqu’elle travaillait comme orpailleuse indépendante pour d’autres clients. Elle a fini par réussir à accumuler la somme de 1,2 million de shillings ougandais (environ 415 CAD) requise pour acheter une part d’un puits de mine. Avec le temps, les mineurs qu’elle employait ont trouvé de l’or et, en l’espace de trois mois, elle a pu acheter une nouvelle maison.
« Quand on a de l’argent, on peut obtenir ce que l’on veut, affirme Mme Nakacho. On peut bien vivre. Je possède maintenant une maison meublée et j’ai les moyens de payer les frais de scolarité de mes enfants. » Mais il a également fallu faire des sacrifices. Ses enfants vivent loin de chez elle, dans un pensionnat, et passent leurs vacances chez leur père, l’ex-mari de Mme Nakacho. En effet, compte tenu de ses longues de journées de travail, qui se terminent souvent à minuit, il serait dangereux et peu pratique que ses enfants vivent avec elle. Elle ne peut que rarement leur rendre visite.
Son problème tient en partie au fait qu’en tant que femme ayant de l’argent, elle est considérée comme une cible facile pour les voleurs. Elle a peur de quitter son puits de mine, car elle craint qu’en son absence, les gens qui travaillent pour elle la volent, ou que le propriétaire foncier du terrain qu’elle exploite s’empare de la mine.
Elle doit également supporter les railleries et les insultes de certains des mineurs locaux, qui l’accusent d’être une sorcière et d’attirer le malheur sur le site. « Ils ne croient pas que nous ayons pu gagner notre argent, alors ils nous demandent où nous l’avons volé. Ils disent beaucoup de mal de nous, explique Mme Nakacho. Lorsque j’entends de tels propos, cela me rend triste et me donne envie de quitter la mine. »
Comme toutes les femmes avec lesquelles nous avons discuté sur le site, elle espère simplement rester assez longtemps et économiser suffisamment d’argent pour lancer une entreprise ailleurs. « Si je devais donner un conseil à d’autres femmes venant travailler à la mine, je leur recommanderais d’être très prudentes, explique Mme Nakacho. Cela dit, si elles possèdent la sagesse et le petit capital nécessaires, elles devraient venir. »