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Les Bajenu Gox (un terme Wolof pour décrire une marraine) sont des femmes respectées de la région qui sont choisies pour agir à titre d’intermédiaires entre la communauté et le système de santé. Grâce à des visites à domicile et à des séances d’information communautaires, plus de 10 000 de ces marraines formées aident maintenant les femmes pendant et après leur grossesse, et conseillent également les mères sur les soins des enfants et des nourrissons.

Le 12 mai 2017, le président sénégalais Macky Sall a lancé un appel pour renforcer le programme Bajenu Gox du pays afin de promouvoir la santé maternelle et infantile. Cet appel était un renouvellement du programme lancé en 2009 par son prédécesseur, Abdoulaye Wade, qui visait à s’attaquer aux taux élevés de mortalité et de maladies maternelles et infantiles du pays.

Travaillant dans l’ensemble du pays, les Bajenu Gox fournissent aux femmes isolées de l’information sur la santé. « Nous leur disons de se rendre au centre de santé et de ne pas accoucher à la maison, de ne pas manquer les examens prénataux, de faire vacciner leurs enfants, et d’utiliser la planification familiale pour espacer les naissances » mentionne Maimouma Seck, le président de l’association des Bajenu Gox dans la ville de Kaolack.

Le gouvernement du Sénégal accorde aux Bajenu Gox le mérite d’avoir contribué à réduire le nombre de décès maternels et infantiles. Grâce à leur aide, le nombre de décès maternels a chuté de 410 à 315 pour 100 000 naissances vivantes entre 2008 et 2015, alors que le nombre de décès infantiles a chuté de 59 à 50 pour 1 000 naissances vivantes au cours de la même période.

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Une femme parle de la santé maternelle et infantile au cours d’une visite dans une ménage.
CRDI / Sylvain Cherkaoui
Marie Sarr Diop, une Bajenu Gox, parle de la santé maternelle et infantile au cours d’une visite dans le ménage de Binetau Ndiaye, de Lala Kounta et d’Amada Sow

Toutefois, comme l’explique Boubacar Camara de l’Université Cheikh Anta Diop, qui agit à titre de chercheur principal d’un projet visant à renforcer le programme Bajenu Gox, un certain nombre de faiblesses nuisent à la durabilité et au succès du programme. Parmi ces faiblesses, le manque de mesures incitatives pour motiver les travailleurs est peut-être la plus importante. Les Bajenu Gox travaillent à titre de bénévoles avec très peu de ressources et, jusqu’à très récemment, elles ne bénéficiaient d’aucune reconnaissance officielle.

« À un certain moment, elles se sont essoufflées », précise-t-il. « Puisqu’elles ne bénéficiaient d’aucun incitatif financier, elles ont travaillé lorsqu’elles le pouvaient. » Ça n’aide pas que d’autres programmes dirigés par des organisations non gouvernementales offrent des subventions. De plus, le manque de surveillance de leurs activités, ainsi que des rapports inadéquats sur celles-ci, ont nui à l’acceptation totale du programme par le système de santé du pays.

Fournir de nouvelles mesures incitatives

Appuyé par l’initiative canadienne Innovation pour la santé des mères et des enfants d’Afrique (ISMEA), le projet visant à renforcer le programme Bajenu Gox est dirigé par l’organisation non gouvernementale Action et Développement, en partenariat avec l’Université Cheikh Anta Diop, le ministre de la Santé et de l’Action sociale du Sénégal, et l’Institut national de santé publique du Québec. Celui-ci met à l’essai des façons de relever certains défis tels que le manque d’incitatifs financiers, et ce, en ancrant les activités des Bajenu Gox dans un effort plus global qui profiterait à l’ensemble de la communauté.

« Nous avons pensé que la mise en oeuvre d’un système de motivation financière pourrait les encourager à être plus actives », déclare Camara. Le fait de fournir aux Bajenu Gox un revenu et des fonds pour poursuivre leur travail contribuera à la durabilité du programme, qui est une priorité du gouvernement. De plus, cela permettra d’associer une forme de rémunération au travail réalisé par les femmes en ce qui concerne la prestation de soins, lequel était traditionnellement non rémunéré.

Mené dans cinq communautés, le projet a alloué des fonds aux femmes afin qu’elles lancent de petites entreprises. Dans une communauté, les femmes ont choisi d’élever et de vendre de petits animaux. Dans une autre, elles ont lancé une boutique communautaire. Au sein du quartier pauvre de Nangan, situé à Kaolack, les femmes ont décidé de transformer le millet et le maïs. « De cette manière, elles peuvent continuer de travailler » déclare le chef de quartier Moustapha Guèye. « La transformation du millet en des produits de grande qualité comme la farine et le couscous est utile car la malnutrition est endémique dans le district. Ce problème est en partie attribuable à la mauvaise qualité des produits offerts. »

« Il s’agit du seul projet qui a travaillé sur les dynamiques sociales en mettant en oeuvre une activité génératrice de revenus visant à encourager la viabilité des Bajenu Gox », a mentionné Cheikh Tidiane, coordonnateur d’Action et Développement, lors d’une cérémonie qui a eu lieu à Kaolack, en mai 2017. De plus, Tidiane a souligné que le préfet de district et le maire de Kaolack se sont également engagés à appuyer ces entreprises sociales voyant que les Bajenu Gox de la région avaient reçu des insignes officielles et que leur association avait accepté des fonds pour le projet.

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Le sous-préfet de Kaolack (au centre) a présidé une réunion avec l’association locale des Bajenu Gox.
CRDI / Sylvain Cherkaoui
Le sous-préfet de Kaolack (au centre) a présidé une réunion avec l’association locale des Bajenu Gox, au cours de laquelle elles ont reçu des fonds pour fabriquer des produits à base de maïs et de millet, ainsi que leur insigne du ministère de la Santé.

Un système de suivi à plusieurs niveaux

Dans le but de réduire le nombre de décès maternels à 70 pour 100 000 naissances vivantes d’ici 2030, le gouvernement sénégalais demande maintenant aux Bajenu Gox d’élargir leur champ d’activités, y compris l’enregistrement des statistiques de l’état civil comme le nombre de naissances et de décès. « Nous leur demandons d’assumer de nouvelles tâches », mentionne Camara, « mais nous n’avons pas assuré le suivi des tâches qu’elles exécutent actuellement. Nous ne connaissons pas toutes leurs répercussions. » Par ailleurs, l’équipe a reconnu que ses registres informels devront être améliorés afin de pouvoir assurer un suivi précis des activités des Bajenu Gox.

Le système de suivi de l’information qui a été proposé par le projet est fondé sur les réunions de planification mensuelles au centre de santé. Au cours de ces réunions, les participants déterminent les visites à domicile qui seront effectuées par chacune des Bajenu Gox ainsi que les sujets qu’elles présenteront lors des séances d’information communautaires. De plus, les Bajenu Gox doivent donner un billet paraphé à chaque femme qu’elles orientent vers un centre de santé. Ces renseignements sont présentés sous forme de tableau à la fin du mois, ce qui donne un meilleur aperçu du rendement de chaque travailleuse. Trois des cinq sites tests ont déjà mis en oeuvre le nouveau système.

Le centre de santé coordonne son plan mensuel avec le comité de santé du district, et l’équipe de recherche présente son travail tous les trois mois à un groupe de travail du district, lequel est formé de représentants élus et de représentants d’associations locales. Afin de profiter des leçons tirées, l’équipe communique aussi les conclusions des recherches à un comité national mis sur pied par le ministère de la Santé.

Brillantes perspectives

D’ici la fin du projet en 2020, l’équipe de recherche vise à définir clairement des manières durables d’appuyer les Bajenu Gox. Le ministère de la Santé a joué un rôle de premier plan dans tous les aspects de la recherche. Cette étroite collaboration avec les organes décisionnels en matière de santé du Sénégal est de bon augure pour l’avenir du projet et ainsi que ses chances d’être mis en oeuvre à l’échelle nationale, ce qui assure que l’initiative Bajenu Gox pourra profiter davantage aux populations les plus vulnérables du pays.

À Nangan, les objectifs sont plus modestes. « Nous voulons plus de Bajenu Gox », précise Fatoumata Kanté, le médecin-chef adjoint du district. « Il n’y en aura jamais assez. »

Pour en apprendre plus sur le projet Bajenu Gox

 

Image en haut : CRDI / Sylvain Cherkaoui